Eric Woerth : le nouvel acte de décentralisation ne sera pas "un chamboule-tout"
Moins de six semaines avant le dépôt de son rapport sur la décentralisation, Eric Woerth a exposé longuement ses nombreuses pistes de travail, le 27 mars, auprès de ses collègues députés. L'occasion d'une nouvelle mise au point : il ne préconisera pas la suppression d'une strate de collectivités. Il a toutefois confié qu'il expertisait le scénario de l'instauration du conseiller territorial. "A la recherche d'un nouvel acte de décentralisation", il a prôné le transfert du pouvoir réglementaire aux collectivités dans le champ de leurs compétences et confirmé vouloir renforcer leur pouvoir de taux en matière fiscale.
La mission pilotée par Eric Woerth proposera "un nouvel acte de décentralisation" et non "le grand soir", a martelé l'ancien ministre du Budget, ce 27 mars, devant ses collègues députés de la délégation aux collectivités territoriales. "On ne supprimera pas de strate de collectivité locale", a-t-il réitéré, alors que la publication de sa lettre de mission avait entraîné de vives craintes chez les élus locaux dans la mesure où elle invitait le député à se pencher sur "la simplification de l'organisation territoriale, en vue de réduire le nombre de strates décentralisées aujourd'hui trop nombreuses" (voir notre article du 17 novembre). "C'est très difficile de supprimer une strate" et "ce n'est surtout pas nécessaire", a soutenu Eric Woerth. En insistant sur le besoin d'une meilleure "articulation" des catégories de collectivités entre elles : "On a simplement besoin qu'elles fonctionnent bien et qu'elles fonctionnent ensemble".
"Des propositions" sur le conseiller territorial
L'ancien conseiller régional de Picardie a en revanche confirmé qu'il ferait "des propositions" sur le conseiller territorial, cet élu qui devait cumuler les mandats de conseiller départemental et de conseiller régional, mais sur lequel François Hollande était revenu après son accession à l'Elysée. "Je ne me prononcerai pas" sur l'opportunité du retour du conseiller territorial, a expliqué Eric Woerth. En indiquant toutefois regarder si, compte tenu notamment de la création des grandes régions en 2016, cette piste était viable à la fois "techniquement, électoralement et juridiquement". L'élu ne s'est pas attardé sur ce sujet qui inquiète les présidents de départements. Le patron de Départements de France, François Sauvadet, a par exemple déclaré fin février que "le conseiller territorial avec des grandes régions, quel que soit le mode de scrutin, c'est la disparition du département" (voir notre article).
Eric Woerth a par ailleurs exclu de revenir sur le découpage des régions, malgré les nombreuses critiques à l'encontre des grandes régions. Le rapport qu'il remettra début mai au président de la République fera toutefois des propositions concernant la "situation particulière" de l'Alsace, laquelle souhaite sortir de la région Grand Est.
Transfert du pouvoir réglementaire
Rejetant toute envie d'un "chamboule-tout", il a plaidé cependant pour des "mesures structurantes", notamment le transfert du pouvoir réglementaire aux collectivités territoriales dans le champ de leurs compétences. "Si vous avez une compétence sans pouvoir réglementaire, c'est comme si vous recevez un matériel électronique sans mode d'emploi", a-t-il glissé. Avec cette petite révolution, chaque collectivité pourrait définir les modalités de fonctionnement des politiques qu'elle mène. "L'Etat doit arrêter d'intervenir à tout bout de champ dans une compétence qu'il a donnée aux collectivités locales", a défendu Eric Woerth, évoquant un combat "culturel" dans un pays de tradition très centralisée.
La collectivité qui est le chef de file d'une politique doit être "le leader des tours de table" financiers, a par ailleurs prôné le député, en critiquant le chef de file "mou" qui a été instauré par la loi Engagement et proximité de décembre 2019.
Depuis son audition le 8 février par la délégation sénatoriale aux collectivités, au cours de laquelle il avait dévoilé de premières pistes (voir notre article), Eric Woerth a poursuivi ses consultations et ses travaux ont avancé sur de nouveaux points, qu'il a mis en avant ce 27 mars.
