Elections - La communication des collectivités entre en période de restriction
Issu de la loi du 15 janvier 1990 relative à la limitation des dépenses électorales et à la clarification du financement des activités politiques, l'article L.52-1 du Code électoral prévoit qu'"à compter du premier jour du sixième mois précédant le mois au cours duquel il doit être procédé à des élections générales [en l'occurrence les régionales de mars 2010, NDLR], aucune campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité ne peut être organisée sur le territoire des collectivités intéressées par le scrutin". Le même article précise que "pendant les trois mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du tour de scrutin où celle-ci est acquise, l'utilisation à des fins de propagande électorale de tout procédé de publicité commerciale par la voie de la presse ou par tout moyen de communication audiovisuelle est interdite".
De l'histoire ancienne...
Il y a une quinzaine d'années, l'ouverture de cette période tétanisait les élus locaux et, plus encore, leurs directeurs de la communication qui se voyaient déjà responsables de l'annulation de l'élection de leur patron... Il est vrai que la formulation très abrupte du premier alinéa de l'article L.52-1 ne semble laisser place à aucune échappatoire. De plus, la loi du 15 janvier 1990 a négligé de donner une définition de la "campagne de promotion publicitaire des réalisations ou de la gestion d'une collectivité", suscitant dès lors de nombreuses craintes et interrogations. Par le biais notamment des questions parlementaires, les élus ont bien tenté d'obtenir un éclairage sur ce qui était possible ou pas dans le cadre du nouveau texte. Mais le ministère de l'Intérieur s'en est toujours tenu à des réponses dilatoires à force de prudence, se contentant de renvoyer à la lettre des textes en dépit de leur ambiguïté manifeste. Faute de garanties, beaucoup d'élus locaux ou de directeurs de la communication ont donc choisi à l'époque une voie radicale : réduire à sa plus simple expression, voire parfois même supprimer purement et simplement, la communication de leur collectivité durant la période préélectorale. Dans la foulée de la loi de 1990, certaines communes - plus rarement des départements ou des régions - ont donc suspendu la parution de leur magazine, reporté la diffusion de guides, annulé des cérémonies de voeux, renoncé à des inaugurations...
Une prudence qui semble aujourd'hui très excessive, mais n'était cependant pas dépourvue, à l'époque, d'un certain réalisme. Les candidats battus n'ont pas hésité en effet, dans les premiers temps d'application de la loi, à invoquer systématiquement l'article L.52-1 et les autres textes sur le sujet (articles L.47 à L.52-3, article L.113-1...) pour étayer leurs contestations du scrutin. Conseil constitutionnel (élections nationales) et Conseil d'Etat (élections locales) se sont ainsi trouvés confrontés à un afflux de recours fondés sur des moyens liés à la mise en oeuvre de moyens de communication.
Continuité et proportionnalité
Comme souvent, c'est ainsi à la jurisprudence qu'il est revenu d'apporter les précisions nécessaires à la mise en oeuvre du texte. Mais le Conseil constitutionnel et le Conseil d'Etat - dont les jurisprudences sur la question sont heureusement très convergentes - ne se sont pas contentés d'éclairer le texte. Ils ont procédé à une véritable révolution copernicienne : alors que les premières exégèses de la loi de 1990 semblaient faire de l'interdit une règle et de l'autorisation une exception, les sages du Palais Royal ont inversé l'interprétation des textes. C'est désormais l'autorisation qui est la règle et l'interdit l'exception.
Au-delà des attendus traditionnels du juge de l'élection - impact de l'infraction présumée sur le vote des électeurs, caractère plus ou moins serré des résultats... -, les deux institutions ont dégagé, au fil des décisions, un certain nombre de principes. Sans prétendre à l'exhaustivité, on peut néanmoins en rappeler les principaux.
Le premier - et sans doute le plus important - est celui de la continuité. En d'autres termes, les supports et actions de communication mis en oeuvre avant la période préélectorale peuvent se poursuivre pendant, dès lors qu'ils ne font pas l'objet d'un usage manifestement différent (doublement du tirage du magazine ou du nombre d'invités aux voeux par exemple). Ce principe règle définitivement la question de la continuité des journaux de collectivités. Même les éditoriaux signés peuvent y être maintenus (y compris avec la photo de l'intéressé), sous réserve de ne pas traiter de questions en rapport direct avec l'élection concernée. Ce principe de continuité ne vaut pas seulement pour l'existence des supports, mais aussi pour les contenus. Ainsi, le magazine d'une collectivité peut publier le bilan des réalisations de l'année, dès lors que ce bilan annuel était déjà publié les années précédentes. Ce principe de la continuité va parfois très loin. Parce que cette curieuse pratique existait depuis plus de trente ans, le Conseil constitutionnel a ainsi validé - tout en jugeant la chose "regrettable" - la distribution, par le CCAS d'une grande ville du Nord dont le président était le candidat élu, d'enveloppes contenant la somme de dix euros en numéraire, à plus de 800 pensionnaires âgés de plus de soixante ans des établissements sanitaires et sociaux de la ville.
