Attentats - L'après 13 novembre : sécurité, prévention, laïcité... quand les maires prennent la parole
"Nous tenions à marquer notre mobilisation aux côtés de l'Etat", "Dans les circonstances exceptionnelles que nous connaissons, il n'était pas possible de ne pas avoir un moment de rassemblement des maires"… François Baroin, André Laignel et les autres représentants de l'Association des maires de France (AMF) ont redit pourquoi il leur était apparu évident, suite à la décision d'annuler le Congrès des maires, de se réunir néanmoins durant quelques heures à Paris ce 18 novembre.
Les maires qui, tous ceints de leur écharpe tricolore, ont pris la parole depuis la salle, ont eux aussi, chacun à leur façon, dit en quoi ce temps d'échange leur semblait nécessaire. Que ce soit pour parler sécurité, laïcité ou "fraternité"… ou pour dire et s'entendre dire que les maires représentent bien un rempart dans "la lutte contre le terreau du terrorisme" et constituent, tout simplement, un repère dont les citoyens ont plus que jamais besoin aujourd'hui.
Ne pas "tout annuler"
La sécurité, c'est bien le sujet le plus immédiat. Avant même que le président de l'AMF, puis François Hollande, ne s'expriment sur le sujet à la tribune du palais des Congrès (lire notre autre article de ce jour), les élus de communes grandes et petites ont fait part de leurs interrogations, visiblement demandeurs des réunions que tous les préfets de France doivent organiser d'ici la fin de la semaine avec les maires de leurs départements.
"Comment concilier les impératifs de sécurité et la poursuite de la vie municipale ? C'est une question que chacun de nous va forcément se poser et que nous aborderons lors de ces réunions départementales avec les préfets", a par exemple relevé Vincent Chriqui, le maire de Bourgoin-Jallieu. Et l'édile de cette commune de l'Isère de 27.000 habitants de poursuivre : "Il faut selon moi résister à la tentation de se donner bonne conscience en annulant tout. Il ne s'agit pas, bien sûr, d'être téméraires, mais de continuer toutes ces manifestations locales qui permettent de faire vivre la République." François Baroin lui-même a évoqué à peu près le même sujet, soulignant qu'il faudra "lister, département par département, la totalité des manifestations". Et qu'une question très concrète "va se poser dans les jours et les semaines qui viennent" : celle de la différence entre une manifestation sur la voie publique et une manifestation en lieu clos.
36.500 présence pour "réparer les vivants"
En ces jours bouleversés, le maire est naturellement bien plus qu'un empêcheur de manifestations, un employeur de police municipale ou un acheteur de barrières Vauban… "En cette période, c'est vers nous que la population se tourne", a insisté André Laignel, premier vice-président délégué de l'AMF, un peu comme le président du Sénat, Gérard Larcher, a évoqué "la mairie autour de laquelle nous nous rassemblons instinctivement à chaque fois qu'un drame se produit". "La France a une chance, c'est d'avoir 36.500 maires. Et 500.000 conseillers municipaux. Veillons à ne pas détruire cette richesse", a de même exhorté André Laignel. Les attentats ne font pas tout oublier. Ni la réforme territoriale, ni les think tanks qui assurent qu'au-delà de 5.000 communes en France, point de salut.
Ce 18 novembre, les élus ont trouvé un porte-parole en la personne de l'académicien Erik Orsena : "Les maires, ils sont là, avec leur équipe. C'est de cette présence-là dont nous avons besoin. Une présence qui tisse, qui répare. Il s'agit, pour emprunter le titre d'un roman, de 'Réparer les vivants'. Vous tous qui êtes là aujourd'hui, vous représentez ces 36.500 points. Tant mieux. Méfions-nous des modernités. Si le prix de la modernité, c'est le désert, alors je n'en veux pas." Standing ovation.
