Municipales - Un premier tour marqué par une "grève du vote massive"
Selon des résultats "consolidés" annoncés par le ministre de l'Intérieur, la droite a recueilli 46,54% des suffrages exprimés, la gauche 37,74%, l'extrême droite 4,65% et l'extrême gauche 0,58% à l'issue du premier tour des élections municipales ce dimanche 23 mars 2014.
Mais le pourcentage le plus marquant est celui de l'abstention, qui a atteint dimanche un niveau jamais vu au premier tour des municipales : 38,72%. En 2008, elle avait déjà atteint un record historique, à 33,46% au premier tour.
"Certains électeurs ont exprimé, par leur abstention ou leur vote, inquiétudes, voire doutes", a réagi le Premier ministre Jean-Marc Ayrault. "Cette abstention est trop élevée. C'est incontestablement un message envoyé par nos concitoyens. L'ensemble des responsables publics, politiques doivent l'entendre. C'est aussi bien sûr de la responsabilité du gouvernement (...). En tout cas, ce message nous invite à tout mettre en oeuvre pour redonner confiance en l'action publique, pour restaurer ce lien qui existe entre les citoyens et leurs élus", a déclaré Manuel Valls.
"C'est un coup de tonnerre. 21 millions de Français sont restés chez eux. Cette grève du vote massive, il y en a pour tout le monde : pour nous, parce que ce sont les couches populaires, ceux qui peut-être sont déçus de notre politique, mais pour vous aussi" à droite, a pour sa part lancé le porte-parole du groupe socialiste à l'Assemblée, Thierry Mandon.
Pour les abstentionnistes, ces élections "ne changent rien à leur vie quotidienne"
Des disparités importantes sont toutefois relevées selon les régions. Dans plusieurs villes d'Ile-de-France, l'abstention a été particulièrement forte, comme à Stains (Seine-Saint-Denis, 61,05%), aux Mureaux (Yvelines, 57,37%) ou à Créteil (53,91%). A Paris, la participation s'est élevée à 56,51%, un résultat globalement stable par rapport à 2008, mais avec dans le détail une moindre mobilisation des bastions de gauche. A Marseille, l'un des points chauds du scrutin, l'abstention était évaluée à plus de 46%. La désaffection pour les isoloirs a également été très marquée dans le Nord : Roubaix a battu tous les records, avec une abstention de 61,58%, suivie de peu par ses voisines Tourcoing et Lille.
Les villes qui ont le plus voté sont essentiellement situées dans le Sud-Est, comme Digne (31,64% d'abstention), Fréjus (31,53%), Sorgues (31,26%) ou Saint-Gilles (28,58%). En sachant que le Front national a réalisé quelques-uns de ses meilleurs résultats dans ces villes.
Lhoumois, une commune rurale des Deux-Sèvres qui avait eu aux municipales de 2008 le plus fort taux de participation de France (94%), s'est encore distinguée en votant en masse mais sans faire aussi bien. Ce village de 145 habitants a affiché 96 votants sur 113 inscrits, soit 84,96% de participation.
Selon une enquête Ipsos/Steria réalisée juste avant le scrutin, les personnes qui n'étaient pas certaines de voter - les jeunes étant les plus nombreux - invoquaient deux raisons principales : le fait "que ces élections ne changent rien à leur vie quotidienne" (44%) et "pour manifester leur mécontentement à l'égard des hommes politiques en général" (39%). Une enquête Harris Interactive montrait aussi que le premier facteur d'abstention était tout simplement le fait que les personnes interrogées ne se trouvaient pas dans la commune où elles sont inscrits sur les listes électorales.
Un nouveau "vote local" pour le Front national
S'agissant des grandes tendances partisanes, ce premier tour a globalement dessiné une sanction de la gauche, une progression de la droite et des gains importants pour le Front national.
