Logement social - La commission nationale SRU demande aux préfets de carencer une "cinquantaine" de villes supplémentaires
Dans un rapport remis le 18 octobre au ministre de la Cohésion des territoires, la toute nouvelle commission nationale SRU regrette qu’un nombre croissant de communes n’atteignent pas leurs objectifs de production sur le triennal 2014-2016. Si elle valide les propositions de carence émises par les préfets pour 233 communes (+ 7% par rapport au bilan précédent), elle demande à Jacques Mézard d'examiner particulièrement le cas d’une "grosse cinquantaine" de villes non carencées par les préfets alors que celles-ci ne respectent pas leurs objectifs. Elle recommande par ailleurs une plus grande fermeté dans les sanctions.
"Alors que 387 communes n'avaient pas satisfait leurs objectifs sur la période 2011-2013, elles sont 649 sur 2014-2016", soit une hausse de 68%, constate le premier rapport de la commission nationale SRU, remis le 18 octobre à Jacques Mézard. Premier rapport parce que la commission nationale SRU est récente : elle a été créée par la loi Egalité et Citoyenneté (LEC) du 27 janvier 2017. Présidée par Thierry Repentin, la toute nouvelle commission SRU a la charge de formuler au ministre en charge du Logement un avis préalable à la signature des arrêtés de carence par les préfets.
La part des communes carençables est passée de 38 à 56%
Cette hausse de 68% est en partie imputable à l'ajout de critères qualitatifs (1) en plus de l'objectif quantitatif de production. Le nombre de communes carençables, c’est-à-dire qui ne respectent pas leurs objectifs quantitatifs et/ou qualitatifs, a ainsi augmenté de 68%, quand le nombre de collectivités concernées par l’article 55 a progressé, de son côté, de 13% (2).
"La part de ces communes [carençables] sur l’ensemble des 1.152 soumises au bilan triennal, est donc passée de 38 à 56%", relève la commission dans son rapport. Parmi elles, 76 sont situées en Ile-de-France, dont Chambourcy, Saint-Maur-des-Fossés, Auvers-sur-Oise, Saint-Rémy-lès-Chevreuse, parmi les plus épinglées, et 64 en région Paca, dont Le Cannet, Mandelieu-la-Napoule ou Saint-Raphaël. En Auvergne-Rhône-Alpes, 32 communes sont pointées.
45% des villes n’ont pas atteint leur objectif quantitatif
Pourtant, globalement, le taux de réalisation des objectifs quantitatifs atteint 106%, soit une augmentation de la construction de logements locatifs sociaux de 35% entre les deux bilans pour les communes concernées par un rattrapage. Et ce, malgré un renforcement de la production attendue nationalement, qui est passée de près de 90.000 logements en 2011-2013 à 177.000 en 2014-2016. Ce bon résultat "tend à prouver […] l’effet catalyseur essentiel du dispositif SRU sur la production" mais cache aussi des disparités.
Car sur les 649 communes n’ayant pas satisfait à leur obligation, "près de 19% n’ont même pas atteint la barre des 20% de leurs objectifs, 43% restant en deçà des 50% et 69% en deçà de la barre des 80%", note la commission nationale. Au total, 45% des villes soumises au bilan 2014-2016 n’ont pas atteint leur objectif quantitatif, contre 38% en 2011-2013. La région Paca se détache nettement avec 89% de communes carençables (147 sur 165 villes soumises au rattrapage), quand la moyenne nationale s’établit à 56%.
Le critère qualitatif serait moins pris en compte
Alors que l’instruction ministérielle adressée par Emmanuelle Cosse aux préfets le 23 décembre 2016 incitait à la "fermeté" en cas de non-respect de l'une des deux obligations (quantitative ou qualitative) (voir notre article du 16 janvier 2017), la commission constate que "le taux de carencement sur les communes n’ayant pas respecté leur seul objectif qualitatif, est très faible (6%), puisque seules 8 des 126 communes concernées [6 en Ile-de-France et 2 dans les Hauts-de-France] sont effectivement proposées à la carence, comme si le critère qualitatif avait été placé en second dans l’analyse". De plus, les villes qui n’ont pas atteint deux objectifs ne sont pas plus lourdement sanctionnées par les préfets que celles qui ont échoué sur le seul critère quantitatif.