Le second principe est celui de la proportionnalité. Les supports ou actions de communication doivent demeurer "raisonnables" au regard de l'usage habituel et des moyens jusqu'alors mis en oeuvre. Autrement dit, pas question de décupler les invitations aux voeux, de multiplier inconsidérément les cérémonies d'inauguration à l'approche de l'élection ou de doubler le tirage ou la pagination du magazine.
Finalité et tonalité
Autre principe qui s'est progressivement dégagé de la jurisprudence du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat : celui de la finalité. Il permet notamment d'exclure du champ de l'interdiction les supports, même publiés pour la première fois, ayant une vocation pratique et purement informative. Un guide pratique sur les prestations sociales, une plaquette d'information sur le fonctionnement de la nouvelle maison des associations ou le catalogue d'une exposition organisée à l'hôtel du département, par exemple, ne tomberont pas sous le coup de l'article L.52-1.
Enfin, on peut citer le principe de la tonalité. De façon logique au regard de sa mission, le juge de l'élection ne s'intéresse pas seulement à la forme de la communication (nature du média, présentation, diffusion...), mais aussi à son contenu. Une tonalité neutre et informative dans un support nouveau passera ainsi mieux que des allusions directes à l'élection dans un support existant. Dès lors que le contenu a un lien direct avec l'élection, le juge devient beaucoup plus sourcilleux. Ainsi, le Conseil constitutionnel a réintégré dans le compte de campagne d'un candidat le coût reconstitué d'une tribune libre publiée gratuitement dans un quotidien local (à l'initiative de ce dernier) par le parti d'un candidat, aux côtés de tribunes des trois principaux autres partis engagés dans l'élection (voir notre article ci-contre du 18 mai 2009).
Attention aux pièges !
La jurisprudence pragmatique et plutôt libérale du Conseil constitutionnel et du Conseil d'Etat ne doit toutefois pas faire oublier la prudence. Celle-ci est d'autant indispensable que la période de plus de deux années sans élection (en dehors des européennes) qui vient de s'écouler a sans doute quelque peu émoussé les réflexes.
Dans ces conditions, autant aborder la période préélectorale qui s'est ouverte le 1er septembre à zéro heure avec en tête une règle de bon sens : si désormais tout n'est pas interdit en matière de communication à l'approche d'une élection, tout n'est autorisé pour autant. Le juge de l'élection ne manque d'ailleurs pas de le rappeler régulièrement. A l'occasion des législatives de juin 2007, le Conseil constitutionnel a validé toute une série de supports ou d'actions de communication, qui donnent une bonne idée de sa jurisprudence (voir notre article ci-contre du 21 décembre 2007). Mais il a aussi annulé l'élection de deux députés, le premier pour avoir abusé des inaugurations (18 cérémonies de remise des clés à des accédants à la propriété en HLM dans les semaines précédant le scrutin) et le second pour avoir, entre autres, omis d'intégrer dans son compte de campagne les dépenses de promotion d'un livre paru juste avant le scrutin et retraçant son expérience de maire (voire notre article ci-contre du 30 novembre 2007).
La publication de livres - une tradition chez les hommes et les femmes politiques français - fait d'ailleurs partie des points délicats de la période préélectorale. Elle ne sera pas réintégrée dans le compte de campagne si l'ouvrage traite d'un sujet personnel, même si sa publication vaut à son auteur une forte présence dans les médias (le Conseil constitutionnel a ainsi refusé de réintégrer dans le compte de campagne de Bernard Debré la publication de son livre "Et si on parlait d'elle", consacré à sa mère). Mais elle le sera en cas d'ouvrage politique ou traitant d'un mandat électif de son auteur.
Internet est également une source traditionnelle d'incertitudes en matière de communication en période préélectorale. Si les sites institutionnels des collectivités sont à considérer comme les supports écrits - et peuvent donc continuer à fonctionner comme en période normale - , il n'en va pas de même pour les sites de candidats, qu'ils soient ou non mis en ligne spécialement pour les élections. En ce domaine, la prudence s'impose, notamment sur des prestations gratuites comme l'hébergement ou les liens internet, mais qui doivent néanmoins être valorisées dans le compte de campagne. La loi du 15 janvier 1990 n'a en effet pas pris en compte le phénomène internet, qui était alors embryonnaire. Cette carence a d'ailleurs conduit le Conseil constitutionnel à recommander, dans son bilan sur le contentieux des dernières législatives, d'intégrer les nouvelles technologies de l'information et de la communication dans le Code électoral : internet, mais aussi les liens sponsorisés, les SMS et MMS... (voir notre article ci-contre du 5 juin 2008).
En tout état de cause - et sans sombrer dans les craintes injustifiées qui ont suivi la loi de 1990 - il n'est donc pas inutile de profiter de cette rentrée pour réviser rapidement sa jurisprudence...
Jean-Noël Escudié / PCA