Social/Laïcité - La CEDH valide le licenciement d'une assistante sociale qui refusait de quitter son voile
Dans un arrêt du 26 novembre 2015 Ebrahimian c/ France, la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) considère que le non renouvellement d'un contrat de travail d'une assistance sociale d'un établissement sanitaire et social "en raison de son refus de s'abstenir de porter le voile musulman" ne constitue pas une violation de l'article 9 de la Convention européenne des droits de l'homme, garantissant la liberté de religion. L'affaire n'a rien à voir avec les tensions récentes, puisque les faits remontent à l'année 2000.
L'application de l'avis du Conseil d'Etat du 3 mai 2000
En l'espèce, la requérante, de nationalité française, avait été recrutée en CDD au titre de la fonction publique hospitalière, en qualité d'assistante sociale au service de psychiatrie du Centre d'accueil et de soins hospitaliers (CASH) de Nanterre, établissement public à caractère social et sanitaire appartenant à la ville de Paris et abritant à la fois un hôpital classique, un Ehpad et un ensemble de structures sociales et d'hébergement pour les sans-abri.
Après avoir vu son CDD renouvelé une première fois, Mme Ebrahimian avait été informée par la direction des ressources humaines du non renouvellement de son contrat. La raison avancée, consécutive aux plaintes de certains patients, était son refus de retirer son voile. Dans un courrier du 28 décembre 2000, la DRH de l'établissement précisait ainsi à l'intéressée : "J'avais été contrainte de vous recevoir, suite à des réclamations formulées auprès de Mme M., cadre socio-éducatif, à la fois par des patients qui refusaient de vous rencontrer compte tenu de cet affichage et par des travailleurs sociaux pour lesquels il devenait de plus en plus difficile de gérer cette situation très délicate".
La décision de ne pas renouveler le CDD se fondait notamment sur un avis du Conseil d'Etat du 3 mai 2000 précisant que si la liberté de conscience des agents publics est garantie, le principe de laïcité de l'Etat fait obstacle à ce qu'ils disposent, dans l'exercice de leurs fonctions, du droit de manifester leurs croyances religieuses.
La protection des droits et libertés d'autrui : un but légitime
Dans son arrêt du 26 novembre, la CDEH reconnaît que le non renouvellement du CDD de l'intéressée "doit s'analyser comme une ingérence dans son droit à la liberté de manifester sa religion tel qu'il se trouve garanti par l'article 9 de la Convention". Elle estime également que "si l'article 1er de la Constitution [française, ndlr] et la jurisprudence du Conseil d'Etat et du Conseil constitutionnel constituaient une base légale pour restreindre la liberté religieuse de Mme Ebrahimian, elles ne lui permettaient toutefois pas de prévoir que le refus d'ôter son voile constituait une faute l'exposant à une sanction disciplinaire car le contenu de l'obligation de neutralité ne comportait pas de mention explicite à la profession qu'elle exerçait".
Néanmoins, "la Cour admet que l'ingérence litigieuse poursuivait le but légitime qu'est la protection des droits et libertés d'autrui". En l'occurrence, le fait que le souci de cette dernière - correspondant aux principes de neutralité et de laïcité - l'emporte sur l'expression des croyances religieuses "ne pose pas de problème au regard de la Convention". La CDEH retient toutefois "qu'il incombe au juge administratif de veiller à ce que l'administration ne porte pas une atteinte disproportionnée à la liberté de conscience des agents publics lorsque la neutralité de l'Etat est invoquée", ce qui n'était pas le cas en l'espèce.
Pas de conciliation possible
Du côté de l'intéressée, la Cour estime que celle-ci savait, depuis l'avis du Conseil d'Etat du 3 mai 2000, "qu'elle était tenue de se conformer à une obligation de neutralité vestimentaire dans l'exercice de ses fonctions". De fait de son refus, elle pouvait donc s'attendre au déclenchement d'une procédure disciplinaire. Au cours de celle-ci, elle a bénéficié de toutes les garanties de procédure et des voies de recours devant les juridictions administratives, qu'elle a d'ailleurs utilisées. De même, l'arrêt relève qu'elle a renoncé à se présenter au concours d'assistante sociale organisé par le CASH, comme ce dernier le lui avait proposé.
Conclusion : "Dans ces conditions, la Cour estime que les autorités nationales n'ont pas outrepassé leur marge d'appréciation en constatant l'absence de conciliation possible entre les convictions religieuses de Mme Ebrahimian et l'obligation de s'abstenir de les manifester, ainsi qu'en décidant de faire primer l'exigence de neutralité et d'impartialité de l'Etat".
Références : Cour européenne des droits de l'homme, arrêt n°64846/11 du 26 novembre 2015, Ebrahimian c/ France.