A Perpignan, Avignon, Forbach, Béziers, Fréjus, Tarascon, le FN est en effet arrivé en tête. Il est en mesure d'enregistrer d'autres victoires après celle d'Hénin-Beaumont (Pas-de-Calais) où Steeve Briois l'a emporté dimanche, permettant au parti de gagner pour la première fois une ville de plus de 10.000 habitants dès le premier tour. Au second tour, le parti devrait être présent dans plus d'une centaine de triangulaires. Le FN a fait même une poussée dans l'Ouest, alors qu'il y était peu présent. "Le Front était jusqu'ici un vote national, nous sommes en train de démontrer qu'il est aussi un vote local", s'est félicité le vice-président du FN, Florian Philippot, qui a obtenu près de 36% à Forbach (Lorraine).
Pour la gauche, tout semble laisser penser qu'elle subit de plein fouet les conséquences de l'impopularité de l'exécutif. Avec quelques pertes spectaculaires. Le Parti socialiste et la majorité devront donc avant tout s'atteler à mobiliser les électeurs qui se sont abstenus pour inverser la tendance au deuxième tour, sachant que les électeurs de droite se sont dans l'ensemble plus mobilisés au premier tour que ceux de gauche.
Niort a basculé à droite après près de 60 ans de gouvernance de la gauche, tandis que Strasbourg et Toulouse, villes que le PS avait enlevées à la droite en 2008, pourraient bien lui échapper. Même dans les villes que la gauche ne perd pas, l'hémorragie est souvent considérable : à Nantes, la candidate PS Johanna Rolland perd 20 points par rapport à son mentor Jean-Marc Ayrault en 2008 ; à Lille, Martine Aubry en perd 12, à Lyon, Gérard Collomb est en ballottage, alors qu'il était passé dès le premier tour aux dernières élections.
Partie serrée à Paris
Il y a un "tassement incontestable mais pas l'effondrement que la droite espérait", a toutefois relativisé Thierry Mandon. Dans certaines villes, son parti maintient ses positions, comme à Bourg-en-Bresse, Rodez ou Aurillac.
Mais à Marseille, la ville devrait rester aux mains de Jean-Claude Gaudin (UMP), qui arrive largement en tête devant le FN Stéphane Ravier, le candidat PS Patrick Mennucci n'arrivant qu'en troisième position dans cette cité sur laquelle les socialistes fondaient de grands espoirs.
A Paris, la candidate UMP Nathalie Kosciusko-Morizet a fait mentir les pronostics en se classant en pole position sur l'ensemble de la capitale devant Anne Hidalgo (PS). Mais mathématiquement, du fait d'un scrutin organisé par arrondissement, la partie s'annonce des plus serrées pour NKM, Anne Hidalgo ayant toutes les chances de l'emporter.
La gauche risque aussi de perdre Amiens, Angers, Reims, Saint-Etienne et Laval. Au Havre, le maire sortant UMP, Edouard Philippe, est réélu dès le premier tour, comme Alain Juppé à Bordeaux ou Xavier Bertrand à Saint-Quentin (Aisne).
Les 16 ministres candidats ont connu des fortunes diverses : la liste sur laquelle Laurent Fabius apparaissait en 11e position l'a emporté haut la main à Grand-Quevilly (Seine-Maritime), tandis que Marie-Arlette Carlotti a été écrasée par l'UMP dans un secteur clef de Marseille. Si la liste PS sur laquelle figurait le ministre du Travail, Michel Sapin, est élue dès le premier tour à Argenton-sur-Creuse (Indre), les listes de plusieurs autres ministres sont en ballottage : Frédéric Cuvillier - seul ministre tête de liste - à Boulogne-sur-Mer, Stéphane Le Foll au Mans, Pierre Moscovici à Valentigney (Doubs), Valérie Fourneyron à Rouen...
"Front républicain" ou "ni ni" ?
Le président de l'UMP, Jean-François Copé, réélu dès dimanche à Meaux, a appelé les électeurs du FN à reporter leurs voix sur les candidats de son parti au second tour, estimant que "les conditions d'une grande victoire" de la droite étaient réunies.
Mais cette éventuelle "vague bleue" dépend pour partie du nombre de triangulaires qui opposeront dimanche prochain gauche, droite et FN et d'éventuelles consignes de désistement pour faire barrage au FN.
