La convention des intercommunalités dominée par les préoccupations financières

Réunis du 16 au 18 octobre, au Havre, pour la 34e convention d'Intercommunalités de France, les élus communautaires ont exprimé leur colère face aux mesures de réduction des ressources des collectivités inscrites dans le projet de budget pour 2025. La ministre chargée du partenariat avec les territoires a répondu qu'elle était prête à revoir la copie gouvernementale en restant dans le cadre des 5 milliards d'euros d'économies prévues et a tendu la main aux élus pour dialoguer sur cette base. Chasse aux doublons et aux normes coûteuses, poursuite de la décentralisation... les élus intercommunaux ont dévoilé de premières propositions d'économies.

"L'intercommunalité ça compte." C'est sous une large banderole déployée au sommet de la salle du centre des congrès du Havre et faisant apparaître ce leitmotiv que s'est tenue du 16 au 18 octobre la 34e convention des intercommunalités de France. Un écho aux annonces faites huit jours auparavant par le gouvernement sur la contribution des collectivités locales au redressement des finances publiques. De fait, la question a occupé une large place dans les débats des quelque 2.000 congressistes, majoritairement des présidents de communautés de communes. L'heure n'est pas à la résignation chez eux. Bien au contraire. "Les intercommunalités de France se doivent de refuser les mesures budgétaires que l’État entend leur imposer", affirment-ils dans une motion adoptée à l'unanimité lors de l'assemblée générale de leur association ce 16 octobre.

Prélèvement de 3 milliards d'euros sur les recettes des plus grandes collectivités, gel du produit de la part de TVA destinée aux entités locales, réduction de 800 millions d'euros du fonds de compensation de la taxe sur la valeur ajoutée (FCTVA) : au total, le gouvernement attend 5 milliards d'euros d'économies des mesures inscrites dans le projet de loi de finances (PLF) pour 2025. A cela s'ajoutent notamment la baisse de près de 500 millions d'euros de certaines dotations de compensation ("variables d'ajustement"), "l'écrêtement" des dotations de certaines communes et des intercommunalités pour le financement de la progression des dotations de péréquation, ainsi que les coupes budgétaires affectant le fonds vert. 

"Des choix cruels pour nos habitants"

À elle seule, la "ponction" de 3 milliards d'euros, cet "impôt direct de l'État sur les budgets des collectivités" revient à "nous placer face à des choix cruels pour nos habitants", a dénoncé le président d'Intercommunalités de France. En détaillant qu'"à Carcassonne, c'est l'abandon de la reconstruction d'un centre social en plein coeur d'un quartier prioritaire de la politique de la ville (...) et à Béthune, c'est 86% du budget du CCAS". En 2026, "une partie des fonds" de ce mécanisme pourra être utilisée au profit des collectivités, mais pas toutes, "ce qui veut dire que ce n'est pas le retour assuré pour chacune des collectivités", a concédé Catherine Vautrin, la ministre chargée du partenariat avec les territoires, venue dialoguer ce 17 octobre avec les élus communautaires. Une hypothèse de reversement qui laisse sceptique l'équipe dirigeante d'Intercommunalités de France. Le gouvernement revient dès cette année sur la promesse faite il y a deux ans d'affecter aux intercommunalités la dynamique de la TVA en fonction de critères territoriaux, fait-elle valoir. 

Bien que radicales, ces mesures pourraient manquer paradoxalement leur objectif de faire baisser le déficit public, ont critiqué plusieurs présidents d'intercommunalité. Car pour poursuivre la mise en oeuvre de leurs investissements en cette fin de mandat, leurs structures devront peut-être avoir recours à des emprunts supplémentaires, qui creuseront la dette. Les mêmes élus ont souligné les effets récessifs des mesures prévues, qui devraient se traduire par une baisse de l'activité économique et des recettes fiscales.

Dans ce contexte, les intercommunalités sont "en plein brouillard", s'est alarmé un élu d'une communauté de communes lors de l'atelier consacré aux finances et à la fiscalité locales. Et d'interroger : "Comment allons-nous gérer l'incertitude de nos recettes ?"

"Pas exclusivement le tableur Excel de Bercy"

"Je voudrais remercier très sincèrement le gouvernement. Grâce à [lui], les contrats de Cahors sont en train de devenir populaires", a ironisé pour sa part Édouard Philippe, président de la communauté urbaine du Havre, en suscitant de nombreux rires et applaudissements dans l'assistance. Lorsqu'il était à Matignon, il avait mis en place ces dispositifs de limitation des dépenses de fonctionnement des plus grandes collectivités et intercommunalités. "La logique contractuelle, individualisée, qui ne prélevait pas et fixait une limite au-delà de laquelle il pouvait y avoir prélèvement, paraît aujourd'hui intéressante", s'est vanté l'ancien Premier ministre.

