Transfert des compétences eau et assainissement : Michel Barnier laisse le choix aux communes
Attendu sur les mesures d’économies imposées aux collectivités territoriales, le Premier ministre s’est contre toute attente saisi du sujet de l’eau et de l’assainissement au Sénat, ce 9 octobre, lors de la séance des questions au gouvernement, pour permettre aux communes de conserver leurs compétences de gestion de l'eau et de l'assainissement, qu'elles auraient dû transférer de manière obligatoire aux intercommunalité en 2026. Une proposition de loi visant précisément à assouplir la gestion des compétences eau et assainissement sera discutée au Sénat ce 17 octobre.
Véritable serpent de mer, le transfert des compétences eau et assainissement pourrait connaître l’épilogue rêvé pour les maires. "Nous ne reviendrons pas sur les transferts déjà réalisés, mais il n'y aura plus de transfert obligatoire [aux communautés de communes] en 2026", a annoncé le Premier ministre, ce 9 octobre, alors qu’il était interpellé dans le cadre des questions d’actualité au gouvernement sur l’effort supplémentaire de 5 milliards d'euros demandé aux collectivités territoriales au titre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025. Il est temps de clôturer depuis la loi NOTRe de 2015, ce qui est une vraie difficulté, peut-être une blessure dans la confiance entre le gouvernement et le Sénat", a relevé Michel Barnier, précisant sa volonté de travailler à "affiner cette orientation" avec Catherine Vautrin, ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation, et Françoise Gatel, ministre chargée de la Ruralité, du Commerce et de l’Artisanat, et les sénateurs engagés sur cette question, parmi lesquels le centriste Jean-Michel Arnaud, dont la proposition de loi (PPL) visant précisément à assouplir la gestion des compétences "eau" et "assainissement" doit être examinée en séance la semaine prochaine.
Des réactions contrastées
Rappelant qu’elle "a toujours porté cette proposition", l’Association des maires de France (AMF) a immédiatement salué sur X "une mesure de liberté et d’efficacité, respectueuse du principe de subsidiarité". "Pour que le service de l'eau soit efficace et de qualité, les communes et leur intercommunalité doivent pouvoir choisir (leur) mode d’organisation, déterminer librement du transfert ou non de cette compétence en fonction des réalités locales", a-t-elle ajouté. "Une victoire pour la liberté communale", s’est également réjouie, dans un communiqué, l’Association des maires ruraux de France (AMRF). Il s’agit d’un "premier pas dans la bonne direction", souligne l’association d’élus ruraux, qui attend désormais sa concrétisation "dans les futurs textes de loi et de réglementation" "afin de restaurer une partie de la confiance entre les communes rurales et les décideurs nationaux".
Sans surprise, les propos tenus par le nouveau Premier Ministre, ne suscitent pas le même enthousiasme chez les élus intercommunaux. "J'ai rarement vu un tel niveau de mépris à l'encontre des intercommunalités", a réagi à chaud Sébastien Martin, président d'Intercommunalités de France, lors d’un point presse, relevant le "paradoxe " dans cette annonce "sans le moindre échange avant", alors que Michel Barnier a promis une grande conférence nationale sur l'eau dans son discours de politique générale.
"Catherine Vautrin nous avait expliqué ce matin que c’était un sujet directement porté par le Premier ministre, dont acte", relève-t-il, reconnaissant "ne pas s’attendre à grand chose d’autre sur une PPL du Sénat". Celui-ci affirme toutefois "ne pas avoir l’intention de laisser tomber les choses", et donne "rendez-vous à l’Assemblée nationale", sachant que le texte "doit être examiné par les deux chambres" pour entériner la suppression du caractère obligatoire du transfert. D’ici là le prochain congrès d’Intercommunalités de France, prévu au Havre, du 16 au 18 octobre, sera sans aucun doute le théâtre de vifs débats à ce sujet. "Je crois à la liberté des communes, bien évidemment, mais face au mur d’investissements en matière d’eau et d’assainissement, la solidarité des communes entre elles qui s'exprime à travers le fait intercommunal est sans doute une réponse plus efficace", argumente le président du Grand Chalon. Intercommunalités de France avait d'ailleurs dévoilé en mars une cartographie des 198 points noirs en termes de fuite, pointant que 151 des services d’eau sont en gestion communale isolée. "Le jour où certains n’auront plus d’eau, il ne faudra pas qu’ils viennent se tourner vers d’autres pour expliquer que c’est de leur faute", appuie Sébastien Martin. "J’espère que l’on n’a pas acheté le soutien des sénateurs avec un verre d’eau", assène-t-il, s’interrogeant sur le peu de réactions des sénateurs concernant les ponctions sur les recettes de 450 grandes collectivités.
De nombreux aménagements au transfert obligatoire
Le transfert des compétences eau potable et assainissement aux intercommunalités doit s’achever au 1er janvier 2026. A ce stade, 48% des intercommunalités exercent la compétence eau potable et 56% la compétence assainissement, et environ 540 des 1.254 intercommunalités ont pris les deux compétences, selon les derniers chiffres communiqués par Intercommunalités de France. L'obligation est contestée de façon constante par le Sénat malgré les assouplissements successifs. Tandis que le transfert des compétences eau et assainissement aux communautés d’agglomération est devenu obligatoire le 1er janvier 2020, la loi dite "Ferrand" de 2018 a créé une possibilité de report en 2026 aux communautés de communes via une minorité de blocage. La loi Engagement et proximité de 2019 est également venue faciliter les modalités de ce report, et introduire un mécanisme très encadré de délégation de compétences. Enfin la loi 3DS, a permis le maintien par principe des syndicats de gestion des eaux préexistants, sauf délibération contraire de la communauté de communes.
Plusieurs propositions de loi similaires d’initiative sénatoriale, visant à rétablir le caractère facultatif des compétences eau et assainissement ou à assouplir l'obligation de transfert, ont par ailleurs été déposées au cours des dernières années. "C’est […] la sixième fois en quelques années que nous délibérons d’un aménagement de la mutualisation des compétences eau et assainissement au niveau intercommunal", dénombrait en juin 2023, Sacha Houlié, alors président de la commission des Lois de l’Assemblée nationale, lors de l’examen en séance publique de la proposition de loi du sénateur Jean-Yves Roux. Et visiblement pas la dernière puisque le Sénat s’apprête à examiner la PPL portée par Jean-Michel Arnaud.
Seules les communes n'ayant pas encore opéré le transfert sont visées
Plus de transfert obligatoire en 2026 pour les communes n'ayant pas encore opéré le transfert et donc pas de retour en arrière sur les transferts déjà réalisés. C’est en substance l’annonce faite par Michel Barnier. La PPL dont l’examen est prévu ce 17 octobre s’en distingue sur plusieurs points. Tout d’abord, le texte cible les communes situées en zone de montagne, et permettrait à celles qui n'ont pas encore transféré les compétences eau et assainissement d’y déroger. Qu'elles appartiennent à une communauté de communes ou une communauté d'agglomération située en zone de montagne, les communes concernées ayant déjà transféré ces compétences pourraient également en obtenir la restitution. Pour les communes membres d'une communauté de communes dont le territoire n'est pas situé en zone de montagne, le transfert des compétences "eau" et "assainissement" demeurerait donc obligatoire, mais serait assorti de nouveaux assouplissements prévus par la PPL.