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Petite enfance - La directive Services menace-t-elle la qualité des modes de garde ?

Alors que la France a arrêté définitivement sa position sur la transposition de la directive Services, l'Unccas et l'Uniopss adressent une lettre ouverte aux parlementaires sur la situation des structures d'accueil de la petite enfance, qui n'ont pas été exclues du champ de la directive. Faut-il voir dans cette mobilisation un combat d'arrière-garde ou plutôt le moyen de peser dans le débat, toujours ouvert, sur l'assouplissement des modes de garde ? Eclairage.

La directive Services de la Commission européenne, puis sa transposition dans le droit national, constituent, depuis plusieurs années, un sujet de débat récurrent, tout particulièrement en France. La date limite pour la transposition a été atteinte le 28 décembre dernier et la France a récemment publié son rapport de transposition. Enfin, l'Assemblée nationale a écarté, le 26 janvier, une proposition de loi déposée par Jean-Marc Ayrault et le groupe socialiste, dont l'objet était de sortir l'ensemble des services sociaux - petite enfance comprise - du champ de la directive de 2006 (voir notre article ci-contre du 29 janvier 2010). Une proposition similaire a été déposée par le groupe socialiste du Sénat mais, contrairement à celle de l'Assemblée, elle n'a pas fait l'objet d'un vote. Celui-ci n'aurait d'ailleurs plus guère de signification en l'état actuel.

 

Une affaire classée

L'affaire semble donc close sur le plan des principes. Mais elle est encore loin de l'être pour ce qui concerne les conséquences de la directive. Si, selon le rapport de transposition français, "la très grande majorité des établissements et services sociaux et médicosociaux sont exclus du champ d'application de la directive", il n'en va pas ainsi pour deux secteurs qu'il avait pourtant été envisagé - pendant un temps - d'exclure eux aussi du champ de la directive : le secteur de la petite enfance et celui de l'aide à domicile. Ce dernier - qui se trouve en pleine crise depuis quelque mois - a aujourd'hui d'autres préoccupations que la transposition de la directive Bolkestein. En revanche, le secteur de l'enfance n'a pas tardé à réagir.
Dans une lettre ouverte adressée à l'ensemble des députés, sénateurs et députés européens, l'Union nationale des centres communaux et intercommunaux d'action sociale (Unccas) et l'Uniopss - qui regroupe 25.000 établissements et services privés à but non-lucratif du secteur social, médico-social et sanitaire - reviennent sur les suites de la transposition française de la directive Services.
Premier point : les deux organisations sont bien conscientes que le processus de transposition de la directive européenne "vient de s'achever en France". Il ne s'agit donc pas de revenir sur le choix effectué par le gouvernement, qui a suivi en l'occurrence les préconisations du rapport de l'Inspection générale des affaires sociales. Celui-ci considérait en effet que l'autorisation d'ouverture délivrée par le président du conseil général à un établissement d'accueil de la petite enfance ne constitue pas un mandatement, au sens de la directive Services (article 2.J.J). L'Unccas et l'Uniopss regrettent cependant la position des pouvoirs publics français. Selon elles, "il aurait été possible de faire un autre choix et d'exclure [les services d'accueil de la petite enfance] du champ de la directive en prenant en compte le fait que ces services s'adressent à un public particulier en situation de vulnérabilité, les enfants de 0 à 6 ans, et qu'ils exercent une mission d'intérêt général, la petite enfance pouvant être considérée comme le premier temps de l'éducation des jeunes enfants". Fait assez inhabituel pour être signalé, les deux organisations estiment même que les pouvoirs publics auraient dû renforcer le régime d'encadrement du secteur, pour qu'il réponde à la définition du mandatement.

 

Le combat de David et Goliath ?

