La complémentaire santé solidaire entre en vigueur et la réforme de l'AME refait surface
La fusion de la CMU-C et de l'ACS entre en vigueur ce 1er novembre et donne naissance à la "complémentaire santé solidaire". Plus de dix millions de personnes devraient en bénéficier. Reste à savoir si elle fera reculer le problème des refus de soins que vient de dénoncer le Défenseur des droits.
Comme prévu par l'article 52 de la loi du 22 décembre 2018 de financement de la sécurité sociale pour 2019, la fusion de la CMU-C (CMU complémentaire) et de l'ACS (aide à la complémentaire santé) est entrée en vigueur le 1er novembre 2019. La réforme a été mise en œuvre par deux décrets et un arrêté du 21 juin, après avoir surmonté les réticences des mutuelles grâce à un double coup de pouce budgétaire (voir nos articles ci-dessous des 17 et 25 juin 2019). La nouvelle prestation née de cette fusion s'appelle la complémentaire santé solidaire (CSS), mais l'acronyme CMU, bien identifié de longue date, risque de perdurer quelques temps.
Une couverture santé renforcée et simplifiée
La CSS simplifie le double dispositif CMUC-ACS, en offrant à tous ses titulaires une couverture complémentaire renforcée, doublée d'une dispense d'avance de frais et d'une protection contre les dépassements d'honoraires (qui ne peuvent pas être pratiqués pour les titulaires de la CSS). Le ministère des Solidarités et de la Santé précise aussi que "les lunettes et les prothèses dentaires et auditives, qui font partie du panier de soins 100% santé et pour lesquelles le reste à charge pouvait être élevé dans le cadre du dispositif ACS, sont désormais intégralement prises en charge".
En termes de coûts, la complémentaire santé solidaire maintient toutefois le distinguo qui existait entre les bénéficiaires de la CMU-C et ceux de l'ACS. La CSS est donc gratuite pour les actuels titulaires de la CMU-C (revenu inférieur à 746 euros par mois pour une personne seule). Elle fait en revanche l'objet d'une participation pour les anciens titulaires de l'ACS (revenu compris entre 746 et 1.007 euros par mois pour une personne seule). Cette participation varie selon l'âge – et donc la consommation de soins – du bénéficiaire. Elle va ainsi de 8 euros par mois pour les 29 ans et moins à 30 euros par mois (un euro par jour) pour les 70 ans et plus.
Plus de dix millions de personnes devraient bénéficier de cette nouvelle prestation (sans aucun changement ni démarche pour les bénéficiaires actuels de la CMU-C). Une campagne d'information, lancée le 15 octobre, doit permettre de lutter contre le non recours aux droits. La simplification du dispositif doit également y contribuer : la demande de la CSS peut désormais se faire directement en ligne (ou dans une CPAM), avec un nombre réduit de pièces à fournir. Pour les bénéficiaires relevant de l'ex ACS, il n'y a plus à choisir de niveau de garanties puisque la même couverture la plus protectrice est assurée à tous les titulaires. En revanche, le bénéficiaire – avec ou sans participation – reste libre de choisir entre son organisme d'assurance maladie ou un organisme complémentaire (mutuelle, prévoyance, assurance), figurant sur une liste unique.
Des refus de soins discriminatoires qui perdurent
Si la complémentaire santé solidaire constitue ainsi une avancée incontestable, encore faut-il que tout le monde joue le jeu. Or le Défenseur des droits vient de publier, le 29 octobre, une étude sur "Les refus de soins discriminatoires : tests dans trois spécialités médicales". Cette étude, sous forme d'un "testing" téléphonique mené entre février et mai 2019, a été réalisée par un laboratoire des universités de Paris-Est Créteil et Paris-Est Marne-la-Vallée. Elle porte sur 1.500 cabinets et 4.500 demandes de rendez-vous, qui ont permis de réaliser 3.000 tests de discrimination exploitables. Les trois catégories de spécialistes testées sont les gynécologues, les chirurgiens-dentistes et les psychiatres. Le test portait sur deux critères de discrimination : la vulnérabilité économique (en l'occurrence le fait de déclarer être titulaire de la CMU-C ou de l'ACS) et l'origine, avec des patients fictifs présentant un nom et prénom à consonance française ou un nom et prénom à consonance africaine, (avec dans ce cas, une fois sur deux, un prénom suggérant une religion musulmane).
Les résultats sont mitigés. Si environ 90% des praticiens ont donné les rendez-vous demandés, l'étude révèle néanmoins que plus d'un cabinet sur dix a refusé de recevoir les personnes du fait qu'elles sont bénéficiaires de la CMU-C et de l'ACS : 9% des chirurgiens-dentistes, 11% des gynécologues et 15% des psychiatres. L'étude révèle également des discriminations selon l'origine, mais avec de forts écarts entre les régions.
De façon générale, les refus de soins sont jusqu'à deux fois plus importants pour les bénéficiaires de l'ACS que pour ceux de la CMU-C. De même, ils sont plus nombreux chez les spécialistes du secteur 2 que chez ceux du secteur 1. En termes géographiques, les discriminations sont plus marquées en Ile-de-France (28% de refus pour les titulaires de l'ACS), et tout spécialement à Paris, où la plupart des spécialistes sont en secteur 2 (38% de refus pour une patiente bénéficiaire de la CMU ou de l'ACS chez les dentistes et même 45% si elle est africaine).
Dans son communiqué, le Défenseur des droits "rappelle qu'un refus de soins discriminatoire à l'encontre d'un bénéficiaire d'une aide ciblée, du fait de sa situation de vulnérabilité économique ou de son origine, est un acte contraire à la déontologie et à l'éthique médicale, mais aussi un délit au regard de la loi".
Vers une réforme limitée de l'AME
Comme chaque année, l'approche de l'examen du projet de loi de finances (PLF) relance le débat sur l'aide médicale d'État (AME), qui couvre les étrangers en situation irrégulière et connaît depuis plusieurs années un dérapage budgétaire. L'AME a progressé en effet de 80% en dix ans, mais représente seulement 0,5% des dépenses de l'assurance maladie, remboursées par l'État. En attendant la remise officielle du rapport demandé à l'Inspection générale des affaires sociales (Igas) et à l'Inspection générale des finances (IGF), le gouvernement a choisi une voie médiane. Si Agnès Buzyn a obtenu d'écarter toute remise en cause du panier de soins, plusieurs aménagements devraient néanmoins être introduits lors de l'examen du PLF, sur l'AME mais aussi sur la CSS.
L'AME devrait notamment faire l'objet d'un renforcement des contrôles, mais également d'une mise sous entente préalable de certains soins considérés comme non urgents, à l'image de la chirurgie de la cataracte ou des prothèses. De leur côté, les demandeurs d'asile – donc en situation régulière – pourraient faire l'objet d'un délai de carence de trois mois avant d'accéder à la CSS. Une telle mesure les alignerait sur la situation des Français revenant de l'étranger et ne travaillant pas, qui doivent actuellement attendre trois mois avant de bénéficier de la CMU-C ou de l'ACS. Dans l'intervalle, les soins urgents continueraient toutefois d'être pris en charge. De même, le délai de maintien d'un droit à la couverture complémentaire santé après l'expiration d'un titre de séjour ou la notification d'un refus de droit d'asile pourrait être ramené de un an à six mois.