Décentralisation : le rapport Ravignon veut rebattre les cartes

Au minimum 7,4 milliards d'euros : c'est ce que coûte le millefeuille administratif à la France, selon la mission conduite par Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières, qui a remis ce 29 mai son rapport au gouvernement sur le sujet. Pour réduire la facture, elle préconise une "clarification des responsabilités, des compétences et des moyens des collectivités". Avec à la clé de nouveaux transferts de compétences entre l'Etat et les collectivités, ainsi qu'entre ces dernières. La mission fait également des propositions pour limiter le coût des normes qui s'appliquent au monde local.

 

C'est un gisement d'économies qui n'avait pas encore été chiffré : le coût du "millefeuille administratif" lié aux compétences partagées par l'Etat et les collectivités, d'une part, et par les collectivités entre elles, d'autre part, "peut être estimé à 7,4 milliards d'euros", selon le rapport de la mission pilotée par Boris Ravignon, maire de Charleville-Mézières.

Alors que l'exécutif a déjà acté 10 milliards d'euros de coupes dans les dépenses de l'Etat en 2024 et cherche 10 milliards d'économies supplémentaires, les coûts de "l'enchevêtrement" des compétences "ne peuvent pas être tous supprimés mais ils peuvent être diminués", note le gouvernement dans un communiqué.

Le rapport de Boris Ravignon, qui a été remis ce 29 mai au gouvernement, précise que le coût du "millefeuille administratif" pèse principalement sur les collectivités (6 milliards d'euros), l'Etat supportant une charge financière quatre fois moindre (1,5 milliard d'euros).
Pour parvenir à ce total de 7,4 milliards d'euros - ce qui constitue "un ordre de grandeur" et "sans doute un minimum" –, la mission s'est appuyée sur une enquête auprès de 178 collectivités ou groupements ainsi que de 54 préfectures et directions déconcentrées des services de l'Etat. 

Coûteuses coordinations

Dans le détail, le coût de l'enchevêtrement des compétences est estimé à 4,8 milliards d'euros pour les communes, 696 millions d'euros pour les intercommunalités, 355 millions d'euros pour les départements et 117 millions pour les régions. Les coûts liés à la coordination entre différentes administrations qui exercent conjointement une politique publique représentent à eux seuls 85% des 7,4 milliards d'euros. Parmi les compétences dont le partage coûte le plus cher, la mission cite l'enseignement (1,2 milliard d'euros), l'urbanisme (819,5 millions) et la voirie (566 millions).

La mission écarte l’idée de supprimer une strate de collectivités pour réduire le millefeuille administratif. "Les économies associées à la disparition d’un niveau d’administration paraissent se limiter aux seules indemnités des élus intéressés", critique-t-elle. En estimant à 130 millions d'euros le gain que procurerait "de manière certaine" la suppression des départements.

Boris Ravignon plaide plutôt pour un "vaste" exercice de "clarification", pour exploiter les "gisements considérables d’économies" qu'il recèle. Selon lui, la clé de réussite de la décentralisation réside dans "l'alignement entre la responsabilité politique, les compétences juridiques et les moyens financiers". Il convient d'opérer cet alignement "partout où cela est possible", souligne-t-il. Il reprend ainsi une observation qu'a faite à plusieurs reprises le président de la République. 

Départements renforcés

Avec cet exercice, les compétences des départements seraient consolidées. La mission recommande en effet d'"unifier" à leur niveau la responsabilité en matière de grand âge. Les départements auraient donc la tutelle unique des Ehpad, les agences régionales de santé (ARS) abandonnant celles qu'elles exercent aujourd'hui. De même, les départements seraient pleinement responsables de la politique du handicap, "en intégrant tous les moyens nécessaires", alors qu'aujourd'hui les services de l'Etat interviennent encore largement dans ce domaine. Toutefois, la mission n'a "pas tranché" la question du transfert de la responsabilité de l'Allocation adulte handicapé (AAH).

Les gestionnaires des collèges, aujourd'hui encore rattachés hiérarchiquement aux chefs d'établissement, seraient entièrement placés sous la responsabilité des départements. Ceux-ci hériteraient aussi de la médecine scolaire.