Mais la vraie question se situe ailleurs. L'Unccas et l'Uniopss reconnaissent d'ailleurs elles-mêmes, dans leur lettre ouverte, que "le maintien de ces services dans le champ de la directive ne semble pas avoir aujourd'hui de conséquences directes sur les conditions d'encadrement et de financement du secteur". Dans ces conditions, pourquoi une telle mobilisation ?
L'inquiétude de l'Unccas et de l'Uniopss vise en réalité plutôt le moyen et le long terme. Ils sont rejoints en cela par d'autres organisations, comme le collectif "Pas de bébés à la consigne", qui rassemble de nombreuses organisations, dont le Syndicat national des médecins de protection maternelle et infantile et la Fédération nationale des éducateurs de jeunes enfants. La crainte est en effet que la non-exclusion de la petite enfance du champ de la directive Services soit le prélude à la remise en cause de la qualité et de l'encadrement du secteur, "dans une logique qui privilégie avant tout le développement de l'offre au nom du libre fonctionnement du marché intérieur". Non sans un certain amalgame, les signataires de la lettre ouverte en voient la preuve dans les récents assouplissements des modes de garde ou dans la création - en cours d'examen au Parlement - des maisons d'assistantes maternelles. Même si elles n'ont été satisfaites que récemment, les demandes d'assouplissement sont pourtant bien antérieures à la directive Services. Nombre de collectivités ne cachaient d'ailleurs pas y être favorables.
Mais il est aussi une autre raison qui explique cette mobilisation : la crainte d'une "privatisation" du secteur ou, pour être plus réaliste, d'une montée en charge d'une offre privée à but lucratif dans le secteur de l'accueil de la petite enfance. Or la crainte est que celle-ci remette en cause, à terme, certains éléments essentiels, comme les financements publics et la différenciation des tarifs en fonction des revenus. Ce phénomène de montée en charge est indéniable : une société comme Les Petits chaperons Rouges (LPCR), qui vient de publier ses comptes 2009, est ainsi passée en un an de 500 à 1.400 salariés. Elle gère désormais 3.080 berceaux dans 26 départements et réalise un chiffre d'affaires de 45 millions d'euros. Selon la toute nouvelle Fédération française des entreprises de crèche, les dix plus gros opérateurs ont pris en gestion 1.245 places de crèches municipales (dans le cadre de conventions) et créé eux-mêmes 4.722 places.
Ces chiffres sont cependant à rapprocher du nombre total de places (voir notre article ci-contre du 15 février 2010). Selon la récente étude du ministère, la France comptait, au 31 décembre 2008, 342.728 places en accueil collectif pour la petite enfance : 281.648 en accueil collectif proprement dit (crèches, haltes-garderies, jardins d'enfants, crèches parentales...) et 61.080 en accueil familial (crèches familiales, regroupant des assistantes maternelles agréées durant une partie de la journée). A cette même date, le secteur public, le secteur privé à but non-lucratif (structures associatives) et les CAF géraient 98% de ces places pour les structures mono-accueil et 96% pour les structures pluri-accueil. Et encore les 2% et 4% restant de structures privées correspondent-ils, pour l'essentiel, aux crèches d'entreprises, qui n'ont pas de vocation commerciale mais visent à répondre aux besoins des salariés. Même si les crèches privées à but lucratif atteignent l'objectif de 20.000 créations de places en quatre ans qui leur a été assigné par le gouvernement, elles ne représenteront qu'un très faible pourcentage du total, d'autant plus que le nombre de places en structures publiques ou associatives va continuer de croître sous l'effet du programme de créations de places financé par la Caisse nationale d'allocations familiales.
D'une façon qui peut d'ailleurs sembler paradoxale, le secteur privé à but lucratif est beaucoup moins présent dans le domaine de la petite enfance - théoriquement ouvert à la libre concurrence dans le cadre de la directive Services - que dans celui des structures pour personnes âgées, pourtant exclu du champ de la directive.
La crainte de la "crèche lettone" est donc encore moins crédible que celle du "plombier polonais", d'autant qu'une crèche se déplace moins facilement qu'un plombier. Mais, en lançant ainsi une mobilisation au lendemain de la transposition, l'Unccas et l'Uniopss se positionnent en réalité sur un double tableau. D'une part, elles s'inscrivent à la pointe de la vigilance sur les normes imposées aux établissements d'accueil de la petite enfance. Elles veilleront notamment à éviter que le secteur "soit soumis à terme aux seules lois du marché" au détriment des missions d'intérêt général. Elles seront donc en particulier très vigilantes sur les nouveaux assouplissements éventuels des normes d'encadrement et des obligations des différents modes d'accueil de la petite enfance. D'autre part, l'Unccas et l'Uniopss prennent date pour le futur processus d'évaluation mutuelle de la directive Services entre Etats membres, qui permettra, à l'issue de la transposition, de mesurer la pertinence des choix effectués.

 

Jean-Noël Escudié / PCA

 

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