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Social / Economie - Inégalités de revenus, de patrimoine et de niveau de vie : vingt ans pour rien ?

Coup sur coup et le même jour, deux publications se penchent sur l'évolution des inégalités - de revenus, de patrimoine et de niveau de vie - et amènent à se poser la question du bilan des dernières décennies en la matière. Le 5 juin, l'Insee publie ainsi, dans sa collection Références, l'édition 2018 de son étude récurrente sur "Les revenus et le patrimoine des ménages". Le même jour, l'Observatoire des inégalités met en ligne une étude intitulée "Les inégalités de niveau de vie continuent d'augmenter", complétée d'un point de vue de Denis Clerc, le fondateur du magazine "Alternatives économiques", titré "Pour réduire la pauvreté, la croissance ne suffit pas". Deux études distinctes, trois notions différentes : il n'est pas forcément facile de s'y retrouver.

Pour l'Insee, les indicateurs d'inégalités sont "globalement stables" depuis 2008

Avec ses 200 pages, l'étude de l'Insee regroupe plusieurs articles thématiques. Elle propose en particulier un focus sur les très hauts revenus, autrement dit les 1% de la population française qui affichent un revenu par unité de consommation (UC) supérieur à 106.210 euros par an. Ceux-ci représentent 6,8% de la masse des revenus (part ramenée à 5,3% après redistribution fiscale) et gagnent en moyenne - selon un ratio logique - près de sept fois plus que la moyenne de la population. Ils déclarent également 30% des revenus du patrimoine et assurent 25% des recettes de l'impôt sur le revenu (en sachant que plus d'un Français sur deux ne paye pas l'IRPP).
Parmi les différentes contributions à ce numéro de Références, les plus intéressantes restent toutefois celles consacrées aux "Inégalités de niveau de vie en 2015 et sur longue période" et à l'évolution du patrimoine sur une petite vingtaine d'années, entre 1998 et 2015. Pour l'Insee, "les indicateurs d'inégalités sont stables ou en légère hausse en 2015 et globalement stables depuis 2008". Autrement dit, les inégalités ne se sont pas aggravées depuis la crise.

Le fait marquant : le développement de la pauvreté chez les familles monoparentales

Tout n'est pas rose pour autant. L'étude relève ainsi que "le fait marquant de ces vingt dernières années est surtout le développement de la pauvreté des familles monoparentales, dont les membres vivent sous le seuil de pauvreté dans près d'un tiers des cas" (voir notre article ci-dessous du 5 décembre 2017). De même, l'Insee rappelle que "les différences entre catégories socioprofessionnelles se sont maintenues, même si la situation des agriculteurs exploitants, les plus touchés par la pauvreté, s'est améliorée et celle des artisans, commerçants et chefs d'entreprise, dégradée".
En 2015, le revenu médian des Français s'établit ainsi à 20.300 euros annuels, "soit un niveau légèrement plus élevé qu'en 2014 en euros constants, mais toujours en dessous de celui d'avant-crise". De même, le seuil de pauvreté monétaire (60% du niveau de vie médian de la population française) atteint 1.015 euros mensuels (12.180 euros annuels). En 2015, 14,2% de la population vit sous ce seuil de pauvreté, ce qui constitue l'un des plus bas taux de l'Union européenne. Il peut toutefois être beaucoup plus élevé chez certaines catégories (jusqu'à 37,3% pour les personnes au chômage).

