Petite enfance - La Cour de cassation confirme l'interdiction - sous conditions - du port du voile dans les crèches privées

Sauf recours devant les juridictions européennes, l'arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2014 clôt l'affaire de la crèche Baby Loup à Chanteloup-les-Vignes (Yvelines), en confirmant la légalité du licenciement de la directrice adjointe, mais sous réserve de conditions et d'un contexte bien précis. L'affaire est bien connue, compte tenu de son intense retentissement médiatique (voir nos articles ci-contre).

Un feuilleton à rebondissements depuis 2008

Il s'agit d'un feuilleton de longue haleine. En l'occurrence, la directrice adjointe de la crèche avait été licenciée pour faute grave en 2008, pour avoir refusé de retirer le voile qu'elle avait adopté au retour d'un congé parental. Ce licenciement avait été validé par le conseil des prud'hommes en décembre 2010. Contestée par l'intéressée, la décision des prud'hommes avait ensuite été confirmée par la cour d'appel de Versailles (voir notre article ci-contre du 28 octobre 2011). L'affaire est arrivée une première fois devant la Cour de cassation le 19 mars 2013. La Cour avait alors cassé le jugement de la cour d'appel de Versailles et renvoyé l'affaire devant la cour d'appel de Paris (voir notre article ci-contre du 20 mars 2013). Le ministre de l'Intérieur - qui est aussi celui des cultes - avait dit à l'époque, devant l'Assemblée, "regretter" cette décision de la Cour de cassation. Le ministre en question n'était autre que Manuel Valls. Pourtant, la décision de la Cour se fondait sur la motivation de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, qui mettait en avant le principe universel de la laïcité. Or la Cour de cassation avait justement rappelé que ce principe ne s'applique qu'aux services publics, qu'ils soient assurés par une personne morale de droit public ou de droit privé. Or une crèche privée - en l'occurrence associative - n'est pas considérée comme un service public. Curieusement, le nouvel arrêt de la Cour de cassation du 25 juin 2014 et le communiqué du même jour ne font aucune allusion à ce premier arrêt.

Une appréciation en fonction du contexte

La cour d'appel de Paris n'a pas commis la même erreur, a fondé toute sa décision de validation du licenciement sur les conditions de fonctionnement de la crèche et le respect de son règlement intérieur. La Cour de cassation a donc confirmé cette décision, validant du même coup le licenciement.
Dans son arrêt, la Cour de cassation précise ainsi "que le règlement intérieur de l'association Baby Loup, tel qu'amendé en 2003, disposait que 'le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect des principes de laïcité et de neutralité qui s'appliquent dans l'exercice de l'ensemble des activités développées, tant dans les locaux de la crèche ou ses annexes qu'en accompagnement extérieur des enfants confiés à la crèche', la cour d'appel a pu en déduire, appréciant de manière concrète les conditions de fonctionnement d'une association de dimension réduite, employant seulement dix-huit salariés, qui étaient ou pouvaient être en relation directe avec les enfants et leurs parents, que la restriction à la liberté de manifester sa religion édictée par le règlement intérieur ne présentait pas un caractère général, mais était suffisamment précise, justifiée par la nature des tâches accomplies par les salariés de l'association et proportionnée au but recherché"

Pas de restrictions générales, et encore moins de "conviction"

En revanche, le communiqué publié le même jour par la Cour de cassation prend bien soin de rappeler "qu'en application des articles L.1121-1 et L.1321-3 du Code du travail, les restrictions à la liberté du salarié de manifester ses convictions religieuses doivent être justifiées par la nature de la tâche à accomplir et proportionnées au but recherché. Le règlement intérieur d'une entreprise privée ne peut en effet instaurer de restrictions générales et imprécises à une liberté fondamentale". De même - et pour bien faire passer le message -, il précise qu'il ne saurait résulter de l'interprétation des conditions de fonctionnement de la crèche Baby Loup (petite structure, contact de tous les salariés avec les enfants et les parents...) "que le principe de laïcité, entendu au sens de l'article 1er de la Constitution, est applicable aux salariés des employeurs de droit privé qui ne gèrent pas un service public."
La possibilité de restreindre la liberté d'un salarié de droit privé de manifester ses convictions religieuses ne doit donc s'apprécier qu'en l'espèce, et non pas selon un principe général de laïcité qui lui serait supérieur. Dans son arrêt, la Cour de cassation écarte d'ailleurs sans ménagement un argument utilisé par la cour d'appel de Paris et avancé à de nombreuses reprises par les nombreux soutiens de la crèche Baby Loup. Elle juge en effet "erronés, mais surabondants [donc ne remettant pas en cause les autres arguments de la cour d'appel de Versailles, ndlr], les motifs de l'arrêt qualifiant l'association Baby Loup d'entreprise de conviction, dès lors que cette association avait pour objet, non de promouvoir et de défendre des convictions religieuses, politiques ou philosophiques, mais, aux termes de ses statuts, 'de développer une action orientée vers la petite enfance en milieu défavorisé et d'œuvrer pour l'insertion sociale et professionnelle des femmes (...) sans distinction d'opinion politique et confessionnelle'".

Références : Cour de cassation, assemblée plénière, arrêt 12-28369 du 25 juin 2014.

 

Pour aller plus loin

Voir aussi

Abonnez-vous à Localtis !

Recevez le détail de notre édition quotidienne ou notre synthèse hebdomadaire sur l’actualité des politiques publiques. Merci de confirmer votre abonnement dans le mail que vous recevrez suite à votre inscription.

Découvrir Localtis