La HAS lance un cri d'alarme sur la situation des établissements sanitaires et médicosociaux
La Haute Autorité de santé sort de sa réserve habituelle en publiant une longue "Lettre ouverte du collège de la HAS à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements". Elle y dresse un tableau très sombre de la situation, tout particulièrement en matière de postes vacants et de recrutements dans les établissements de soins et les établissements médicosociaux. Elle estime ainsi qu'"au moins 13% de postes d'aides soignants sont vacants dans les Ehpad". Elle formule aussi une série de recommandations pour renforcer l'accès aux soins dans les territoires et propose d'imposer dans les Ehpad "une norme réglementaire pour le nombre minimum de professionnels par résident, hormis les personnels administratifs".
Dans une démarche très inhabituelle pour une institution toujours soucieuse d'une certaine réserve, la Haute Autorité de santé publie une longue "Lettre ouverte du collège de la HAS à tous ceux qui œuvrent pour la qualité des soins et des accompagnements". Le collège, qui compte huit membres et équivaut à une sorte de conseil d'administration, est l'instance délibérante de l'institution et "est responsable des orientations stratégiques, de la programmation et de la mise en œuvre des missions assignées à la Haute Autorité de santé par le législateur". Pour justifier cette initiative inhabituelle, les signataires expliquent notamment que "les acteurs que nous côtoyons dans l'exercice de ces missions nous font part des difficultés qu'ils rencontrent. Les professionnels, notamment de l'hôpital public et des établissements sociaux et médicosociaux, nous alertent sur leur incapacité à délivrer des soins ou des accompagnements de qualité".
L'enjeu crucial des ressources humaines
Dans sa lettre ouverte, la HAS souligne que "le système de santé et le secteur médicosocial français font face à des enjeux cruciaux". Le premier d'entre eux concerne la situation des ressources humaines. Selon les remontées des acteurs de terrain, 5 à 10% des postes d'infirmiers sont vacants dans les établissements de santé et cette proportion monte à au moins 13% pour les postes d'aides-soignants dans les Ehpad. De même, plus d'un tiers des postes de praticiens hospitaliers ne sont pas pourvus à l'hôpital public et un tiers des Ehpad n'ont pas de médecin coordinateur. Selon la HAS, dans tous les secteurs, le manque de personnel conduit parfois à fermer lits, places et services, voire à suspendre certaines activités. La situation n'est pas vraiment meilleure dans la médecine de ville, car "la répartition inégale des professionnels de santé sur le territoire compromet l'accès aux soins". En outre, en ville comme à l'hôpital, "les tendances démographiques actuelles, pour les professionnels de santé comme pour la population générale, ne feront qu'accentuer la pression dans les années à venir" (voir notre article du 6 avril 2022).
Le second enjeu soulevé par la HAS concerne l'organisation et les modes de financement. Pour la Haute Autorité en effet, "le fonctionnement du système de santé ne garantit pas toujours la pertinence et la qualité des soins". La lettre ouverte en donne quelques exemples, plutôt techniques. Dans le champ médicosocial, elle cite les difficultés d'accès aux soins des personnes handicapées et le fait que près de la moitié des résidents des Ehpad prennent des anxiolytiques ou des antidépresseurs, alors que ces médicaments sont à éviter autant que possible chez les personnes âgées.
Renforcer l'accès aux soins sur les territoires
Face à ces enjeux, la HAS en appelle à des "réponses urgentes". Elle estime ainsi indispensable de rendre les métiers du social et du médicosocial plus attractifs, en poursuivant les efforts engagés avec le Ségur de la santé, tout en ciblant plus particulièrement les infirmiers, les aides-soignants, les éducateurs spécialisés et les accompagnants éducatifs et sociaux. Il convient également de "prioriser des conditions de vie acceptables" : accès au logement locatif, temps de trajet domicile-travail, garde d'enfants, aide aux transports... La HAS plaide aussi pour un élargissement des compétences paramédicales et une reconnaissance des nouveaux rôles, notamment pour les infirmiers de pratique avancée (IPA), ainsi que pour un renforcement des formations, initiales et continues, et la mise au point d'indicateurs de pertinence et de qualité des soins et des parcours.
Le collège de la HAS appelle par ailleurs à "améliorer l'accès aux soins sur les territoires par un éventail de mesures". Parmi celles-ci, la lettre ouverte cite notamment le renforcement des moyens financiers et opérationnels des ARS, afin de répondre notamment aux besoins des territoires sous-dotés, ainsi que le développement des téléconsultations accompagnées. Sur les urgences, la HAS préconise d'augmenter "de façon substantielle" le nombre de Smur (390 aujourd'hui), selon une répartition isochrone (et pas forcément adossés à des services hospitaliers), afin d'assurer un accès équitable à un transport urgent. De même, une consultation de médecine générale pourrait être instaurée au sein des services d'urgence hospitaliers. Cette consultation pourrait prendre en charge "les 10 à 20% de personnes venant aux urgences et qui n'ont finalement pas besoin d'examens d'imagerie ou de biologie".
Des normes indispensables pour l'encadrement dans les Ehpad
De façon plus large, la HAS recommande de repenser l'organisation globale au sein des établissements, en donnant une plus grande autonomie aux chefs de services et de pôles. Elle propose aussi de "reposer la question des normes d'encadrement pour assurer un niveau de qualité minimum", tout en limitant le recours à la polyvalence ou aux intérimaires. Dans les établissements médicosociaux, et notamment en Ehpad, "la marge de progression est telle qu'il nous semble indispensable d'imposer une norme règlementaire pour le nombre minimum de professionnels par résident (hormis les personnels administratifs)".
La santé publique et la prévention sont des points faibles traditionnels en France. Le collège de la HAS plaide donc pour une attention accrue portée à ces deux domaines, sous la forme de plans pluriannuels, assortis d'une programmation fiable et contrôlée. De même, les actions de prévention devraient être mieux intégrées dans la pratique des professionnels de santé, y compris sous forme d'une rémunération spécifique. Ces différentes actions pourraient être coordonnées avec la création d'un délégué interministériel à la prévention en santé.
Enfin, il conviendrait de "multiplier les opportunités de prendre en compte les préférences des patients, des personnes accompagnées et des usagers, et de profiter de leur expérience". Ceci pourrait aller jusqu'à l'intégration de patients partenaires au sein des équipes soignantes dans l'ensemble des établissements de santé et au développement de la pair-aidance et des travailleurs pairs dans les établissements sociaux et médicosociaux.