Normes et mesures financières imposées aux collectivités : comment desserrer l'étau ?

La capacité d'action des collectivités et de leurs élus semble de plus en plus contrainte et soumise à de fortes incertitudes, selon une mission d'information du Sénat qui a analysé les conséquences des décisions budgétaires et réglementaires de l'Etat dans cette évolution. Elle formule dix propositions pour "mieux mesurer et limiter l’impact" de ces décisions sur les finances locales.

"Qu'elles soient de nature budgétaire ou réglementaire", de multiples décisions de l'Etat pèsent lourd sur les finances des collectivités locales et participent au "découragement" que ressentent nombre d'élus locaux, estime une mission d'information du Sénat. Créée à l’initiative du groupe Rassemblement démocratique et social européen (RDSE) et présidée par le sénateur LR Jérôme Bascher, cette mission s'est donnée pour but d'évaluer l'impact de ces décisions "trop souvent prises sans réelle concertation locale et sans 'délai de prévenance'".

En forte croissance (le code général des collectivités territoriales a triplé de volume entre 2022 et 2023), les normes réglementaires ont "un impact très négatif pour les finances des collectivités", déplore la mission. D'une complexité croissante, ces normes présentent, pour une large majorité d'élus locaux sondés en début d'année par le Sénat, de nombreux défauts : elles les placent "face à des injonctions contradictoires" et ne sont pas toujours appliquées de la même manière par l'administration de l'Etat. Non seulement elles induisent des coûts pour les finances locales, mais elles "entravent" l'action des élus locaux.

Collectivités devenues des "annexes de la préfecture"

Ces dernières années, les gouvernements successifs ont mis en œuvre de très nombreuses réformes budgétaires touchant les finances des collectivités locales. Depuis 2010, quelque 70 décisions (suppression de la taxe d'habitation sur les résidences principales et de la CVAE, réduction des impôts des locaux industriels…) ont été prises concernant directement la fiscalité locale, selon le recensement effectué par la mission. Le bilan serait "peu satisfaisant", le système étant devenu "peu lisible" et les modalités de compensation (via l'affectation de parts d'impôts nationaux) étant, elles, "complexes".

La mission rappelle, par ailleurs, que si la dotation globale de fonctionnement (DGF) a baissé de plus de 10 milliards d'euros entre 2014 et 2017, elle n'a pas été rendue plus simple dans sa répartition.

Avec ce mouvement de "recentralisation des moyens", de plus en plus d'élus locaux estiment que leur "pouvoir d'agir" s'est réduit. "Nous sommes devenus une annexe de la préfecture", ont ainsi témoigné certains d'entre eux lors de leur audition par la mission.

Simplifier le droit de dérogation des préfets

Pour "mieux mesurer et limiter l’impact des décisions règlementaires et budgétaires de l’Etat sur l’équilibre financier des collectivités", la mission - dont la rapporteure est la sénatrice (RDSE) Guylène Pantel - recommande de renforcer les moyens, et d'élargir les missions du conseil national d'évaluation des normes (CNEN) et du comité des finances locales (CFL). Même si les prérogatives de ces deux instances consultatives, où siègent les élus locaux, sont distinctes, la mission prône leur rapprochement. Sur le plan local, la mission préconise l'instauration à l'échelle départementale de conférences de dialogue Etat-collectivités, ces dernières pouvant "être saisies de tout différend sur l'interprétation d'une norme". Une proposition qui a retenu l'attention du gouvernement, puisque cette nouvelle instance de dialogue sera mise en place à titre expérimental dans quelques départements volontaires, selon des annonces récentes de la ministre déléguée aux Collectivités territoriales (voir notre article du 5 juin).

La mission recommande aussi une simplification de la mise en oeuvre par les préfets de leur droit de dérogation aux normes. Trois ans après la publication du décret d'avril 2020 qui a généralisé le dispositif, à peine plus de 300 décisions de dérogation ont été prises. Bien trop peu pour les sénateurs.

Pouvoir mieux anticiper les décisions de l'Etat

Pour que les collectivités aient "davantage de visibilité budgétaire", elles doivent pouvoir connaître, avant le vote de leur budget, les décisions de l'Etat qui auront des conséquences sur leurs dépenses, estime la mission. Selon laquelle, par exemple, les arbitrages de l'exécutif concernant le point d'indice de la fonction publique ne doivent pas entrer en vigueur "au cours de l'exercice" (ce qui vient précisément de se passer : voir nos articles du 12 juin et de ce jour). Dans le même objectif, la mission propose d'améliorer les règles relatives à la compensation des transferts de compétences de l'Etat aux collectivités, avec notamment la mise en place d'un réexamen, au minimum tous les cinq ans, des droits à compensation. Actuellement, les compensations sont calculées "au coût historique", en cas de transfert de compétences.

Pour redonner des marges de manœuvre aux élus locaux sur les ressources locales, la mission prône la mise en œuvre de la révision des valeurs locatives cadastrales – qui servent de base à la fiscalité locale – et un assouplissement des règles de plafonnement et de liaison des taux des impôts locaux.

Indexation de la DGF sur l'inflation

Notons enfin que la mission se prononce pour une refonte des modalités de répartition de la DGF et l'indexation de cette dernière sur l'inflation. La mesure "permettrait de couvrir partiellement les coûts générés par les décisions règlementaires", que le CNEN a chiffré à 2,5 milliards d'euros en 2022. Avec une inflation annuelle de 5%, le coût de l'indexation pour l'Etat s'élèverait à environ 1,3 milliard d'euros.

Mais le gouvernement a pris récemment position à l'Assemblée nationale contre une proposition de loi organique d'origine communiste, qui prévoit l'indexation de la DGF sur l'inflation (voir notre article du 8 juin), les débats étant particulièrement vifs dans l'hémicycle. C'est dire combien le dialogue est difficile entre les parlementaires et l'exécutif sur les sujets liés aux finances locales.