Deux catégories de communautés au lieu de quatre
Pour ce qui concerne le "bloc communal", il a estimé que le maire doit être "mieux reconnu". Mais il s'est surtout exprimé sur l'intercommunalité. En défendant l'idée, dans un but de simplification, de passer de quatre catégories juridiques à seulement deux. Ceci, en réunissant les communautés de communes et d'agglomération dans un même groupe et en faisant de même pour les communautés urbaines et les métropoles. En sachant que les communautés resteraient "sur les compétences qui sont les leurs". Autre indication : les communautés les plus grandes seraient obligées de passer un contrat avec le département de leur ressort (les partenaires étant libres d'en définir le contenu).
Le député a par ailleurs prôné une plus grande liberté de choix des élus des intercommunalités en ce qui concerne les "compétences à venir". Ces dernières ne seraient "pas nécessairement obligatoires", mais "prises sur une liste générale de compétences", et ce via un "accord" au titre du "pacte de gouvernance" local.
Le département en charge des réseaux ?
Eric Woerth s'est dit favorable au transfert obligatoire de la gestion de l'eau aux intercommunalités à fiscalité propre qui est programmé par la loi pour 2026, mais a estimé que le département devrait jouer un plus grand rôle sur cette question. Dans un certain nombre de cas, le département peut mieux organiser les choses qu'une intercommunalité, a estimé l'élu. De même, pour ce qui est de la prévention des inondations – une compétence conférée aux intercommunalités - "est-ce que cela ne doit pas être le département qui lève la taxe et qui met en œuvre les outils de prévention des inondations ?", s'est-il interrogé. En estimant plus généralement que le département est "un bon lieu de construction des réseaux" - tous types de réseaux - et qu'il devrait "jouer un plus grand rôle" dans ce domaine. Une idée est défendue depuis plusieurs années par Départements de France.
Alors que le président de la République avait déclaré en novembre que les dépenses des départements sont "des dépenses sociales", déclenchant l'indignation des élus concernés, le pilote de la mission sur la décentralisation a estimé que le département, "ça ne peut pas être que des solidarités", car "c'est bien plus que ça". Il est aussi "sans doute le lieu d'une forme de péréquation ruralo-urbaine" et "un peu la machine à tout faire des collectivités locales". Les élus départementaux devraient apprécier ces propos flatteurs.
Financement de la compétence sociale des départements
Quant aux régions, elles doivent exercer "à plein" leurs compétences, notamment celle du développement économique, qui doit être "une compétence exclusive" (avec une possibilité de délégation), a dit le député. Il a aussi souhaité que les régions soient dotées d'outils pour effectuer un meilleur suivi des schémas régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (Sraddet), sans aller jusqu'à exercer une "hiérarchie vis-à-vis des collectivités". Il a par ailleurs appelé de ses vœux une plus grande capacité des régions à "monter des tours de table" sur les grandes infrastructures.
Les propositions de la mission en ce qui concerne les finances "s'orientent vers un partage de fiscalité nationale". Eric Woerth a seulement énoncé les grands principes du schéma qu'il conçoit. "Il y aura plus de pouvoir de taux" pour les collectivités et il existera "un lien entre l'impôt lui-même et la charge prépondérante qui est celle de la collectivité". S'agissant des départements, Eric Woerth estime que le financement de la compétence sociale doit être clarifié. "On proposera une cohérence du partage d'un grand impôt national, avec une territorialisation de cet impôt pour les départements et une méthode de financement du social", s'est-il contenté d'indiquer. En estimant que de leur côté, les régions doivent bénéficier des retombées fiscales des actions de développement économique qu'elles mènent, via un impôt national partagé.
Dotation unique pour soutenir l'investissement local
L'élu a dit aussi travailler à des propositions pour simplifier et harmoniser les demandes de subventions – notamment des communes - auprès de l'Etat, ainsi que des départements et des régions. Il s'est par ailleurs déclaré favorable à la création d'une dotation unique de l'Etat pour soutenir l'investissement du bloc communal (à la place des différents dispositifs existants, dont le fonds vert). "En relation avec les élus", le préfet devrait être "plus libre" de distribuer ces subventions, et ce dans un cadre "pluriannuel", a-t-il estimé.
En matière de contractualisation, il a souhaité que les départements et les métropoles soient signataires des contrats de projets Etat-région (CPER), lorsqu'ils participent au financement des projets inscrits dans ces derniers. De même, il a estimé que les régions devaient être signataires des contrats de relance et de transition écologique (CRTE), quand elles sont appelées à leur financement.
La mission Woerth fera des propositions sur bien d'autres questions, dont celles du cumul des mandats et des indemnités des élus.