Municipales - La France des villes change de ton
Toulouse, Angers, Reims, Limoges, Quimper, Caen, Saint-Etienne, Chambéry, Roubaix, Tourcoing, Amiens, Laval, Belfort, Périgueux, Brive-la-Gaillarde... Bobigny, Argenteuil, Asnières-sur-Seine... Au fil de la soirée de ce deuxième tour des élections municipales, les pertes pour le parti socialiste s'accumulaient à mesure qu'arrivaient les résultats. La gauche a ainsi perdu 155 villes de plus de 9.000 habitants. Reconnaissant une "défaite locale et nationale pour la gauche et le gouvernement", Manuel Valls a détaillé ce chiffre : 10 villes de plus de 100.000 habitants, 40 villes de 30 à 100.000 habitants et 105 villes de 9 à 30.000 habitants.
A l'échelle nationale, la droite remporte 45,91% des suffrages, la gauche 40,57%, l'extrême droite 6,84% et les candidats sans étiquette 6,62%, selon les chiffres de la place Beauvau. La participation est pour sa part tombée à 63,70% contre 65,22% en 2008, un chiffre "historiquement bas", a relevé le ministre. "Il faut voir les choses en face, les électeurs français qui n'ont pas voté ont exprimé une défiance à l'égard de l'action publique", a-t-il commenté.
Dès dimanche soir, le Premier ministre a lui aussi parlé d'échec "tant au plan local qu'au plan national" et d'un "message clair" qui devait être "pleinement entendu". Dans son allocution, Jean-Marc Ayrault a affirmé devoir "tenir compte de toutes les interrogations, les exigences et même les refus exprimés par le vote", a-t-il ajouté.
"On peut dire que c'est plus qu'un sévère avertissement, une claque. C'est assez injuste pour la plupart des maires qui avaient bien travaillé mais qui n'ont pas été jugés sur leur bilan", a pour sa part déclaré François Rebsamen, réélu maire de Dijon, chef de file des sénateurs socialistes.
La défaite n'a pas épargné les membres du gouvernement : la liste sur laquelle figurait Pierre Moscovici est battue à Valentigney (Doubs), tout comme celle de François Lamy à Palaiseau (Essonne), Marie-Arlette Carlotti est battue dans le 3e secteur de Marseille, Guillaume Garot perd à Laval. Seul ministre tête de liste, Frédéric Cuvillier a été réélu maire de Boulogne-sur-Mer. A Evry, la liste PS sur laquelle figurait Manuel Valls s'est imposée au deuxième tour dans une triangulaire. Même configuration pour Aurélie Filippetti à Metz, Stéphane Le Foll au Mans, Valérie Fourneyron à Rouen ou Benoît Hamon à Trappes.
Ces villes qui auront un maire FN
Signe de la progression de l'opposition, l'UDI de Jean-Louis Borloo gère désormais plus de 100 villes moyennes (au moins 9.000 habitants), a annoncé Yves Jégo. L'UDI revendiquait ainsi la place de "troisième force politique du pays" avec une série de victoires comme à Amiens, Laval, Nouméa ou Bobigny, pendant que l'allié François Bayrou (MoDem) remportait la mairie de Pau haut la main.
De son côté, Europe Ecologie-les Verts affiche une victoire de prestige : Grenoble, où le candidat Eric Piolle, allié au Parti de gauche, remporte la mairie aux dépens à la fois de la droite et des socialistes. Avec 11,8% des voix dans les 262 communes où il était présent, le parti avait nettement redressé la tête au premier tour. A Paris, les écologistes devraient disposer de 18 représentants au Conseil de Paris, contre neuf lors de la dernière mandature. A Sevran (Seine-Saint-Denis), Stéphane Gatignon est réélu pour un troisième mandat... tandis qu'EELV perd Montreuil qui revient au Front de gauche.
Le FN dirigera "quatorze ou quinze communes" de plus de 9.000 habitants a indiqué le ministre de l'Intérieur en englobant dans son décompte les villes remportées par des candidats d'extrême droite, non FN. Outre Hénin-Beaumont gagnée dès le premier tour, on citera Béziers avec Robert Ménard (Hérault), Fréjus (Var), Villers-Cotterêts (Aisne), Le Pontet (Vaucluse), Beaucaire (Gard), Le Luc (Var), Hayange (Moselle) ou le 7e secteur de Marseille. Malgré les échecs de Louis Aliot à Perpignan et de Florian Philippot à Forbach, le résultat de ce second tour est "idéal pour le FN", a commenté le chercheur Sylvain Crépon. Avec des victoires réparties dans tout le pays, y compris l'Ile-de-France (Mantes-la-Ville), "ils couvrent des problématiques sociologiques, économiques assez vastes. Symboliquement, emblématiquement, pour eux c'est bien", selon l'universitaire.
