La Cour des comptes étrille la santé scolaire
Selon la Cour, les difficultés de la santé scolaire viennent moins d'un manque de moyens et de personnel que "des failles de son organisation et de son défaut de pilotage", une situation qui s'explique "par l'opacité de l'exercice des activités et le cloisonnement des personnels". La loi Peillon de 2013 n'aurait rien arrangé. La création d'un Conseil de la santé scolaire est préconisée.
Dans le cadre de ses missions pour le compte du Parlement, la Cour des comptes, saisie par le président de la commission des finances de l'Assemblée nationale, publie son rapport sur "Les médecins et les personnels de santé scolaire". Cette publication intervient alors que la santé scolaire semble jouer un rôle assez limité dans le dispositif de réouverture des établissements scolaires. Et pour cause : c'est peu dire que la Cour se montre sévère avec une institution qui peine à trouver sa place et qui, au fil des annonces et projets non aboutis, balance toujours entre le champ de l'éducation et celui de la santé (voir nos articles ci-dessous).
Une priorité de second rang
D'autres institutions ont également rendu récemment des rapports assez critiques sur l'état de la santé scolaire. C'est le cas, entre autres, du Cese, de l'Assemblée nationale et de l'Académie de médecine (voir nos articles ci-dessous des 23 mars et 28 septembre 2018 et du 3 novembre 2017). Comme ces institutions, la Cour des comptes résume d'une phrase les "difficultés endémiques" de la santé scolaire : "Les médecins et les personnels de santé scolaire exercent des missions dont l'importance est reconnue au sein de l'Education nationale, mais qui apparaissent comme une priorité de second rang au regard du cœur de métier du ministère : la mission d'instruction".
Mais, à la différence de ses prédécesseurs, le rapport de la Cour des comptes ne se contente pas d'incriminer un manque de moyens. Il pointe aussi et surtout des difficultés de fonctionnement. Il relève que "le taux d'encadrement infirmier des élèves s'est redressé depuis plusieurs années pour s'élever à 1.300 élèves par personnel infirmier fin 2018", le nombre des infirmières scolaires atteignant près de 8.000. De même, la Cour constate que, bien que des crédits soient ouverts, "un tiers des postes de médecins de l'éducation nationale (contractuels compris) sont vacants et [que] le nombre de médecins scolaires a chuté de 15% depuis 2013". Conséquence : une baisse du taux d'encadrement médical des élèves de 20% en cinq ans, pour atteindre une moyenne nationale d'un médecin pour 12.572 élèves en 2018. Le taux d'encadrement a ainsi chuté dans 75 départements et même au-delà de 40% dans 31 d'entre eux. Ces difficultés "dépassent l'éducation nationale", victime de la démographie médicale malgré des tentatives pour améliorer l'attractivité du métier.
"La performance très médiocre de la santé scolaire"
Mais, aux yeux de la Cour, ces difficultés bien réelles "ne sauraient expliquer la performance très médiocre de la santé scolaire". Le rapport pointe notamment "une performance très en deçà des objectifs de dépistages obligatoires, due à une organisation défaillante". Entre 2013 et 2018, le taux de réalisation de la visite de la 6e année de l'enfant par les médecins scolaires, en principe généralisée et "déterminante au début des apprentissages scolaires, a chuté de 26%, taux déjà historiquement bas, à 18%". A l'inverse, le taux de réalisation du bilan infirmier de la 12e année a progressé, mais reste cependant inférieur à deux élèves sur trois (62%).
La Cour relève aussi des écarts dans la charge annuelle : 83 bilans par an et par infirmier pour le bilan de la 12e année (106 avec l'enseignement privé), contre 803 par médecin et par an pour celui de la 6e année. En outre, la charge du bilan infirmier par département va de un à trois, "illustrant une allocation des ressources infirmières loin d'être optimale" (les départements ruraux étant plutôt relativement bien dotés en raison du nombre plus élevé de collèges de petite taille).
Le problème n'est pas budgétaire
Pour la Cour des comptes, "les difficultés persistantes de la santé scolaire, dotée de 1.260 millions d'euros en 2019, ne tiennent pas à un manque de moyens budgétaires : sa masse salariale a crû de 12% depuis 2013". Les effectifs d'infirmiers scolaires ont crû de 40% en vingt ans (alors que les effectifs d'élèves restaient stables) et de 4% depuis 2013. Un effort significatif a également été consenti, depuis 2013, pour les assistantes sociales scolaires (+9%) et les psychologues (+5,2%), tandis que le ministère "dispose des emplois nécessaires pour recruter 30% supplémentaires de médecins de l'éducation nationale"' (ce qui suppose toutefois une revalorisation de leur statut). Conclusion logique : les difficultés de la santé scolaire viennent avant tout "des failles de son organisation et de son défaut de pilotage", une situation qui s'explique "par l'opacité de l'exercice des activités et le cloisonnement des personnels et des services, deux facteurs qui limitent fortement la conduite de l'action publique".
Le rapport pointe notamment "un dispositif qui ne rend pas compte et échappe à toute évaluation organisée" (notamment sous l'effet d'un boycott des statistiques par certains personnels depuis plusieurs années). Outre la demande de faire cesser "cette situation inadmissible", la Cour recommande la publication d'un rapport annuel sur la santé scolaire et la mise en place d'un Conseil de la santé scolaire, qui pourrait faire appel à des évaluations extérieures.
Contrer le cloisonnement des métiers, collaborer avec les ARS et l'assurance maladie
Le cloisonnement des métiers est un autre dysfonctionnement, avec des interventions segmentées et une gestion "en tuyaux d'orgue". Pire : la mise en œuvre de la loi de 2013 d'orientation et de programmation pour la refondation de l'école de la République a débouché sur des résultats inverses de ceux escomptés. Un arrêté du 3 novembre 2015 a ainsi donné un coup d'arrêt à la collaboration qui avait commencé de s'installer entre médecins et infirmières, en rendant les premiers seuls responsables de la visite de 6e année. Selon le rapport, "ce choix, à contrecourant de l'évolution retenue pour tout le reste des dispositifs et professions de santé, a contribué à la forte dégradation du service public". Afin de "dépasser ces obstacles pour respecter les objectifs donnés par la loi au système éducatif", la Cour des comptes formule plusieurs propositions. Elle recommande de créer des services de santé scolaire dans chaque rectorat et chaque DSEN, afin d'unifier l'intervention des personnels. La direction de ces services serait confiée à un inspecteur d'académie.
Autre préconisation : "collaborer avec les agences régionales de santé et l'assurance maladie pour utiliser des informations et moyens disponibles". La Cour estime en effet qu'"en l'état actuel de la démographie médicale, il est illusoire de penser que les objectifs nationaux de dépistages peuvent être atteints sans la construction de tels liens". La création d'un Conseil de la santé scolaire permettrait d'apporter un appui éthique, déontologique et scientifique "pour asseoir sur des bases solides la collaboration des personnels et la coopération avec la médecine de ville".