Concernant les services d'incendie et de secours (SDIS), la mission recommande de "terminer" leur départementalisation, "en transférant aux départements la responsabilité des Sdis et leur financement intégral". Les maires et présidents d'intercommunalité grinceront des dents, car leurs collectivités et établissements assurent aujourd'hui 45% en moyenne du financement des Sdis. 

Les départements se verraient par ailleurs confier un rôle de chef de file en matière d’accès aux soins, les autres collectivités ayant encore la possibilité d'agir dans ce domaine.

Communes pleinement en charge de la tranquillité publique

En matière de logement, la mission soutient l'idée d'une décentralisation vers des autorités organisatrices de l'habitat, qui selon les cas sont des intercommunalités ou des départements (en milieu rural). 

En revanche, le réseau routier départemental situé à l'intérieur des agglomérations serait transféré aux villes ou aux intercommunalités concernées.

La mission recommande par ailleurs la délégation des moyens des contrats de villes (politique de la ville) aux intercommunalités. Avec les communes, ces dernières deviendraient les chefs de file des équipements culturels et sportifs qui sont implantés sur leur sol. Toujours au sein du bloc communal, les maires des villes de plus de 20.000 habitants se verraient confier de nouvelles responsabilités et moyens en matière de tranquillité publique.

Les régions ne seraient pas en reste. La mission recommande de leur attribuer un rôle de chef de file en matière de transition écologique et de tourisme – ces politiques demeureraient communes à l'ensemble des collectivités. Elle envisage aussi de leur attribuer la gestion des routes non concédées qui demeurent aujourd'hui gérées par l'Etat.

Haro sur les financements croisés

La mission recommande par ailleurs de relancer le mouvement de création des communes nouvelles par de nouvelles incitations financières (notamment la majoration de 10% de la dotation globale de fonctionnement des communes concernées, pendant trois ans). De même, il est proposé de "relancer les regroupements intercommunaux volontaires", là encore par une incitation financière.

La mission consacre un important volet aux finances locales, d'abord sous l'angle des économies. Les financements croisés (14 milliards d'euros en 2022) sont dans son collimateur. Leur coût de gestion est estimé à 974 millions d'euros pour les collectivités et l'Etat. Pour l'abaisser "fortement", "sans réduire le soutien dont bénéficient les collectivités", la mission préconise notamment de transformer les subventions d'investissement de l'Etat au bloc communal et aux départements en une majoration des dotations de fonctionnement.

Au-delà, la mission affirme tout de go que "la refondation complète du financement des collectivités territoriales est indispensable". Sans entrer dans le détail, elle prône la restauration d'un levier fiscal pour les départements et régions.

Complexité de la gestion des personnels

Autre source d'économies significatives identifiée par la mission : la simplification des normes pesant sur les collectivités territoriales. Elle a recensé 50 normes "particulièrement pénalisantes ou absurdes", dont près de la moitié relève de la gestion des personnels territoriaux.

Le coût, jugé "élevé", de la gestion des ressources humaines (RH) des collectivités territoriales "rend indispensable l’engagement d’un exercice spécifique de simplification", estime Boris Ravignon. Il propose de simplifier les procédures de gestion des RH pour parvenir à des économies comprises entre 102 et 204 millions d'euros. Il préconise aussi de déconnecter l'augmentation du point d'indice dans la fonction publique territoriale de celle qui s'applique aux deux autres versants (Etat et hôpitaux). Mais Emmanuel Macron, qui avait proposé cette piste au début de son premier mandat, l'a abandonnée devant le refus unanime des employeurs territoriaux et des syndicats.

"Le rapport de la mission viendra nourrir le diagnostic établi par Eric Woerth dans le cadre de la mission qui lui a été confiée par le président de la République", indiquent dans leur communiqué commun le ministre délégué aux Comptes publics, Thomas Cazenave, et la ministre déléguée aux Collectivités territoriales, Dominique Faure. 

Nul doute aussi que les différentes pistes seront présentées aux élus locaux dans le cadre de la discussion qui a été ouverte le 9 avril dernier au sein du Haut Conseil des finances publiques locales (voir notre article), sur la participation des collectivités au redressement des comptes publics.