La porte-parole du gouvernement, Najat Vallaud-Belkacem, a d'ores et déjà prévenu que la majorité ferait "tout pour empêcher qu'un candidat FN emporte une municipalité". Le chef de file des sénateurs écologistes, Jean-Vincent Placé, a, lui aussi, défendu le front républicain pour contrer le FN.
Mais l'UMP restera fidèle à sa ligne depuis 2011, le "ni PS, ni FN". "Nous nous sommes tous mis d'accord à l'UMP pour refuser toute alliance avec le Front national et refuser le front républicain", a annoncé Henri Guaino, député des Yvelines. L'ex-Premier ministre UMP François Fillon l'a confirmé : "Aucun désistement" en faveur de la gauche, ni "alliance" avec le FN.
Pour le Front de gauche, ces élections municipales avaient le double enjeu de se positionner comme "opposition de gauche" face au gouvernement et de se compter après des mois de désaccords au sujet de la position à adopter face au PS. Le parti de Jean-Luc Mélenchon avait choisi l'autonomie alors que dans de nombreuses villes, le PCF s'était associé aux socialistes, notamment à Paris.
"J'observe que le Front de gauche lorsqu'il est présent sous cette étiquette ou lorsqu'il est allié avec EELV fait à peu près partout des bons scores à deux chiffres", a assuré Jean-Luc Mélenchon. Le Parti de gauche s'enorgueillit en effet de ses alliances avec les écologistes dans les villes de Grenoble où ils arrivent en tête avec 29,41% et Rennes où ils grignotent le score du PS avec 15,09% des suffrages exprimés.
Quelques motifs de satisfaction pour EELV et les centristes
Du côté d'Europe Écologie-Les Verts justement, on nourrit des "sentiments contrastés", entre les "bons résultats", de nombreuses listes autonomes dépassant les 10%, et une "grande préoccupation" face à l'abstention et au "niveau très élevé de l'extrême droite".
"Partout où on est en autonomie, on a été bien reçus. Pour nous, c'est extrêmement important", a déclaré la secrétaire nationale d'EELV, Emmanuelle Cosse. EELV avait en effet décidé de présenter une liste autonome dans plus d'un tiers des villes de plus de 100.000 habitants. Le résultat est satisfaisant à Nantes avec 14%. A Lyon, les écologistes franchissent la barre des 10% dans trois arrondissements. EELV a par ailleurs franchi seul la barre des 10% à Lille, Valence, Poitiers, Caen et Rouen.
A Montreuil, seule ville de plus de 100.000 habitants détenue par EELV mais où Dominique Voynet ne se représentait pas, Ibrahim Dufriche atteint 15%, en quatrième position seulement.
Sur les rangs des centristes de l'UDI et du MoDem, on avait quelques raisons de se réjouir... notamment à Pau, où François Bayrou, président du MoDem, a réussi le premier acte de son pari en arrivant largement en tête (41,85%), une victoire probable dimanche prochain devant lui permettre de rester dans le jeu national. A Paris, Marielle de Sarnez a été élue conseillère de Paris dès dimanche. Le MoDem a aussi gardé la ville de Mont-de-Marsan tandis qu'à Saint-Brieuc, le maire sortant MoDem, Bruno Joncour, a frôlé la réélection.
A l'UDI, les espoirs mis ces dernières semaines dans la ville d'Amiens se sont transformés, puisque la liste de Brigitte Fouré devance de 20 points le PS Thierry Bonté. Autre ville convoitée par l'UDI, Laval, où le sénateur François Zocchetto est en ballottage favorable face au ministre PS Guillaume Garot. A Nancy, le radical Laurent Hénard est en ballottage favorable face à Matthieu Klein (PS).
Le nombre de ces triangulaires ne sera connu que mardi après 18h, heure limite pour le dépôt des candidatures au second tour. Dans 77 villes de plus de 30.000 habitants, quatre candidats peuvent même se maintenir.
Dès ce lundi matin, le président Hollande devrait tirer les enseignements du scrutin lors d'un entretien avec le Premier ministre, tandis que l'UMP devait réunir son bureau politique à 15h.