Catherine Vautrin s'est également référée aux contrats de Cahors, faisant valoir qu'en tant que présidente du Grand Reims, elle avait "hurlé" lorsque le gouvernement d'Édouard Philippe avait annoncé leur mise en place. Mais elle a dit devoir reconnaître qu'après le "choc", "nous avons relevé le défi avec les équipes". "Quand on sait travailler, il y a des réponses", a-t-elle lancé, souhaitant que les collectivités et intercommunalités s'inspirent de cet exemple.

D'autant que le PLF pour 2025 est loin d'être définitivement rédigé. Si l'objectif d'une contribution des collectivités de 5 milliards d'euros en 2025 à la réduction du déficit public est intangible selon la ministre - ce que certains élus intercommunaux ne veulent toutefois pas admettre -, les modalités peuvent évoluer dans une certaine mesure, a-t-elle clairement laissé entendre, comme elle l'avait déjà fait récemment devant des parlementaires ou les élus de France urbaine (voir notre article). "Je ne suis pas exclusivement dans le tableur Excel de Bercy, je suis dans des solutions alternatives de maîtrise de la dépense, c'est cela que nous devons faire ensemble", a-t-elle lancé.

Des économies pour des "prélèvements en moins"

Elle s'est en particulier montrée ouverte à la discussion sur la réduction de 800 millions d'euros du FCTVA, une recette que les intercommunalités ont incluse dans les plans de financement de leurs investissements. Comme lors des Journées de France urbaine et lors d'une rencontre, le 16 octobre, avec une délégation de Régions de France, elle a aussi affirmé que le relèvement du versement mobilité (VM) "fait partie des sujets sur lesquels nous devons travailler". À condition, a-t-elle cette fois aussi ajouté, que la taxe serve à financer les investissements dans les infrastructures.

La ministre a également de nouveau affirmé que le rapport de Boris Ravignon, le président d'Ardenne métropole, sera mis en œuvre. "C'est une voie d'économies" et "à chaque fois que nous faisons une économie, c'est quelque part un prélèvement de moins", a-t-elle fait remarquer. En dévoilant quelques-unes des pistes du rapport qui l'intéressent, comme la simplification de la commande publique ou la réduction des normes coûteuses pour les collectivités.

La ministre s'est aussi visiblement projetée au-delà du PLF pour 2025, évoquant le nécessaire chantier de la fiscalité locale. "Nous sommes dans une situation où toute une partie de la population ne participe pas à l’effort fiscal tout en bénéficiant des services qu’il permet de financer", a expliqué la ministre. Mais "il ne faut pas imaginer que cette baisse du soutien de l’État (…) soit compensée par la création d’un nouvel impôt. Ce n’est pas si facile", a prévenu Sébastien Martin dans la foulée, lors d'une rencontre avec des journalistes.

L'État pointé du doigt

"Après le concours Lépine de la taxe, ça va être celui de la réduction de la dépense", a ironisé le président du Grand Chalon. Soutenant depuis de longues années que "la coconstruction fait partie de son ADN", Intercommunalités de France a toutefois avancé de premières pistes d'économies pour la sphère publique. Sa première vice-présidente, Virginie Carolo-Lutrot, évoquant par exemple les "doublons" entre les agences de l'État et les ministères. L'État et ses contrôles jugés tatillons et parfois inutiles ont été montrés du doigt à plusieurs reprises au cours de la convention. "Si, aujourd'hui, on a un malaise au niveau des élus locaux, c'est à cause de l'État et pas de l'intercommunalité", a jugé Patrice Vergriete, président de la communauté urbaine de Dunkerque. Qui a affirmé s'être "battu", quand il était ministre en charge du logement, pour la décentralisation des crédits de MaPrimeRénov', le dispositif d'aides à la rénovation énergétique des logements. Intercommunalités de France partage ce voeu et continuera à le porter, ses responsables étant convaincus des avantages que procurerait une gestion décentralisée pilotée par les intercommunalités. Pour Sébastien Martin, les "coûts de gestion" des aides à la rénovation énergétique seraient "divisés par deux", car il n'y aurait "plus qu'un seul dossier", au lieu de deux aujourd'hui (celui de l'Agence nationale pour l'habitat et celui de l'intercommunalité).

D'une manière générale, la décentralisation est une "source d'économies", a plaidé Sébastien Martin. En réitérant les demandes de l'association qu'il préside en faveur d'une décentralisation de la politique de l'habitat. Mais aussi en appelant à "aller au bout d'une véritable décentralisation du développement économique des territoires". "Donnez-nous la main, avec les régions", a-t-il lancé à la ministre chargée du Partenariat avec les territoires. Une proposition très applaudie.

L'association revendique par ailleurs la mise en place d'une loi de programmation des finances locales, qui donnerait aux collectivités "de la visibilité" sur leurs ressources "sur toute la durée" du mandat, "fixerait des objectifs ambitieux en matière de péréquation", "aiderait à stabiliser les coûts financiers de l'État et, qui sait, à éviter les dérapages".

"Nous avons, au-delà des questions financières, la solution. Les territoires, l'intercommunalité c'est la solution aux préoccupations de nos concitoyens", a prôné Sébastien Martin dans son allocution de clôture de la convention, ce 18 octobre.