Sébastien Martin : "Nous nous battrons contre la ponction sur les budgets locaux"

2.000 élus et cadres intercommunaux sont attendus à la 34e convention des intercommunalités de France, qui se tient du 16 au 18 octobre au Havre. Dans une interview à Localtis, Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, détaille les grands enjeux de la rencontre, à laquelle participeront plusieurs ministres. Il se dit "déterminé" à obtenir la modification des mesures "injustes" d'économies visant les grandes collectivités locales, inscrites dans le projet de loi de finances pour 2025. "L'intercommunalité, c'est le faire ensemble (…). Ne nous privons pas de la relation de proximité qu'ont les élus municipaux avec leurs habitants", plaide l'édile.

Localtis : Quelques jours après les annonces gouvernementales sur la participation des collectivités locales à la maîtrise des finances publiques et l'exercice de la compétence eau, dans quel état d'esprit abordez-vous la 34e convention des intercommunalités de France ?

Sébastien Martin : Nous allons faire part de notre sentiment d'incompréhension, pour ne pas dire de colère, face aux choix budgétaires qui ciblent les collectivités locales et particulièrement les villes moyennes et grandes, les communautés d'agglomération, les communautés urbaines, les métropoles, les départements et les régions. On demande à 1,5% des collectivités de faire tout l'effort ! Nous sommes également déterminés à montrer que les intercommunalités sont essentielles au développement de notre pays, que ce soit en matière de petite enfance, de transition écologique, de développement économique et industriel, ou encore dans le domaine de la gestion de l'eau. Aujourd'hui, la moitié des intercommunalités représentant près de 80% de la population exercent cette compétence. 

Vous avez été très irrité par l'annonce faite par le Premier ministre de sa volonté de permettre aux communes de conserver leurs compétences de gestion de l'eau et de l'assainissement au-delà de 2026.

S'agissant de la méthode, d'abord, j'ai été particulièrement choqué que le Premier ministre fasse cette concession une semaine après l'annonce de l'organisation d'une grande conférence nationale sur l'eau, qui avait suscité de l'espoir. Sur le fond, ensuite, je veux dire que je ne suis pas obsédé par le transfert à l'intercommunalité. Je peux parfaitement concevoir - parce que je suis allé rencontrer leurs élus - que dans un certain nombre de territoires, il y ait un attachement très fort à une gestion communale de l'eau. Et je pense qu'il y avait sans doute moyen de trouver des assouplissements pour régler le problème de quelques territoires.

Quelles sont vos craintes ?

Beaucoup de territoires, le plus souvent ruraux, se préparaient au transfert à l'intercommunalité en 2026. Mais si l'on revient sur l'obligation du transfert, on va casser cet élan. Les projets pourraient être reportés, voire abandonnés. On risque de poursuivre une gestion chacun dans son coin d'un bien collectif qui est l'eau, alors que nous devons au contraire mieux nous organiser pour faire face au mur d'investissement qui nous attend dans ce domaine-là. Ce qui m'ennuie, c'est la volonté de certains de ne pas vouloir partager et de rester seuls face à cette question-là. Alors qu'aujourd'hui tant de communes ont transféré la gestion de l'eau à leur communauté de communes et ne reviendraient pas en arrière. Je n'ai en revanche pas de problème avec la gestion par des syndicats, qui sont une forme de coopération intercommunale. Je suis même très favorable à la présence de grands syndicats départementaux sur l'eau dans certains territoires ruraux.

Mais, selon certains, la gestion intercommunale de l'eau serait plus onéreuse.

Ce n'est pas ce que je remarque dans la communauté d'agglomération du Grand Chalon que je préside. J'y ai fait faire une étude qui couvre les 51 communes de la communauté et les territoires voisins. Certains secteurs sont très ruraux. Mais il s'avère que c'est à Chalon-sur-Saône que le prix de l'eau est le moins cher.

Est-ce que l'association est toujours allante pour dialoguer avec le gouvernement ?

Le dialogue et la coconstruction sont dans l'ADN d'Intercommunalités de France. Donc il n'est pas question de ne pas dialoguer. Cela étant, il faut que le gouvernement nous propose un dialogue. Alors certes, j'ai rencontré Catherine Vautrin [Ndlr : la ministre chargée du Partenariat avec les collectivités territoriales et de la Décentralisation] et cela a été sympathique. Mais, j'attends encore un cadre de dialogue qui soit clair. Par ailleurs, au-delà, nous avons engagé le dialogue avec les parlementaires.

Concernant le prélèvement sur les recettes de 450 collectivités prévu par le projet de loi de finances, espérez-vous amender la copie du gouvernement ?

Je ne pourrai pas me regarder dans la glace si à Intercommunalités de France nous ne mettons pas tout en œuvre contre cette mesure injuste de ponction de nos intercommunalités, mais aussi des communes, des régions et des départements. Le combat que nous menons n'est pas uniquement pour l'intercommunalité, il est pour tout le monde. A savoir les 450 territoires concernés - et les millions de Français qui y vivent et vont subir des baisses de la qualité du service public -, mais aussi les autres collectivités. En effet, si on enlève 1,6 million d'euros à des communautés d'agglomération comme celle du Grand Chalon, 10 millions d'euros à une métropole et à un département et davantage encore à une région, ça ne pourra pas être sans conséquences sur les petites communes, contrairement à ce que certains croient. Les intercommunalités, pour ne parler que d'elles, aident aujourd'hui leurs communes. La communauté d'agglomération du Grand Chalon, par exemple, dispose d'un service d'appui technique aux communes. Et de très nombreuses intercommunalités font de même. Si, demain, ce service disparaît, les élus communaux vont galérer. J'appelle donc les petites communes à se réveiller.

