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SSIG - Jean-Louis Destans : "Le gouvernement doit légiférer sur les services sociaux"

Les services sociaux d'intérêt général (SSIG) sont au coeur des préoccupations des collectivités depuis quelques mois. Dans une lettre du 13 avril, le président de l'Assemblée des départements de France (ADF), Claudy Lebreton, constate la forte insécurité juridique qui pèse sur les services sociaux et invite les conseils généraux à délibérer pour sécuriser ces services.

Le projet de délibération de l'ADF s'appuie sur le rapport intitulé "Les SSIG et le droit de la concurrence" de Jean-Louis Destans. Le président du conseil général de l'Eure, également président de la commission Affaires européennes de l'ADF et de la délégation française au Comité des régions de l'Union européenne, apporte des précisions à Localtis.

 

Localtis : Quelle est l'insécurité juridique qui pèse sur les services sociaux ? Pourquoi ?

Jean-Louis Destans : La règle générale de la directive Services est le droit de la concurrence sauf si on en sort un certain nombre de services (comme les services de santé par exemple). Il fallait donc transposer cette directive en droit français et ce que nous avions demandé à la Commission européenne était une directive cadre qui fixerait les règles de cette transposition. Mais la volonté de Barroso a été de ne pas faire cette directive cadre. Aujourd'hui, nous sommes donc dans un système où c'est au gouvernement de transposer la directive. Or, l'Etat n'a pas souhaité de loi cadre. Il lui a préféré une transposition par secteur, et a seulement publié une circulaire le 18 janvier 2010 qui est très restrictive sur ce qui doit être sorti de la directive Services. Nous sommes donc confrontés à des situations incroyables. Par exemple, en ce qui concerne l'enfance : s'il s'agit de la protection de l'enfance en danger, du ressort des conseils généraux, elle est sortie de la directive. En revanche, pour tout ce qui concerne l'accueil de la petite enfance (crèches, haltes-garderies, etc.), du ressort des communes, elle dépend de la directive. Ainsi, une commune qui souhaite créer un centre aéré doit mettre en concurrence sa construction et sa gestion. Et ce qui est vrai pour l'enfance l'est aussi pour l'aide à domicile ou l'aide aux handicapés. Tout cela est très confus. Je ne comprends pas du tout les motivations du gouvernement pour sortir tel ou tel service de la directive. Je pense qu'il s'agit d'une part, d'incompétence car aucun politique ne s'est réellement penché sur le dossier et d'autre part, d'une lutte idéologique qui ne prend pas du tout en considération les problématiques locales.

 

Quelle est la position de l'ADF sur le mandatement ? Que revêt cette notion ?

Le mandatement est une notion particulière qui n'existe pas en tant que telle en droit français. C'est pourquoi je suggère de la définir avant tout. Les SSIG doivent être mandatés par les collectivités locales pour que les aides qu'elles perçoivent ne soient pas considérées comme illégales. Ensuite, la rémunération correspondant au mandatement doit être proportionnée. Cela me semble normal : si on maintient la notion de service public, je ne suis pas choqué par le fait que sa rémunération soit proportionnée.

 

Par ailleurs, vous préconisez un modèle de délibération pour sécuriser les services sociaux. Pourquoi ? Que ferez-vous si de nombreuses délibérations ne passent pas le contrôle de légalité des préfets ?

J'invite effectivement tous les conseils généraux à prendre des délibérations pour protéger les services publics. C'est ce que nous avons fait dans l'Eure où le conseil général a adopté une délibération qui définit les services qui recouvrent les notions de services sociaux de manière étendue. Et nous avons passé le contrôle de légalité sans problème. En revanche, il est vrai que dans la région Centre, les deux délibérations sur le service public de formation professionnelle ont été rejetées au contrôle de légalité. Ce type de décision fait justement bouger les choses. Si les rejets préfectoraux sont nombreux, nous nous tournerons vers le gouvernement et nous lui expliquerons, décisions à l'appui, que puisqu'il n'a pas fait son travail, nous sommes aujourd'hui bloqués. Cela l'obligera à faire des propositions claires. Nous prônons le droit positif. Il y a aujourd'hui un vide juridique et puisque nous ne sommes pas parvenus à convaincre l'Europe de prendre une directive cadre, nous devons engager la France à être attentive aux problèmes locaux engendrés par cette directive Services. Si de nombreuses délibérations sont retoquées, cela prouvera qu'il y a un problème. Aujourd'hui, les collectivités elles-mêmes n'ont pas conscience des difficultés qui se profilent et c'est d'ailleurs pourquoi j'ai souhaité les alerter avec mon rapport.

 

La Commission européenne évalue actuellement le "paquet Monti Kroes" qui régit, depuis 2005, les compensations de services publics. Qu'espérez-vous de cette évaluation ?

Le "paquet Monti Kroes" est particulièrement mal adapté au droit français. Ce que nous souhaitons surtout, c'est un contrôle a posteriori des aides des collectivités. Nous voudrions que la Commission ne nous demande pas de justifier toutes les aides accordées mais qu'elle fasse ce qu'elle veut en matière de contrôle ensuite. Nous espérons que le document que la Commission rendra public dans quelques semaines sera clair et simple. En outre, en matière de contrôle, il existe des systèmes beaucoup plus déconcentrés. Il y a matière à avoir des dispositifs plus légers, sur le modèle des aides accordées par le Fonds européen de développement régional (Feder), par exemple.

 

En somme, qu'attendez-vous de l'Europe et de la France ?

Finalement, ce que je souhaite avant tout de la part de Bruxelles, c'est la reconnaissance de la spécificité des services publics à travers une directive spéciale. Et du gouvernement français, j'attends qu'il profite de la large marge de manœuvre que lui laisse l'Union européenne, qu'il n'ait pas une analyse libérale trop restrictive et surtout, qu'il légifère !

 

Propos recueillis par Muriel Weiss