France urbaine : la "République du quotidien" à l'épreuve des restrictions budgétaires

Les échanges entre élus de grandes villes et agglomérations lors des Journées nationales de France urbaine, ces 10 et 11 octobre à Lyon, ont naturellement été marqués par l'actualité budgétaire avec l'effort de 5 milliards d'euros demandé aux collectivités dans le cadre du projet de loi de finances. La présidente de l'association, Johanna Rolland, juge les mesures prévues inacceptables. La ministre Catherine Vautrin se dit prête à faire bouger certains curseurs. Tout comme elle se dit ouverte à la discussion sur d'autres revendications des élus urbains, dont celle portant sur le versement mobilités.

Les Journées nationales de France urbaine, l'événement désormais annuel réunissant les membres de cette association d'élus de grandes villes, agglomérations et métropoles, ne pouvaient guère échapper à ce qui venait de secouer le monde des collectivités : l'annonce par le gouvernement de l'"effort" de 5 milliards d'euros qui va leur être demandé dans le cadre du projet de loi de finances (PLF) pour 2025.

Alors, au fil des séquences et ateliers, ces 10 et 11 octobre à Lyon, on y a certes parlé transports, culture, risques majeurs, Europe, éducation, logement, mobilisation des habitants, services publics… mais aussi beaucoup, inévitablement, de moyens financiers. "Je n'ai jamais vu une ambiance comme ça", a témoigné Johanna Rolland, la présidente de France urbaine, relayant quelques-unes des phrases entendues çà et là dans les allées du Centre de congrès de Lyon : "Et toi, tu vas devoir payer combien de millions ?", "Comment ils peuvent nous faire ça maintenant ?", "C'est comme si on changeait les règles du match de foot à deux minutes de la fin"...

Le verdict de France urbaine est au diapason de toutes les associations d'élus qui se sont exprimées depuis mardi 8 septembre, lorsque le contenu de la contribution des collectivités au redressement des finances publiques avait été dévoilé. Et ce verdict est sans appel : "Nous n'acceptions ni la méthode ni l'ampleur du dispositif. C'est contreproductif, c'est incohérent", résumait ce vendredi matin Johanna Rolland en ouverture de la séance plénière.

"Les tableaux Excel de Bercy ont oublié nos charges de centralité"

Son discours fut tout aussi clair et offensif quelques heures plus tard en accueillant Catherine Vautrin, la ministre du Partenariat avec les territoires et de la Décentralisation. "Les choses ont été décidées sans nous" et "le curseur a été placé trop haut", a-t-elle dit, évoquant une "addition que l'État veut nous faire payer à sa place". "Ce n'est pas acceptable" et le dispositif prévu porte un réel "risque récessif", juge-t-elle.

En cause, principalement : l'idée, inscrite dans le PLF, de prélever 2% des recettes de fonctionnement des grandes collectivités. Ce que le gouvernement nomme "mécanisme de précaution", avec 3 milliards d'euros d'économies attendues. Ces grandes collectivités ont déjà fait le calcul (l'association Intercommunalités de France a d'ailleurs pu les y aider en mettant en ligne dès jeudi le montant du prélèvement qui touchera chaque collectivité et EPCI concerné). À titre exemple, chez Johanna Rolland à Nantes, la contribution devrait s'élever à 9,8 millions pour la ville et 11 millions pour la métropole.

Les membres de France urbaine seront évidemment les plus touchés puisque le gouvernement a décidé de concentrer le dispositif sur 450 collectivités et intercommunalités, celles affichant plus de 40 millions d'euros de recettes de fonctionnement. Ce choix "est incompréhensible", a fustigé Johanna Rolland. "Dans l'imaginaire de Bercy, les grandes collectivités sont forcément les plus riches", "les tableaux Excel de Bercy ont oublié nos charges de centralité", avait-elle lancé peu avant.

France urbaine voit dans ces dispositions "une rupture de confiance", alors même que ses élus ont "toujours répondu présents", n'ont jamais refusé de "se mettre autour de la table". Et puis il y a d'autres points du PLF qui grincent fortement, notamment le fait que le fonds vert soit amputé de 1,5 milliard d'euros. Même Christophe Béchu, le prédécesseur de Catherine Vautrin redevenu maire d'Angers, y verrait "un mauvais signal", a rapporté Johanna Rolland.

"Nous sommes à la V1 de la discussion budgétaire"

"En aucun cas il ne s'agit de payer à la place de l'État", a affirmé Catherine Vautrin en concluant les travaux ces Journées nationales - son quatrième congrès d'élus locaux depuis qu'elle a été nommée il y a moins de trois semaines à la tête d'un portefeuille ministériel dédié aux collectivités. Lors des autres congrès (Régions de France, maires ruraux, Villes de France), elle avait surtout eu à assurer qu'elle ne souscrivait pas, du moins pas totalement, aux propos des anciens ministres de l'Économie et du Budget jugeant les collectivités trop dépensières. Sa tâche était évidemment cette fois plus ardue. Ce vendredi, il s'agissait de défendre le projet de budget "difficile" de son propre gouvernement devant une associations d'élus dont elle a elle-même été membre en tant que présidente de la communauté urbaine du Grand Reims.

"Michel Barnier a choisi la vérité et le courage" face aux "deux fléaux qui nous menacent, la dette budgétaire et la dette écologique". Voilà pour les éléments de langage. Mais Catherine Vautrin a aussi reconnu que faute de temps, le gouvernement n'avait pas mené de concertation en amont avec les associations d'élus. "Vous avez exprimé une colère froide, je suis là pour entendre ces messages", a-t-elle adressé à Johanna Rolland. En rappelant que le texte actuel, "à ce stade, est une proposition" : "Nous sommes à la V1 de la discussion budgétaire."

