Derrière la crise agricole, un combat pour les compétences
François Sauvadet et Carole Delga ont profité du Salon de l'agriculture, mercredi 28 février, pour échanger à distance sur la question des compétences et de l'intervention des départements dans l'économie de proximité. Opposés sur ce point, les deux élus se retrouvent pour demander une modification de la loi afin de favoriser les productions locales dans les cantines des collèges et lycées.
Séparés de quelques dizaines de mètres lors du Salon de l'agriculture ce mercredi 28 février, le président de Départements de France, François Sauvadet, et la présidente de Régions de France, Carole Delga, ont pu échanger à distance sur la question des compétences dans le domaine agricole. Dès le début de la crise, François Sauvadet avait demandé à ce que le département puisse réinvestir le champ de l'économie de proximité dont la loi Notre de 2015 l'a privé, afin de pouvoir soutenir les producteurs en difficulté. Il est revenu sur sa proposition, à l'occasion de la signature d'une convention avec l'association Demain je serai paysan qui vise à promouvoir les métiers de l'agricultures auprès des jeunes. "Nous sommes au cœur des solidarités territoriales. Nous sommes le premier bouclier du monde rural aujourd'hui", a-t-il plaidé, lors d'un point presse. "Le département, ce n'est pas que la solidarité sociale", a-t-il ajouté, appelant à "revisiter" l'organisation territoriale du pays. Selon lui, la mission confiée à Eric Woerth offre une "dernière chance" de conforter le département dans sa mission de proximité. "Le tissu rural s'étiole, s'abîme, se déchire. On n'a pas les réponses adaptées, la région n'a pas vocation à aller sur le terrain", a-t-il affirmé. La mission doit rendre son rapport courant mai. Mais au vu des déclarations d'Eric Woerth au Sénat le 8 février, ce n'est pas l'orientation prise pour le moment. "La loi a tranché sur les compétences entre les uns et les autres. (…) On respecte cela", a déclaré le député (voir notre article du 9 février). "Si on fragilise le département, on le regrettera, car cela accélèrera le sentiment de désespérance", rétorque François Sauvadet.
"On ne va pas commencer à changer un dispositif qui fonctionne bien"
A une encablure de là, sur le stand de la région Bretagne, Carole Delga a tenu à mettre les choses au clair. Il est faux de dire, selon elle, que les régions ne sont pas sur le terrain. "95% des crédits des régions sont pour les TPE et PME", a-t-elle assuré, lors d'un déjeuner de presse, au côté du président de la région Bretagne Loïg Chesnais-Girard, président de la commission "Agriculture" à Régions de France. "L'économie de proximité, nous savons le faire et nous le faisons", a-t-elle martelé, prenant l'exemple d'une aide de 3.000 euros à un électricien de Massat, en Ariège. "On ne va pas commencer à changer un dispositif qui fonctionne bien, les aides aux entreprises, c'est les régions."
En revanche, les deux élus sont d'accord sur un point : faire bouger les règles de la commande publique pour favoriser la production locale dans la restauration collective, comme ils s'en sont ouverts dans un courrier commun adressé au Premier ministre (voir notre article du 27 février). Les deux présidents d'association appellent à lever d’interdiction du critère de proximité dans les marchés publics. Ils demandent aussi de confier aux collectivités territoriales compétentes pour le service public de la restauration scolaire l’autorité hiérarchique sur les gestionnaires des cantines des collèges et lycées (à savoir l'Education nationale) qui, parfois, ne tiennent pas compte de leurs délibérations. "Nous n'avons aucun moyen de faire en sorte que nos budgets puissent aller vers les producteurs locaux, les producteurs bios, les producteurs sous signe officiel de qualité", a déploré Carole Delga. "Nous avons absolument besoin que cette restauration collective permette un revenu pour nos agriculteurs et une alimentation de qualité", a-t-elle insisté, précisant que les lycées servent 220 millions de repas chaque année.
Renouvellement des générations
Départements et régions entendent aussi être au rendez-vous du défi du renouvellement des générations. Un défi porté par la loi d'orientation agricole qui, après avoir été remaniée dans le contexte de crise, devait être transmise cette semaine au Conseil d'Etat pour une présentation en conseil des ministres le 20 mars. Selon Loïg Chesnais-Girard, le trinôme Etat-région-chambres d'agriculture semble "bien installé" sur ce sujet et les discussions à trois permettent d'avancer "très concrètement". Mais, insiste-t-il, un sujet non abordé dans la version initiale a été remis au goût du jour avec la crise : l'accès au foncier. Le sujet pourrait figurer dans le projet de loi d'orientation agricole ou dans un texte spécifique. Carole Delga demande aussi que des assouplissements juridiques soient apportés pour permettre aux régions de créer plus facilement des foncières. Il a fallu dix-huit mois à la région pour créer sa foncière en place depuis deux ans (voir notre article du 7 juillet 2022). Un "parcours du combattant". Mais il faut aussi renforcer leurs capacités financières. "J'ai besoin d'avoir un volume beaucoup plus fort pour porter beaucoup plus de terres (…) Il faut que la Caisse des Dépôts rentre pour produire un effet de levier et avoir un volume beaucoup plus important", a-t-elle déclaré. L'idée est actuellement développée dans le cadre du plan France 2030.
De leur côté, les départements entendent participer à la sensibilisation aux métiers de l'agriculture dans les collèges. C'est le sens de la convention passée avec Demain je serai paysan. "60% des agriculteurs ont plus de 50 ans. C'est un choc incroyable", a appuyé François Sauvadet. "Il n'y a pas de plus beau métier au monde, vous êtes au cœur de toutes les problématiques", a-t-il déclaré aux jeunes agriculteurs.