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Finances - La Cour des comptes se penche sur les emprunts structurés

Dans son rapport sur la gestion de la dette publique locale publié ce 13 juillet, la Cour des comptes se penche notamment sur la dérive des emprunts toxiques et estime qu'au-delà de la charte de bonne conduite déjà signée, des mesures législatives pourraient s'imposer. Elle exclut en revanche la création d'une structure de défaisance.

Au moment où la toute nouvelle commission d'enquête sur "les produits financiers à risque souscrits par les acteurs publics locaux" créée à l'Assemblée nationale a commencé ses auditions, où l'on commence à évoquer sérieusement les nouvelles difficultés d'accès à l'emprunt pour les collectivités (lire notre article du 12 juillet), la Cour des comptes vient d'apporter une importante contribution au dossier. Elle rendait en effet public ce 13 juillet son rapport thématique consacré à "la gestion de la dette publique locale". Un rapport dont la préparation avait été annoncée au printemps par le premier président de la Cour, Didier Migaud (lire notre article du 3 mars), et qui vient prolonger les constats et conseils déjà formulés par l'institution dans ses rapports annuels de 2009 et 2010. Si ce document de 200 pages - basé sur une enquête ciblée menée par les juridictions financières auprès de 150 collectivités territoriales et établissements publics locaux - traite de la question globale de l'endettement des collectivités, il est bien en partie centré sur le sujet plus précis du recours aux emprunts "structurés", ceux-là même qu'on a souvent qualifiés d'emprunts "toxiques".
S'agissant des données de cadrage sur l'endettement des collectivités, Didier Migaud a notamment relevé, en présentant le rapport à la presse, que cet endettement reste "maîtrisé", même si l'encours de dette a augmenté de 41% depuis 2004 (de +18% pour les communes à +80% pour les régions). Il a en tout cas augmenté moins vite que l'ensemble de la dette publique… Ceci, notamment, du fait de la fameuse règle d'or qui interdit aux collectivités de recourir à l'emprunt pour leurs dépenses de fonctionnement.
Autre point plutôt positif : le fait que la gestion de la dette se soit "professionnalisée", notamment dans les grandes collectivités évidemment, avec des progrès constatés tant en matière de mise en concurrence des préteurs que dans la gestion de la trésorerie.
Et pourtant… les emprunts structurés, ces offres qui ont su s'attirer les faveurs des collectivités en affichant un taux d’intérêt bonifié pendant une première période "en contrepartie d’un risque accru pendant la phase ultérieure", se sont bel et bien développés. "Un certain nombre de collectivités, qui ne disposaient pas des compétences internes suffisantes pour bien évaluer et souscrire de tels produits, se sont retrouvées confrontées à une stratégie marketing habile et agressive des banques", a résumé Didier Migaud. Manque de compétences internes, donc, manque de "vision stratégique", difficulté à analyser les recommandations prodiguées par des professionnels du conseil (surtout nécessaire lorsque le conseil est également le prêteur…), décisions prises sans que l'assemblée délibérante ait eu accès à une information complète, un contrôle de légalité imparfait parce que manquant de base légale solide… Les causes se cumulent. En n'oubliant pas que tout cela est marqué par une spécificité de taille : le fait que les emprunts ne soient pas soumis au Code des marchés. Ce qui, certes, n'aurait sans doute pas dû empêcher les collectivités de "mettre systématiquement en concurrence les prêteurs", relève la Cour.

"Risques élevés dans un nombre limité de collectivités"

Si tous les niveaux et toutes les tailles de collectivités ont pu être touchés par les produits structurés, leur nombre serait en réalité assez restreint. La Cour évoque "quelques centaines" de collectivités exposées, dont moins d'une centaine seraient "exposées gravement". Mais on ne dispose en réalité pas de statistiques précises. Sur le niveau de l'encours concerné par les emprunts structurés, la Cour l'estime à environ 30 ou 35 milliards d'euros (sur une dette publique locale de 160 milliards), dont 10 à 12 milliards avec "un risque potentiellement élevé". Le rapport parle ainsi de "risques élevés dans un nombre limité de collectivités". La "situation financière de l’ensemble du secteur local" n'est donc pas menacée. Même si, tous les effets de ces produits structurés ne se sont pas encore fait sentir dans la mesure où la période des taux d'intérêt bonifiés n'est pas toujours arrivée à son terme.
Quoi qu'il en soit, la conclusion de la Cour est claire : "il faut que l’Etat tire les conséquences du développement des emprunts structurés, pour éviter que cet épisode ne se renouvelle à l’avenir" et, donc, pour "mieux sécuriser la gestion de la dette locale". Certes, depuis le pic de la crise financière, quelques initiatives ont été prises. Il y a eu la fameuse charte de bonne conduite signée entre les associations d'élus et une partie des banques (mais pas toutes… notamment pas par certaines banques étrangères actives sur le marché français), il y a eu une circulaire en juin dernier… Mais visiblement, cela ne suffit pas.
Pour aller plus loin, la Cour préconise dans un premier temps de "faire le bilan de l’application de la charte de bonne conduite"… et de ses "insuffisances". Celle-ci semble en effet encore autoriser des produits trop risqués du fait de leur volatilité, entre autres ceux dont le taux d'intérêt est basé sur des écarts d'indices hors zone euro ou comportant des effets de levier. Pour Didier Migaud, ces insuffisances nécessitent peut-être de passer à des mesures législatives. Et, en tout cas, de développer un suivi très fin des emprunts les plus risqués déjà souscrits par les collectivités.
En revanche, les magistrats de la rue Cambon excluent catégoriquement l'idée, évoquée plusieurs fois par les élus locaux concernés, de création d'une "structure de défaisance", la jugeant "ni justifiée ni opportune", entre autres parce qu'elle serait contraire à "la responsabilisation des acteurs".
Les recommandations de la Cour tiennent également compte d'une nouvelle donnée : celle de la "raréfaction de l’offre" de crédit pour les collectivités – et du renchérissement de son coût -, à laquelle "il faut se préparer". La faute, notamment, aux recommandations de "Bâle III" (durcissement des normes en matière de liquidité bancaire, qui risquent entre autres de pénaliser les prêts à long terme), dont on ne peut encore mesurer tous les effets. Dans ce contexte, il faut aujourd'hui "rechercher une diversification des sources de financement des collectivités", résume Didier Migaud.
S'exprimant, enfin, sur le projet d'agence de financement des collectivités dans lequel se sont engagées plusieurs associations d'élus (voir par exemple notre article du 28 septembre 2010), le premier président semble juger l'idée intéressante… mais pose plusieurs préalables : avoir des garanties sur le champ d'intervention de cette agence, sur son niveau de fonds propres, sur sa capacité à respecter Bâle III… et ne pas engager la garantie de l'Etat. Mais Didier Migaud n'y voit pas une solution miracle.