Des moyens pour les services publics locaux
Mais certains, déjà, s'interrogent. Songent aux mois à venir et tiennent à élargir le débat. "Nous ne pouvons pas faire comme si rien ne s'était passé. Et nous ne pouvons pas nous contenter des mots qui ont suivi les attentats de janvier", a ainsi prévenu Olivier Dussopt, maire d'Annonay (Ardèche) et président de l'Association des petites villes de France, poursuivant : "Il faut rouvrir certains chantiers. Autour de la laïcité, des relations avec les associations, notamment les associations d'éducation populaire, autour des questions liées au déclassement territorial." Et Olivier Dussopt d'interpeller François Baroin pour savoir "comment travailler ensemble sur ces enjeux d'éducation populaire et de cohésion sociale". Un peu tôt peut-être ? Tout se passe comme si le raisonnement qui avait prévalu après les attentats de janvier, celui de basculer vers une réflexion sur les tensions et le sentiment de relégation dont souffrent certains territoires et certaines populations (voir ci-contre notre dossier "Egalité, citoyenneté... Un New Deal ?"), était cette fois encore en train d'émerger.
Antoine Homé, maire de Wittenheim et rapporteur de la commission des finances de l'AMF, se demande si dans le "contexte" actuel, les maires pourront "recouvrer [leurs] moyens en faveur du service public, en faveur de la jeunesse"… tout comme Gilles Leproust, secrétaire général de l'association Ville & Banlieue, espère que "les moyens seront donnés pour développer nos services publics locaux, qui constituent le meilleur rempart, à l'heure où les amalgames montrent du doigt certaines banlieues".
Cette question des "moyens" était visiblement dans beaucoup de têtes. Sans doute certains espéraient-ils que François Hollande viendrait leur annoncer que les "circonstances" et le caractère désormais relatif donné au "pacte de stabilité" méritait un infléchissement de la baisse des dotations. Il n'en a rien été. Et François Baroin avait fait le choix de ne pas interpeller le chef de l'Etat sur ce point-là.
Des jeunes "happés" et déscolarisés
La prévention de la radicalisation a été largement abordée par François Baroin et François Hollande (lire notre article), le chef de l'Etat évoquant des "complicités avec de jeunes extrémistes radicalisés". Du côté des maires ayant pris la parole depuis la salle, seuls quelques-uns sont entrés dans le vif du sujet sans détours. Parmi eux, François Pupponi, le député-maire de Sarcelles : "Nous voyons tous les jours des enfants et des jeunes être happés par les réseaux djihadistes qui gangrènent nos quartiers. Face à cela, il nous faut inventer un nouveau métier."
Plusieurs élus ont par ailleurs soulevé le problème de la déscolarisation de certains enfants à la demande de leurs familles, problème auquel le maire est confronté en tant qu'il est chargé du contrôle de l'obligation scolaire. Selon Jean Rottner, maire de Mulhouse, ces demandes d'"exemption" seraient de plus en plus nombreuses et les maires seraient démunis face à ce qu'Antoine Homé qualifie de "détournement de l'enseignement à distance". De même, "la facilité, permise par la loi, de créer sous forme associative des structures scolaires confessionnelles" interroge.
Les "zones grises" de la laïcité
Cette rencontre du 18 novembre s'était d'ailleurs ouverte par une présentation des travaux de l'AMF ayant débouché sur la rédaction d'un "Vade-mecum" consacré à la laïcité. Le document, qui avait fait l'objet d'une première présentation en juin dernier (voir ci-contre notre article) a maintenant été publié et doit être adressé ces jours-ci à tous les maires (voir lien de téléchargement ci-contre). Le champ scolaire y figure naturellement. Mais bien d'autres points y sont abordés.
"Ce que nous avons souhaité, c'est vraiment partir de situations concrètes. On constate ainsi que le plus prégnant en matière de laïcité, ce sont nos relations avec le tissu associatif, notamment pour les demandes de subventions", a ainsi expliqué Gilles Platret, co-président du groupe de travail Laïcité de l’AMF. D'où l'idée de proposer un modèle de charte opposable que chaque commune pourra signer avec les associations.
Sur une question très concrète comme celle de la mise à disposition gracieuse de salles pour des associations cultuelles, le problème est d'autant plus complexe que les maires "sont en présence de jurisprudences contradictoires", relève Gilles Platret. L'AMF a donc saisi le ministère de l'Intérieur sur ce point.
"Ce vade-mecum repose sur une approche rigoureuse, juridique, inattaquable", a commenté François Baroin, ajoutant qu'il existe effectivement "encore beaucoup de zones grises". Le guide serait "un élément de reconquête" de la laïcité, sachant qu'il y aurait eu jusqu'ici, juge le président de l'AMF, "beaucoup d'accommodements".