Décentralisation - La commission des lois du Sénat élague le projet de loi Lebranchu
Au terme de douze heures de travail consacrées à l'examen de 558 amendements, la commission des lois du Sénat a adopté, dans la nuit du 15 au 16 mai, le projet de loi de modernisation de l'action publique territoriale et d'affirmation des métropoles, premier des trois textes de décentralisation présentés par le gouvernement lors du Conseil des ministres du 10 avril dernier.
La commission a voté le texte par 17 voix pour (dont les centristes), 3 contre (les communistes et une UMP) et 5 abstentions (les écologistes et le reste de l'UMP). Si une large majorité s'est ralliée à ce texte pourtant très critiqué au palais du Luxembourg, c'est que la commission a procédé à "l'élagage" promis par son président, Jean-Pierre Sueur.
La commission des lois était favorable à un lieu de dialogue entre les élus locaux à l'échelle régionale, mais critiquait la lourdeur de la conférence territoriale de l'action publique prônée par le gouvernement. Elle l'a donc transformée en "une structure de dialogue souple et légère", a expliqué Jean-Pierre Sueur à l'issue de la réunion de la commission. Cette instance n'aurait plus à définir un pacte de gouvernance territoriale censé, comme le formulait récemment la ministre en charge de la décentralisation, "rendre la répartition des compétences plus lisible". Ce pacte passe tout simplement à la trappe. Pierre-Yves Collombat (RDSE), auteur de l'amendement de suppression, estime que ce pacte s'apparente à "une machine administrative destinée à paralyser l'action des collectivités, pour les obliger à dépenser moins".
Nouvelle distribution des compétences
C'est un coup dur pour le gouvernement, qui comptait sur cet outil pour pousser les collectivités à "rationaliser" leurs actions (le pacte "constitue l'instrument privilégié de la clarification des compétences", indiquait l'exposé des motifs). Pour lui, le pacte est indissociable du retour de la clause de compétence générale pour les départements et les régions. Les sénateurs naturellement ont accepté cette clause, synonyme de liberté, mais ils ont refusé le pacte, le jugeant trop contraignant.
Les sénateurs ont aussi revu la répartition des compétences entre les collectivités. Les domaines pour lesquels la région sera chef de file sont étendus au tourisme et à l'innovation, en plus de l'aménagement et du développement durable, du développement économique et des transports. Dans le texte du gouvernement, le département était chef de file pour le tourisme. Le département est conforté dans son rôle de solidarité sociale et aura également le numérique en charge. Les sénateurs ont décidé que les communes seront chefs de file pour les services publics de proximité, le développement local et l'aménagement de l'espace, au lieu des seuls thèmes de la qualité de l'air et de la mobilité durable, ce qui était prévu par le gouvernement et que la commission a jugé "inacceptable".
La commission des lois a conforté les métropoles, même si elle a souhaité que celles-ci soient moins nombreuses. Obtiendront ce statut les agglomérations qui en feront la demande et qui satisferont à un critère de taille : 450.000 habitants dans une aire urbaine de 750.000 habitants.
Métropoles : pas de transfert automatique des compétences départementales
Les sénateurs ont renforcé les compétences des métropoles en matière de développement économique et leur ont accordé de nouvelles prérogatives dans le domaine de la distribution de gaz et de chaleur. Les métropoles seraient systématiquement, sur leurs territoires, les autorités organisatrices des réseaux, que ce soit en matière de voirie, de transports, d'électricité, etc. Les compétences des départements ne leur seraient, toutefois, pas transférées obligatoirement en 2017. Les sénateurs ont préféré des délégations de compétences définies par convention. Quoi qu'il en soit, les départements conserveraient la gestion de l'aide sociale à l'enfance. Les compétences de la métropole en matière de logement seraient moins étendues que prévu.
En lieu et place des conseils de territoire, "nouvelle structure intermédiaire entre les communes et la métropole, de nature à alourdir et ralentir les décisions et le fonctionnement de celle-ci", les sénateurs ont instauré une "conférence consultative dans laquelle les maires concernés pourraient débattre avec le président de la métropole des sujets d'intérêt commun".
La commission des lois a adopté le principe de l'institution d'une nouvelle collectivité territoriale se substituant au département du Rhône et à la communauté urbaine de Lyon sur le périmètre de celle-ci.
Grand Paris : priorité au logement
Elle a différé de 2015 à 2016 la mise en place d'une intercommunalité intégrée à fiscalité propre pour la métropole d'Aix-Marseille-Provence. Par ailleurs, elle a renforcé la déconcentration des compétences de proximité. Enfin, elle a décidé la mise en place de la conférence métropolitaine des maires dès la publication de la loi, pour associer plus étroitement les élus locaux à la mise en place de la métropole dans l'aire urbaine de Marseille.
Rebaptisé "Grand Paris Métropole" – à la place de "Métropole de Paris" – l'établissement public de l'agglomération parisienne monterait en puissance en trois temps. Le 1er octobre 2014 serait institué un syndicat mixte. L'établissement public verrait le jour le 1er janvier 2017, soit un an après la date envisagée par le gouvernement. Les prérogatives de cet établissement sont recentrées sur le logement. Comme pour les métropoles de droit commun, cette compétence serait plus limitée que ce que prévoit le texte du gouvernement. Enfin, "avant le 31 décembre 2021, le conseil métropolitain de Grand Paris Métropole délibérerait sur l'évolution du statut de l'établissement public".
Les sénateurs ont reconnu le statut d'eurométropole aux futures métropoles de Lille et de Strasbourg.
Communautés urbaines : un statut plus ouvert
A l'inverse du statut de métropole, celui de communauté urbaine serait plus facilement accessible. La condition d'une taille de 400.000 habitants ne serait plus la seule. Une agglomération disposant d'un centre hospitalier universitaire et d'au moins deux pôles de compétitivité pourrait ainsi obtenir ce "label".
Les sénateurs ont consolidé les compétences des communautés urbaines en matière économique, de recherche et d'enseignement supérieur et les ont étendues aux parcs de stationnement. Les communautés urbaines seraient assurées d'être associées à l'élaboration, la révision et la modification des schémas et documents de planification en matière d'aménagement, ainsi qu'à l'élaboration du contrat de plan conclu entre la région et l'Etat.
La commission a abaissé le seuil de population nécessaire à la constitution d'un pôle métropolitain, de manière à ce que davantage d'intercommunalités puissent se saisir de cet outil apprécié par les élus locaux.
Pour l'ensemble des communes et communautés, elle a accordé de nouvelles possibilités en matière de mutualisation des services.
La discussion du texte dans l'hémicycle du Sénat doit en principe débuter le 30 mai prochain.