Sur l’ensemble de ce bilan, la commission déplore "le niveau et la nature des sanctions envisagées à l’encontre des communes proposées à la carence". Ceux-ci ne correspondent pas, estime-t-elle, "à la totalité de l’éventail à disposition des préfets", notamment par la loi du 18 janvier 2013.
Un tiers des collectivités carencées ne sont pas majorées
Pour seulement 8 villes carencées sur 233, les préfets proposent d’assortir la carence d’une majoration du prélèvement de 400%, le maximum autorisé par la loi. Pour 90% des collectivités carencées, le niveau de majoration n’excède pas 200%. Un tiers sont même carencées sans majoration. La reprise de la délivrance des autorisations d’urbanisme par les préfets n’est proposée par ceux-ci que pour 16 communes et envisagée pour 13 autres (toutes situées dans le Var). Aucune commune d’Ile-de-France n’est concernée par cette dernière sanction alors que celle-ci "fait vraiment bouger les choses" du côté des maires, selon Thierry Repentin. Le carencement d’une collectivité peut réellement la motiver à progresser, estime la commission : 34% des communes carencées en 2011-2013 ont respecté leur bilan triennal 2014-2016.
Seuls les préfets des régions Ile-de-France et Occitanie ont accepté de corriger leur copie
A l’aune de ses travaux, la commission nationale SRU a demandé aux préfets de revoir la liste des communes qu’ils proposent à la carence et les sanctions prévues, afin de "garantir l’homogénéité territoriale" et "l’esprit des dispositions de la loi de 2013". Or seuls les préfets des régions Ile-de-France et Occitanie ont accepté de corriger leur copie. Le premier carencerait trois communes supplémentaires et alourdirait les sanctions envisagées pour cinq autres. Le second "a annoncé plusieurs mises en carence complémentaires possibles postérieurement à la phase d’exemption". Les autres préfets considèrent "que l’analyse locale commune par commune a été opérée en amont de la transmission des projets à la commission nationale, et que cette analyse a conduit à un équilibre que la commission ne saurait remettre en cause", rapporte Thierry Repentin dans son avis.
La balle est dans le camp de Jacques Mézard
Après ces refus, l’ancien sénateur estime que la balle est désormais dans le camp de Jacques Mézard. En conclusion de son avis, adopté à l’unanimité, la commission recommande au ministre "d’inciter les préfets de département à carencer des communes supplémentaires, très éloignées de leurs objectifs triennaux, à très faible taux de logements sociaux, sur lesquelles les dynamiques sont manifestement insuffisantes, notamment quand elles sont observées et reconduites sur plusieurs périodes, ou des communes ayant majoritairement développé leur offre de logements sociaux sur les franges les moins sociales du parc (PLS)". Cette sanction "indispensable", selon la commission, "pour assurer la production de logements sociaux" et "permettr[e] à l’Etat de pouvoir transférer le droit de préemption à des établissements publics fonciers ou des organismes HLM en cas de cession de biens pouvant conduire au développement de l’offre de logement", pourrait concerner "une grosse cinquantaine de communes qui auraient pu faire mieux", estime Thierry Repentin. Parmi celles-ci, il espère en voir sanctionnées une trentaine.
La commission suggère d'ajouter Nice, Toulon, Aix-en-Provence, Marseille, Montpellier...
