Simplification des normes : le Sénat et le gouvernement unissent leurs efforts

Dénoncée depuis de nombreuses années, la profusion des normes qui s'imposent aux collectivités demeure un gros sujet de préoccupation des élus, comme en ont témoigné les états généraux de la simplification organisés ce 16 mars par la délégation sénatoriale aux collectivités. Les édiles sont souvent entravés dans la réalisation de leurs projets du fait de réglementations qui se superposent les unes aux autres. Une charte d'engagements que le Sénat et le gouvernement ont signée à l'occasion de ces états généraux vient renforcer l'arsenal permettant de lutter contre ce fléau.

 

Thibaud Philipps, maire d'Illkirch-Graffenstaden, entend préserver des terres agricoles que la précédente équipe municipale voulait utiliser pour construire des logements sociaux. Son but : développer le maraîchage, afin d'alimenter les cantines en produits frais et, pourquoi pas aussi, développer la vente en direct. Problème : il faut transformer la zone d'aménagement concerté (ZAC) en zone d'agriculture de proximité (ZAP), ce qui nécessite "deux ans de procédures". Le projet qui, a priori, n'est pas complexe à réaliser, prend donc des allures de casse-tête administratif.

Recueilli par les journalistes de Public Sénat, le témoignage de l'élu de cette commune proche de Strasbourg a été diffusé lors des états généraux de la simplification des normes, que la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales organisait ce 16 mars.

"On passe pour des gens pas toujours sérieux"

Dans la salle du palais du Luxembourg, plusieurs édiles ont eux aussi dénoncé la prolifération des normes qui freinent ou rendent plus complexe leur action. "Des collectivités qui veulent réduire les consommations d'eau dans les écoles ou les bâtiments sportifs, par exemple en utilisant les eaux de pluie, ou les eaux usées des lave-mains, après traitement, en sont aujourd'hui empêchées par les normes. Et ce alors qu'on leur demande de faire un effort important en termes d'économies d'eau", a déploré Christophe Bouillon, maire de Barentin et président de l'Association des petites villes de France (APVF).

Pour appliquer les normes d'accessibilité aux personnes handicapées à un grand complexe sportif, objectif louable, la ville de Montceau-les-Mines (Saône-et-Loire) a dû "casser toutes les tribunes" et s'est vue dans l'obligation de créer deux ascenseurs – alors que la mise en place d'un seul semblait suffisante aux élus. Le surcoût financier a été "très important", s'est indignée la maire, Marie-Claude Jarrot.

Or l'obligation pour les collectivités d'appliquer des normes n'est pas souvent connue de la part des citoyens. "On passe pour des gens pas toujours sérieux, qui ne suivent pas toujours les dossiers", pointe ainsi le maire d'Illkirch-Graffenstaden. Il s'agit aussi d'une obligation chronophage pour les élus locaux. "On passe plus de temps à répondre aux normes qu'à travailler sur nos projets alors que la commande publique dépend de ceux-ci", s'est ainsi insurgé Yvan Lubraneski, maire des Molières, petite commune de l'Essonne.

"Epuisement des élus locaux"

Pour faire face à l'empilement des normes, comme dans le domaine de l'urbanisme, les communes sont contraintes de "faire appel à des cabinets extérieurs", a déploré Gérard Larcher, président du Sénat. Les services déconcentrés de l'Etat s'immiscent aussi dans le processus décisionnel local. Au détriment de la liberté des élus locaux, a-t-il été souligné. Mais avant même la finalisation de leurs projets, devant la complexité et les surcoûts générés par les normes, "beaucoup" de communes "finissent par abandonner", s'est alarmé Christophe Bouillon. Cette situation expliquerait en partie "l'épuisement" de certains élus locaux, selon Françoise Gatel. La présidente de la délégation sénatoriale aux collectivités a indiqué que 930 maires (sur un total de 34.954) ont démissionné depuis le début de l'actuel mandat (juin 2020).

Espérer le gel de la production des normes est pourtant probablement illusoire. Avec un certain bon sens, Patrick Gérard, président adjoint de la section de l’administration du Conseil d’Etat, a ainsi fait remarquer qu'il serait incongru pour un candidat à l'élection présidentielle de solliciter les suffrages de ses concitoyens et d'annoncer qu'il "ne fera rien". Sa conclusion : s'il y aura "toujours" des normes, c'est "l'addiction" à leur égard qu'il faut éviter. Une opinion partagée par les autres intervenants, dont Françoise Gatel. La sénatrice a rappelé les diverses recettes de la "thérapie de choc" qu'elle a proposées dans un récent rapport.

Responsabilité collective

Elle a notamment réitéré l'idée de prévoir des clauses "guillotine" dans les lois. "On adopte une loi ou une norme pour quatre ou cinq ans. Au bout de la période, celle-ci tombe si on ne l'a pas confirmée. (…) C'est comme une date limite de consommation", a-t-elle dit. Une piste dont l'intérêt serait pourtant à nuancer, selon Claire Landais, secrétaire générale du gouvernement (SGG), qui a évoqué le bilan de cette notion appliquée notamment au droit du renseignement. "On se rend compte qu'on légifère plusieurs fois… deux, trois fois, on y revient". Une autre option aurait les faveurs du gouvernement : "deux ou trois ans après" le vote d'une loi pérenne, "se poser" pour procéder à son évaluation.

De son côté, David Lisnard, le président de l'Association des maires de France (AMF), a préconisé plus de frugalité dans la manière d'élaborer les lois : celles-ci fixeraient les grands principes, en sachant que la mise en œuvre dépendrait d'un pouvoir réglementaire confié aux collectivités locales. "Cela changerait tout", selon le maire de Cannes.

Mais la responsabilité de l'inflation normative n'incombe pas seulement au législateur, comme en ont convenu plusieurs participants - dont Alain Lambert, le président du conseil national d'évaluation des normes (CNEN), dont un message vidéo a été diffusé. Cette responsabilité serait celle de tous les acteurs. C'est d'ailleurs l'hypothèse que retient la charte d'engagements communs en matière de simplification des normes applicables aux collectivités que le président du Sénat, la présidente de la délégation aux collectivités et le ministre de la Transition écologique et de la Cohésion des territoires, Christophe Béchu, ont signée en clôture des états généraux.

"La réalité du terrain doit primer"

Cette charte "se veut comme le commencement d'une nouvelle ère, où la réalité du terrain doit primer sur la tentation permanente de légiférer, trop légiférer, sur-légiférer", a estimé Gérard Larcher. "Pragmatique" et élaboré à droit constant, ce document de droit souple "n'invente pas un nouveau machin", a pour sa part souligné Christophe Béchu : "On s'appuie sur le CNEN et on reconnaît et conforte le Sénat comme étant la vigie de nos territoires".

De nombreux engagements de la charte font écho à des propositions qui ont été faites par la délégation aux collectivités : meilleure information du Sénat sur les projets normatifs du gouvernement concernant les collectivités, développement des clauses de réexamen des lois (voire des clauses "guillotine"), limitation du recours aux procédures d'urgence pour l'examen des textes par le CNEN, développement des études préalables pour s’assurer de l’opportunité de recourir à une nouvelle norme législative… Reste que le succès de la charte repose sur la bonne volonté de ses signataires et la confiance mutuelle qu'ils s'accordent. Restaurer la confiance entre les acteurs de la norme, ce sera justement l'un des points clés pour limiter les excès normatifs, a-t-il été souligné lors de ces états généraux.