Directive Services - La transposition de la France ignore les collectivités
Un échec pour les défenseurs des services sociaux. La proposition de loi socialiste sur la protection des missions d'intérêt général imparties aux services sociaux a été rejetée par l'Assemblée nationale, mardi 26 janvier, par 306 voix contre 153. L'enjeu de ce texte était de sortir les services sociaux du champ de la directive Services de 2006 qui libéralise les activités de services en Europe, de manière à les soustraire aux règles du marché. Mais le gouvernement a fait un autre choix : pas de loi de transposition en tant que telle, mais un rapport de transposition qui fait le point sur les différentes dispositions adoptées au fil des derniers mois (loi de modernisation de l'économie, loi HPST, proposition de loi de simplification du droit…). Or ce rapport vient tout juste d'être rendu public, le lendemain du vote des députés. "On peut déplorer le fait que le gouvernement ait attendu le vote de l'Assemblée nationale pour dévoiler son rapport qui aurait pu alimenter le débat, c'est une volonté de rétention de l'information", estime Laurent Ghékière, membre du collectif SSIG, un lobby qui regroupe une vingtaine d'associations du secteur. Fidèle à sa tradition, la France n'en est pas moins le seul Etat membre, avec l'Allemagne, à avoir opté pour ce mode de transposition, les autres ayant fait adopter une loi-cadre. Pour le collectif SSIG, si cette option n'a pas permis de débat public sur l'avenir d'un secteur qui regroupe quelque 60.000 organismes, elle laisse de surcroît les services sociaux dans l'insécurité juridique au regard des règles communautaires sur les aides d'Etat.
Crèches et haltes-garderies soumises à la concurrence
Le rapport français apparaît comme une sorte d'inventaire à la Prévert de qui est exclu ou ne l'est pas du champ d'application de la directive. "Il est utile de préciser que la très grande majorité des établissements et services sociaux et médico- sociaux sont exclus du champ d'application de la directive", assure le document. Selon l'argumentaire français, ces services satisfont aux deux critères cumulatifs d'exclusion du champ prévu à l'article 2-2j de la directive : les publics concernés se trouvant de manière permanente ou temporaire "dans une situation de besoin" ; les services reçoivent un "mandat des pouvoirs publics" pour exercer leur mission… Mais contrairement à ce que le gouvernement avait laissé entendre cet automne, services d'aide à domicile, crèches et haltes-garderies sont inclus et donc soumis à la concurrence européenne. Après le spectre du plombier polonais qui planait sur les débats de la directive Bolkestein (ancien nom donné à la directive Services), celui de la crèche lettone ! Il en va de même pour l'accueil des mineurs de plus de six ans. D'autres secteurs, comme le logement social, ne sont même pas mentionnés.
Pour les députés socialistes, cette situation risque d'engendrer des services à deux vitesses : des services privés pour les plus aisés et des services "réduits à la portion congrue pour les plus démunis". Situation qui, d'une certaine façon, existe déjà, mais qui pourrait s'accentuer si les subventions des collectivités devenaient illégales. C'est d'ailleurs l'un des principales lacunes de la transposition française, elle ne règle pas la question du "mandatement" prévu par le droit européen : pour être légales, les aides d'une collectivité publique doivent répondre à une obligation de prester (le mandatement) et correspondre à un "juste compensation". Le régime qui encadre ces aides est appelé le "paquet Monti-Kroes. "La grande limite du rapport de transposition français est qu'il n'adapte pas la directive à la construction territoriale française ; il ne prend absolument pas en compte la capacité des collectivités à mandater", explique Laurent Ghékière. Un pays comme le Danemark a, par exemple, clairement précisé dans sa loi-cadre que les services sociaux pouvaient être mandatés par l'Etat, les comtés et les collectivités locales. Ce n'est pas le choix de la France.
Débat porté au Sénat
A la question "existe-t-il des exigences imposées au niveau local ?", le rapport se limite à une réponse qui risque de surprendre les collectivités. "En France, l'élaboration et l'adoption des réglementations qui entrent dans le champ de la directive Services sont centralisées au niveau national, les collectivités territoriales ne détenant pas cette compétence", est-il indiqué. La question se pose notamment pour les régions qui mettent en place leurs services de formation professionnelle. "Les régions peuvent largement financer les centres de formation d'apprentis, que ce soit pour le fonctionnement ou les investissements, tout en se voyant imposer de lancer des appels d'offres de marché public d'une grande complexité pour financer une petite association locale de lutte contre l'illettrisme", a fait valoir le député PS d'Indre-et-Loire, Jean Patrick Gille, lors des débats à l'Assemblée. Pour sortir de cet imbroglio et sécuriser leurs services, plusieurs collectivités ont adopté des délibérations dans lesquelles elles définissent les missions, les obligations et les paramètres de compensation du service en question. La proposition de loi socialiste allait plus loin en reprenant à son compte l'idée du rapport Thierry de "convention de partenariat d'intérêt général" définissant pour chaque prestation le contenu du mandatement.
Toutefois, le PS ne désarme et vient de déposer la proposition de loi au Sénat cette fois-ci. La mobilisation des associations d'élus autour du mandatement des collectivités risque d'être plus forte, même si, pour l'heure, l'initiative s'apparente plutôt à un baroud d'honneur.
Michel Tendil