Parmi ces villes qui pourraient être ajoutées à la liste des carencées, la commission mentionne expressément le cas de six villes de plus de 100.000 habitants "qui n’ont pas respecté leurs obligations et pour lesquelles la carence n’est actuellement pas envisagée". Les deux plus éloignées de l’objectif légal sont Nice (36% de l’objectif quantitatif, 24% de PLAI financées sur ce bilan triennal et un taux de 13% de logements locatifs sociaux) et Toulon (64% de l’objectif quantitatif, 28% de PLAI et un taux de 16% de logements locatifs sociaux). Puis viennent Aix-en-Provence (87% de l’objectif quantitatif, 16% de PLAI et 20% de logements locatifs sociaux), Marseille (20% de logements locatifs sociaux) et Montpellier (23% de logements locatifs sociaux). Dans cette catégorie, seule Boulogne-Billancourt (24% de l’objectif quantitatif, 38% de PLAI et 15% de LLS) est proposée à la carence avec une majoration de 100%. "Il est important de sanctionner les grandes villes car les plus petites n’échappent pas à la carence", considère Thierry Repentin.
Appliquer tout l’éventail possible des sanctions
La commission demande également au ministre de transmettre aux préfets son accord de principe aux 233 propositions de carence émises par les préfets (à l’exception de 9 communes proposées à l’exemption) avec "trois réserves" : "Les communes devraient toutes se voir appliquer une majoration, en appliquant tout l’éventail possible" ; les communes déjà carencées lors du bilan précédant devraient "voir leur niveau de majoration augmenter" ; "la carence devra permettre de garantir la délivrance des permis de construire a minima pour les opérations de logements sociaux, avec la possibilité pour les préfets de reprendre l’instruction au cas par cas".
Alors qu’elle s’apprête désormais à étudier les près de 400 demandes d’exemption transmises par les EPCI en vue d’établir un décret-liste à publier avant le 31 décembre 2017, la commission recommande d’établir pour la prochaine période triennale "une grille nationale […] en amont de la procédure de carence de manière à homogénéiser les pratiques" et proposera "des propositions d’évolution du dispositif SRU pour tirer toutes les conséquences de l’exercice […] des nouvelles compétences" que lui a conféré la loi Egalité et citoyenneté.
(1) Au moins 30% de logements PLAI et 30% maximum de PLS, selon les dispositions de la loi Egalité et Citoyenneté.
(2) Entre les deux bilans triennaux, l'accroissement de la taille des intercommunalités dû à la refonte de celles-ci (imposée par la loi Notr) et la création de communes nouvelles ont fait entrer 130 villes dans le dispositif SRU.
Communes "SRU", communes déficitaires, communes prélevées, communes exemptées, communes carencées : de quoi parle-t-on ?
Les communes concernées par le dispositif "SRU" étaient un peu moins de 2.000 en 2016*. Parmi elles, trois cas de figure.
1) Les communes qui respectent le taux légal de logement social applicable (près de 700).
2) Les communes exemptées de l'application du dispositif (une soixantaine en 2016) soit pour cause de décroissance démographique, soit pour cause de constructibilité contrainte.
3) Les communes qui ne respectent pas le taux légal de logement social applicable : ce sont les communes "déficitaires", elles doivent produire des logements sociaux pour rattraper leur retard. Celles qui n'atteignent pas leur taux légal sont "soumises à un prélèvement annuel" sur leurs ressources fiscales, proportionnel au nombre de logements manquant. Elles étaient environ 1.200 en 2016. Parmi elles, trois nouveaux cas de figure : les communes "déficitaires" prélevées sur leurs ressources fiscales (environ 600) ; les communes "déficitaires" exonérées du prélèvement (environ 150) ; les communes "déficitaires" non prélevées (environ 450), en raison soit de la faiblesse du montant du prélèvement, soit du fait de leurs dépenses en faveur du logement social (ces dépenses étant déductibles du prélèvement annuel, une commune volontariste qui rattrape effectivement son déficit en logement social est en mesure d'annuler son prélèvement).
Une commune très déficitaire peut être "carencée", par arrêté préfectoral, à la suite d'une procédure contradictoire. Les communes "carencées" sont soumises, en plus du prélèvement, à des pénalités.
* Sources
ministère
en charge du logement, bilan 2016, inventaire au 1er janvier 2015.