Des hauts et des bas

Sur la longue période, l'évolution du taux de pauvreté est assez erratique. Après avoir fortement baissé, de façon continue, de 4,1 points entre 1970 et 1990, notamment sous l'effet de la nette amélioration des retraites, il est resté stable entre 1990 et 1996, a diminué de 1,6 point entre 1996 et 2004, avant d'augmenter de 1,8 point entre 2004 et 2011 (en particulier sous l'effet de la crise de 2008) et évolue peu depuis lors.
En matière de patrimoine, l'évolution est beaucoup plus lisible : entre 1998 et 2015, le patrimoine moyen des Français a doublé, mais il a diminué pour les 20% les moins bien dotés. Les inégalités de patrimoine se sont donc accrues sur la période, même si elles "elles baissent légèrement depuis 2010". L'immobilier explique une bonne part de cette évolution. L'Insee indique ainsi que "les 70% des ménages les mieux dotés ont bénéficié de la forte valorisation du patrimoine immobilier (+133% en euros courants) sur la période, surtout entre 1998 et 2010".
Le patrimoine financier (+75% entre 1998 et 2015, essentiellement sur 2004-2010) amplifie cette évolution, dans la mesure où les 20% de ménages les moins bien dotés possèdent surtout des comptes courants et des livrets d'épargne réglementée, qui se sont peu valorisés sur la période.
Au final et en 2015, la moitié des ménages vivant en France déclarent un patrimoine brut supérieur à 158.000 euros et détiennent collectivement 92% de la masse totale de patrimoine brut.

Rapport interdécile et indice de Gini

L'étude de l'Observatoire des inégalités donne une vision un peu différente, même si elle n'est complètement contradictoire. Certes, les inégalités se sont réduites depuis le début des années 70, mais essentiellement durant les deux premières décennies. En revanche, "depuis une vingtaine d'années, les inégalités de revenus augmentent. Les plus aisés s'enrichissent, alors que le niveau de vie des plus pauvres stagne".
L'Observatoire illustre sa démonstration avec l'évolution du rapport interdécile (entre les 10% les plus riches et les 10% les plus pauvres). Ce rapport s'est réduit de 4,6 à 3,3 entre 1970 et 1984. Il est ensuite resté stable pendant toutes les années 80, avant de commencer à alterner baisses et hausses à partir de 1990. Depuis 1996, il varie ainsi entre 3,3 et 3,6 (3,5 en 2015, soit le même niveau qu'en 1996).
On retrouve une évolution voisine avec l'indice de Gini, qui tient compte de l'ensemble des revenus de la population. Après être passé de 0,337 en 1970 à son plus bas de 0,279 en 1998, il tend à remonter depuis lors avec des tendances alternées. Ainsi, au cours des deux dernières décennies, il a atteint son plus haut en 2011 (0,305), avant de retomber à 0,288 en 2013, puis de remonter à 0,292 en 2015 (plus l'indice est bas - entre 0 et 1 -, plus les inégalités sont faibles).

Depuis 2003, "le niveau de vie des plus pauvres ne progresse plus"

L'étude de l'Observatoire montre également que "depuis 2003, le niveau de vie moyen des 10% les plus pauvres ne progresse plus, alors que, jusqu'au début des années 2000, la tendance était à l'augmentation". Ainsi, ce niveau de vie est, en euros constants, de 690 euros par mois en 2015, soit exactement le même chiffre qu'en 2005 et six euros de plus qu'en 2003 (684 euros)... Seul point un peu moins négatif, la plongée observée entre 2008 et 2012 (de 705 à 660 euros) est enrayée depuis cette date.
A l'inverse, "l'évolution du niveau de vie moyen des 10% les plus aisés est marquée par une progression quasiment ininterrompue entre 2003 et 2011, d'autant plus étonnante que la France a connu un profond ralentissement économique". Et cela, malgré une plongée des revenus des plus aisés entre 2011 et 2013, sous l'effet des hausses d'impôts.
Conséquence logique, l'écart de revenu entre les riches et les pauvres s'est accru : "En douze ans (de 2003 à 2015), le niveau de vie mensuel moyen des plus riches a progressé de 356 euros quand celui des plus pauvres n'a gagné que 6 euros (après inflation)".
C'est notamment cette tendance "naturelle", qui justifie le plaidoyer de Denis Clerc en faveur d'une politique publique de lutte contre la pauvreté et les inégalités. En effet, "lorsque la croissance est au rendez-vous, les mieux placés pour bénéficier de ses fruits sont ceux dont les compétences sont recherchées par les entreprises en croissance et ceux qui disposent d'un patrimoine (mobilier ou immobilier) dont les revenus (loyers et dividendes) augmentent avec l'activité. Les moins bien placés, en revanche, ne recueillent que les miettes du festin".

 

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