Face à l'"emballement normatif", le Sénat prône une nouvelle "frugalité"

Les sénateurs Françoise Gatel et Rémy Pointereau viennent de produire un nouveau rapport sur l'inflation normative que subissent les collectivités locales, que ce soit sur le terrain législatif ou réglementaire. À la clef, une série de propositions "structurelles" sur la "fabrique" de la norme.

Ah les normes… ce ne sera pas la première initiative, ni le premier rapport sur le sujet. Mais leurs auteurs sont bien placés pour en parler. Et peuvent donc espérer quelques effets. D'autant plus que leurs propositions prévoient surtout une dose de bonne volonté et pas ou peu d'évolutions législatives. Il s'agit en l'occurrence du rapport de Françoise Gatel et Rémy Pointereau, respectivement présidente et premier vice-président de la délégation aux collectivités territoriales du Sénat, le second étant précisément "en charge de la simplification des normes". Ce rapport devait être examiné par la délégation ce jeudi 26 janvier et sera mis en ligne la semaine prochaine.

Sur le constat, les deux sénateurs s'appuient évidemment sur leur propre expérience, mais aussi sur un sondage mené en 2020 auprès des élus, qui témoignait du fait que nombre d'entre eux "déplorent que chaque vague de simplification soit l’occasion de la production de nouveaux textes et donc d’une nouvelle couche de complexité". Le rapport ne consiste donc pas à proposer une nouvelle "loi de simplification" sur le mode des lois Warsmann, ni à fournir des listes de normes à supprimer, comme cela avait pu se faire sous François Hollande avec ses secrétaires d'État Thierry Mandon ou André Vallini. Il entend plutôt privilégier "des solutions 'structurelles' ou 'systémiques' portant sur la fabrique même de la norme". Autrement dit, il s'agirait aujourd'hui de "transformer le mode d’élaboration de la norme pour la rendre plus frugale".

Françoise Gatel et Rémy Pointereau évoquent quelques-unes des causes de l'inflation normative, montrant qu'au fond, tout cela part souvent d'une bonne intention… Il y a la volonté de "bâtir des équilibres toujours plus subtils et plus complexes, jamais pleinement satisfaisants, entre des demandes toutes légitimes mais souvent contradictoires". Il y aurait aussi "une croyance quasi mystique dans la norme miraculeuse qui protégerait voire guérirait". La "norme magique".

De meilleures études d'impact

Or au final, pour les collectivités, cet "emballement normatif" "complexifie les projets locaux, en retarde la réalisation, mais, en outre, en "augmente significativement le coût". Consultée par les rapporteurs (voir photo), la DGCL a chiffré ce surcoût à 2 milliards d'euros pour la période 2017-2021. Faute d'autres chiffres disponibles, on saura par ailleurs que le code général des collectivités territoriales (CGCT) "a triplé de volume entre 2002 et 2022". Les sénateurs parlent d'"addiction". C'est même le titre qu'ils ont choisi.

Premier axe de propositions : "Mieux évaluer ex ante les projets de normes applicables aux collectivités." Ce qui implique notamment de "donner au Parlement plus de visibilité sur les textes [législatifs et réglementaires] envisagés par le gouvernement dans le domaine des collectivités", grâce à un "débat d'orientation" à prévoir à chaque début de session parlementaire. Cela concerne aussi les études d'impact. Il s'agirait, pour les projets de loi "collectivités" de réaliser cette étude d’impact "en deux temps" : "pour les normes les plus importantes, un premier rapport, dénommé 'étude d’options' ou 'étude d’opportunité', permettrait d’évaluer l’intérêt même d’une nouvelle norme, c’est-à-dire de comparer les mérites de l’intervention d’un texte avec les autres solutions possibles, y compris l’option 'zéro norme'". Cette étude serait transmise bien en amont au Conseil national d'évaluation des normes (CNEN). Le rapport suggère en outre d'"enrichir le contenu" de toutes les études d'impact et, pour les textes réglementaires, d’"étendre l’obligation d’évaluation ex ante aux impacts non financiers", notamment en termes de "respect des principes de libre administration et de subsidiarité". Est également évoqué le fameux "risque de surtransposition" des directives européennes.

"L'évaluation d’une norme ne doit pas seulement intervenir avant son adoption (étude d’impact ex ante) mais aussi après son entrée en vigueur (évaluation ex post)", peut-on lire. D'où d'autres propositions. Dont une plutôt radicale : "expérimenter, dans les lois à fort impact sur les collectivités territoriales, des clauses de réexamen et, le cas échéant, en dernier recours, des clauses 'guillotine'" ou "clauses de caducité" ("sunset clause" en anglais). L'idée est la suivante : "vérifier si la réforme a renforcé la performance de l’action publique locale jusqu’au dernier kilomètre et au dernier habitant", jusqu'à envisager "la disparition pure et simple du texte en l'absence d'une évaluation effective ou en présence d'une évaluation négative". Une culture de l'évaluation qu'il s'agira d'ailleurs d'enseigner dans les écoles de la fonction publique, notent les auteurs.

Éviter les interprétations discordantes

Les sénateurs proposent par ailleurs (ils ont déjà eu l'occasion de le faire, sans succès), d’"instaurer auprès du préfet une instance de concertation, composée de représentants des services de l’État et des collectivités", qui pourrait être "saisie de tout différend sur l’interprétation d’une norme, et d’exprimer une position unique de l’État sur des projets complexes pour éviter aux élus d’être confrontés à une multitude de services différents aux positions parfois incompatibles".

Autre axe : renforcer le CNEN, en le rattachant au Premier ministre, en donnant "plus de visibilité" à ses travaux, en transmettant ses avis négatifs directement au Sénat, en étendant ses missions, en lui permettant de travailler "sereinement" (les associations d'élus et le président du CNEN se sont récemment exprimés là-dessus – voir notre article du 9 janvier) et en imposant au gouvernement une seconde délibération en cas d’avis négatif.

Rôle du CNEN… et du Sénat lui-même. Il est proposé de "créer, au sein du Sénat, une fonction de veille et d'alerte, au service des commissions permanentes compétentes, le plus en amont possible de la production des normes applicables aux collectivités", donc à l'étape des avant-projets de loi et des projets de décrets. Chaque commission disposerait ainsi d'un "référent simplification". De plus, le gouvernement serait invité à donner au Parlement accès aux projets de texte dès leur examen par le CNEN.

La délégation aux collectivités du Sénat, qui a tout récemment organisé une consultation sur le sujet auprès des élus locaux, compte organiser au printemps des "états généraux de la simplification".

 

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