Et les futures métropoles ?
Metz et Strasbourg in extremis, Lyon, Rennes, Nantes, Lille, Dijon, Saint-Denis-de-la-Réunion... et Paris sont en revanche conservés par le parti socialiste, même si dans la capitale, la victoire d'Anne Hidalgo est ternie par la perte d'un arrondissement (la droite en gérera désormais neuf sur 20) et d'une dizaine de sièges pour la gauche.
Les listes d'Anne Hidalgo (réunissant le PS, le PCF, le PRG et les Verts) obtiennent 91 sièges, celles de Nathalie Kosciusko-Morizet (réunissant l'UMP, l'UDI et le MoDem) en ont 71. Anne Hidalgo est en tout cas entrée dimanche dans le cercle restreint des femmes maires de capitales... tandis qu'avec une défaite honorable, Nathalie Kosciusko-Morizet, qui était arrivée en tête au premier tour, peut prétendre au titre de nouvelle leader de la droite parisienne.
A Avignon, où le Front national était arrivé en tête du premier tour, Cécile Helle (PS) fait basculer la ville à gauche. Le PS remporte aussi Douai (Nord), à droite depuis plus de 30 ans.
Réélu à Lyon pour un troisième mandat, Gérard Collomb pourrait bien avoir remporté une victoire à la Pyrrhus, car les pertes de nombreuses villes par la gauche dans les 58 communes du Grand Lyon risquent de lui coûter la présidence de la métropole, dont il a été l'artisan. "Nous allons nous rassembler pour gagner la métropole", a-t-il lancé, tandis que son adversaire, Michel Havard, assurait que "les électeurs du Grand Lyon ont dit qu'ils voulaient une métropole dirigée par une alliance UMP, UDI et centristes".
Ce scénario pourrait aussi concerner la future métropole de Lille... et celle du Grand Paris. Les élus de droite devraient en tout cas être majoritaires au sein des futurs conseils métropolitains de Marseille, Bordeaux et Toulouse. Brest, Rouen, Rennes, Strasbourg, Grenoble et Montpellier compteront en revanche une majorité de conseillers de gauche.
L'abstention a résisté
La gauche a ainsi perdu sa position de premier pouvoir local au profit de la droite qui efface ses pertes de 2008. En 2008 la gauche avait gagné 82 villes de plus de 10.000 habitants sur la droite (118 gagnées, 36 perdues). "C'est peut-être le plus grand mouvement de bascule de l'histoire de la Ve République", a estimé pour l'AFP le directeur général de la fondation Jean-Jaurès (proche du PS), Gilles Finchelstein. "C'est l'effondrement d'une partie du socialisme municipal", a jugé le sondeur Frédéric Dabi (Ifop). "Le PS part de très loin. Il avait énormément de sièges, mais qu'une ville comme Toulouse bascule, alors que personne n'y pensait il y a encore quelques mois...", fait remarquer l'universitaire Rémi Lefebvre. Selon lui, "les métropoles compétitives - Lille, Rennes, Paris... - votent plutôt pour le PS", alors que "les villes populaires" et "qui souffrent", comme Marseille "le sanctionnent".
La majorité parlementaire semble en fait principalement avoir échoué à provoquer un sursaut de mobilisation de son électorat pour limiter les dégâts, après l'importante abstention de la semaine dernière, nettement plus forte parmi les sympathisants de gauche que ceux de droite.
L'abstention a en effet atteint un niveau jamais atteint pour un second tour des municipales sous la Ve République : 36,3%. Au deuxième tour de 2008, elle était de 34,80%. Au premier tour le 23 mars, elle s'était établie à 36,45%. C'est dans le Nord et en région parisienne que le taux d'abstention a été le plus important. Parmi les villes qui ont le plus voté, on trouvera Bastia (18,28%) ou Cherbourg (18,92%).
En d'autres termes, le plus souvent, les pertes du PS seraient moins dues à des électeurs de gauche ayant basculé à droite qu'à ceux qui ont préféré ne pas mettre de bulletin dans l'urne. Et les taux d'abstention sont parfois tels que certains élus, quelle que soit leur couleur politique, surtout lorsqu'ils sortent vainqueurs d'une triangulaire ou quadrangulaire, n'ont finalement été choisis que par une petite part du corps électoral potentiel de leur territoire.
On rappellera enfin que ce deuxième tour était avant tout le rendez-vous des villes : près de neuf petites communes (moins de 1.000 habitants) sur dix n'étaient pas concernées par le rendez-vous de dimanche - des petites communes pour lesquelles les étiquettes ou "nuances politiques" qui avaient dû être apposées sur les listes n'étaient pas toujours pour l'électeur le critère de choix le plus déterminant.