L'un des points qu'elle se dit prête à discuter : les critères faisant entrer les collectivités et EPCI sur la liste des contributeurs. Et ce même si, a-t-elle rappelé, le seuil pour l'heure retenu (les 40 millions de dépenses de fonctionnement) est peu ou prou "le même que pour la DSU" (dotation de solidarité urbaine). Ainsi, un "indice de fragilité" pourrait être davantage mis en avant pour exonérer de contribution "certaines communes". "Je sais que vous pouvez être force de propositions" là-dessus, a-t-elle dit aux élus.

Comme elle l'avait déjà indiqué la semaine dernière lors du congrès de Villes de France, Catherine Vautrin compte en parallèle travailler avec les élus sur "le coût de la norme", espérant ainsi dégager des pistes d'économies importantes pour les collectivités. Elle a rappelé avoir demandé à Boris Ravignon de continuer à creuser le sujet (auquel le maire de Charleville-Mézières a consacré un rapport remis en mai dernier) avec les associations d'élus. Elle a par ailleurs souligné le fait que côté recettes, le PLF a prévu de "suspendre" la réforme de la CVAE.

Une ouverture sur le versement mobilité

Au-delà de la bataille du PLF qui commence, Johanna Rolland a mis l'accent sur l'urgence de "rouvrir" certains dossiers, maintenant que Parlement et gouvernement sont en ordre de marche. L'élue a ainsi évoqué le dossier des transports, dont les services express régionaux métropolitains (Serm)objet la veille d'une table-ronde à laquelle avait participé le ministre délégué aux Transports, François Durovray (voir notre article). Avec une revendication déjà ancienne - également portée par le Gart -mais toujours d'actualité : la possibilité de déplafonner le versement mobilité (VM).

Là-dessus, Catherine Vautrin s'est montrée très ouverte : "Je partage totalement votre analyse", a-t-elle dit, rappelant que la communauté urbaine de Reims a mis en place un réseau de transports publics pour la totalité des 143 communes de son territoire (lignes express, transports à la demande…). Ce déplafonnement pourrait être envisagé (sur le modèle de ce qui a été fait en Île-de-France) à condition, a-t-elle précisé, que toute hausse du versement mobilité soit bien liée à une "amélioration de la desserte". Son ministre délégué devrait prochainement "y travailler" avec France urbaine.

Quatre autres champs prioritaires d'interpellation pour France urbaine : logement, santé, sécurité, politique de la ville. Sur le logement, les demandes sont là aussi bien connues. Johanna Rolland les a rappelées : pouvoir obtenir un "vrai statut" d'autorités organisatrices de l'habitat (AOH), "mieux réguler les meublés", pouvoir encadrer les prix du foncier, pérenniser et renforcer l'encadrement des loyers, mettre les moyens nécessaires sur l'hébergement d'urgence… et "préserver" le logement social de tout "détricotage de la loi SRU". Un point sur lequel Catherine Vautrin s'est voulue rassurante : "Valérie Létard [la ministre du Logement] est profondément attachée au logement social, ce n'est pas elle qui va aller détricoter la loi SRU…"

Au chapitre sécurité, France urbaine, comme cela avait déjà été le cas il y a un an lors des Journées nationales d'Angers, met surtout en avant la lutte contre les trafics de drogue, avec la volonté de voir se concrétiser un grand plan national et européen. L'association se dit par ailleurs ouverte à un rôle accru des polices municipales.

En matière de santé, le principal enjeu reste évidemment "la désertification médicale, qui touche tous nos quartiers", selon les mots de Johanna Rolland, qui soulève notamment la question du "modèle économique" des maisons de santé. En jeu également, la santé mentale. Et le vieillissement, avec la demande pressante d'une loi grand âge, jugée "absolument nécessaire".

Sur la politique de la ville, Johanna Rolland a relevé l'absence de ministre dédié. Le décret d'attribution de Valérie Létard publié la nuit précédente (tout comme ceux de tous les membres du gouvernement Barnier – Localtis y reviendra dans sa prochaine édition) est toutefois venu préciser que la ministre du Logement et de la Rénovation urbaine est bien aussi la ministre en charge de la politique de la ville. La présidente de France urbaine a plaidé pour "une action politique forte en faveur des quartiers populaires", tandis que Catherine Vautrin a insisté sur la nécessité d'une politique pleinement "interministérielle".

"Les collectivités ont besoin de l’État, l’État a besoin des collectivités"

Globalement, le leitmotiv de Johanna Rolland aura été la nécessité de "défendre la République de la proximité", une "République protectrice" à laquelle les élus urbains tentent d'œuvrer au quotidien. "Nous ne travaillons pas juste pour gérer des budgets ou pour administrer des services". Or "pour cela, les collectivités ont besoin de l’État, l’État a besoin des collectivités", a-t-elle conclu. 

De son côté, Catherine Vautrin s'est notamment dit prête à se pencher sur la demande exprimée par les élus de "contrats pluriannuels urbain-rural", ainsi que sur certaines des mesures du rapport Woerth sur la décentralisation. Un rapport auquel elle ne s'était pas référée jusqu'ici. En liant nécessairement, a-t-elle souligné, décentralisation et déconcentration.

 

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