Le Premier ministre sera-t-il présent à la convention ?

Non, il ne viendra pas, pour un problème d'agenda. Je note que ce sera la première fois depuis longtemps qu'un Premier ministre ne s'exprimera pas à la convention des Intercommunalités de France. Cependant, plusieurs ministres feront le déplacement au Havre : Catherine Vautrin, Agnès Pannier-Runacher, Agnès Canayer, Françoise Gatel, François Durovray. Valérie Létard doit également nous rejoindre.

Que demandez-vous au gouvernement ? 

L'urgence est budgétaire, je le sais. Le sujet est très important. Mais quand reparlons-nous des sujets majeurs pour l'intercommunalité que sont l'emploi, la réindustrialisation et la transition écologique ? Quand reparlons-nous du programme Territoires d'industrie, de la décentralisation de la politique de l'habitat, des autorités organisatrices de l'habitat, de l'idée de confier aux intercommunalités les crédits de la rénovation énergétique et de vrais contrats de réussite de la transition écologique à l'échelle de nos bassins de vie ? J'aimerais que nous abordions tous ces sujets. J'ai certes été reçu pendant plus d'une heure et demie la semaine dernière par Catherine Vautrin, qui connaît parfaitement nos dossiers. Elle a un grand ministère, mais paradoxalement, beaucoup de sujets concernant les collectivités ne relèvent pas de son portefeuille. Je pense au logement, à la transition écologique, à l'industrie. Il faut maintenant qu'un cadre de dialogue s'instaure.

La convention se tient sur le thème "Intercos-communes : faire bloc ensemble". Pourquoi ?

70% des communes de France ont moins de 1.000 habitants et 90% comptent moins de 2.500 habitants. On a fait le choix de ne pas supprimer les communes. On a donc imaginé quelque chose d'unique : l'intercommunalité. C'est-à-dire le faire ensemble. Je n'ai jamais conçu l'intercommunalité comme autre chose que ce faire ensemble, communes et communauté. Il n'y a pas la commune d'un côté et l'intercommunalité de l'autre. Les élus sont les mêmes et c'est une force. Ceux qui veulent remettre en cause cet équilibre-là par le retour en arrière ou, au contraire, en voulant aller trop loin, ont tort. Ne nous privons pas de la relation de proximité, de confiance qu'ont les élus municipaux avec leurs habitants. Et ne cassons pas cette chose unique qu'est le fait intercommunal, grâce auquel, ensemble, on est plus fort. Nous allons rappeler cela au Havre.

Les dernières lois concernant le bloc local ont étoffé la palette des outils de gouvernance. Le fonctionnement du couple communes-intercommunalité peut-il, ou doit-il, encore être amélioré ?

Nous dévoilerons lors de la convention les résultats d'une grande enquête réalisée par le Cevipof auprès de nos élus. Plus de 3.000 d'entre eux y ont répondu. Je tiens à préciser que parmi eux, beaucoup sont des maires n'étant pas présidents d'intercommunalité. On peut en déduire que globalement les choses fonctionnent bien. Mais il y a deux points à améliorer. D'abord, la participation des conseillers municipaux à la vie de l'intercommunalité. C'est une question difficile, y compris dans les communes : beaucoup de maires ont du mal à impliquer leurs conseillers municipaux. C'est un point sur lequel il faut continuer à travailler. Mais ce n'est pas par la loi qu'on résoudra la question. Il faut plutôt laisser les présidents d'intercommunalité imaginer les meilleurs moyens de faire fonctionner leur gouvernance. Le deuxième sujet est la meilleure prise en compte des enjeux intercommunaux dans le débat qui aura lieu au moment des élections municipales. Une grande partie des élus sont d'accord là-dessus. Je rappelle que nous avons fait des propositions très concrètes : l'extension du "fléchage" aux communes de moins de 1.000 habitants et l'introduction du débat intercommunal dans les professions de foi des listes candidates. 

Le gouvernement entend se servir du rapport de Boris Ravignon sur le "millefeuille administratif". Des propositions de ce rapport vous semblent-elles judicieuses et applicables ? 

Oui, je pense par exemple que le système de double suivi des comptes, par le comptable public et l'ordonnateur, fait doublon. L’intervention des agents de la Direction générale des finances publiques pourrait évoluer vers un contrôle a posteriori. C'est une piste qui ferait économiser 1,8 milliard d'euros à l'Etat et aux collectivités, selon le rapport. Il faut la creuser. Il apparait aussi que les règles encadrant la commande publique sont à l'origine de coûts importants pour les collectivités. En particulier, la suppression du seuil intermédiaire des marchés à procédure adaptée pourrait générer des économies considérables. Il faut étudier cette piste-là, bien sûr en protégeant les élus face aux risques juridiques.

Le rapport recommande aussi la mise en place d'une incitation financière pour encourager les fusions volontaires entre des intercommunalités.

Ceux qui veulent le faire, le font. Mais, aujourd'hui, retoucher la carte intercommunale ne me semble pas être la priorité.