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Il n'est pas illégal de distribuer des chèques alimentaires durant une campagne électorale

Une décision du Conseil d'État vient valider le résultat du second tour de l'élection municipale de juin dernier dans la commune de l'Ile-Saint-Denis, annulant ainsi un jugement du TA de Montreuil. Le Conseil d'État s'est penché sur plusieurs actions de communication du maire sortant directement liées, entre mai et juin, à la crise sanitaire. En estimant que celles-ci avaient bien pour but d'informer la population. Et il juge que la distribution de chèques alimentaires aux familles dont les enfants avaient été privés de cantine du fait du confinement répondait bien à "un besoin urgent" de ces familles et ne relevait donc pas d'une manoeuvre politique.

Après le Conseil constitutionnel à propos des dernières élections sénatoriales (voir notre article du 8 mars 2021), le Conseil d'État apporte à son tour, dans une décision du 10 mars, des précisions intéressantes à propos de la communication en période électorale. L'affaire concerne le second tour des élections municipales, le 28 juin 2020, dans la commune de l'Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis, 8.000 habitants). Ce second tour a fait en effet l'objet d'une quadrangulaire tendue. Saisi d'un recours par le candidat arrivé en seconde position, le tribunal administratif (TA) de Montreuil a annulé le scrutin par une décision du 2 octobre 2020. Le principal grief retenu par le TA concernait la distribution de carnets d'aide alimentaire jusqu'à l'avant-veille du second tour.

Bulletin municipal et travaux

Mais, dans une décision du 10 mars 2021, le Conseil d'État annule le jugement du TA de Montreuil et valide donc les opérations électorales des 15 mars et 28 juin 2020 pour l'élection des conseillers municipaux et communautaires de la commune de l'Ile-Saint-Denis. Dans sa décision, le Conseil d'État commence par éliminer toute une série de griefs soulevés par le requérant, particulièrement vétilleux. Il valide ainsi – sans surprise tant la jurisprudence est désormais bien établie – la publication dans le bulletin municipal d'un éditorial du maire sortant accompagné de sa photo, "placé à côté de la présentation des actions réalisées" (dès lors que ces éditoriaux "ont été publiés à la même fréquence et sous le même format qu'habituellement").
Il valide également le lancement des travaux de rénovation du stade municipal dans la semaine précédant le second tour de scrutin (le report de la date initialement prévue étant dû, en l'occurrence, aux perturbations engendrées par le premier confinement), de même que l'envoi d'une lettre informant les habitants du quartier sud de la ville de l'avancée d'un projet de rénovation les concernant.

Oui à l'information sur la distribution de masques et à des vidéos sur la crise sanitaire

Le Conseil d'État se penche également sur plusieurs actions de communication directement liées au contexte de la crise sanitaire. Il considère ainsi que la diffusion d'un tract mettant en avant la distribution par la commune de masques aux habitants "n'excède pas les limites d'une information institutionnelle et ne saurait être qualifiée de campagne de promotion publicitaire prohibée par les dispositions de cet article" (l'article L.52-1 du code électoral).
De même, les vidéos mises en ligne chaque semaine, entre le 23 mars et le 18 juin, sur la page Facebook du bulletin municipal, dans lesquelles le maire sortant évoque les actions mises en œuvre par la municipalité pour lutter contre l'épidémie de covid-19, "visaient à informer la population sur les mesures prises pour lutter contre l'épidémie et les conséquences de cette dernière pour la commune". Le Conseil d'État constate que ces vidéos "ne contiennent pas d'éléments de polémique électorale", à l'exception de l'une d'entre elles évoquant le thème de la tranquillité publique en réponse à une proposition formulée par M. N... (le requérant) dans le cadre de la campagne. Mais "cette communication, ponctuelle, ne saurait toutefois constituer une campagne de promotion publicitaire des réalisations de la commune au sens des dispositions du second alinéa de l'article L. 52-1 du code électoral".

Une distribution et des messages légaux, mais dans le contexte de la pandémie

Enfin, le Conseil d'État valide aussi l'action qui avait justifié l'annulation des élections par le TA de Montreuil. En l'espèce, la métropole du Grand Paris avait attribué une dotation de solidarité exceptionnelle à la commune, notifiée le 28 mai 2020. Dans une délibération du 10 juin (la première depuis la fin du confinement le 11 mai), le conseil municipal a décidé d'utiliser ces fonds pour distribuer des chèques alimentaires aux familles dont les enfants étaient inscrits dans les restaurants scolaires (fermés durant le confinement, ce qui a engendré une charge supplémentaire pour les familles). D'une valeur comprise entre 30 euros et 100 euros en fonction du quotient familial, ces chèques alimentaires ont été commandés à la société prestataire le 12 juin et reçus à la trésorerie d'Epinay-sur-Seine le 18 juin, avant d'être remis à la ville le 23 juin. Il n'est donc "pas établi que la distribution des chèques, intervenue au gymnase municipal entre le mercredi 24 juin et le vendredi 26 juin, aurait pu être mise en œuvre plus tôt".
Les familles concernées (représentant 252 électeurs inscrits) ont été averties qu'elles pouvaient venir retirer les chèques alimentaires par des messages électroniques ainsi qu'une information mise en ligne sur la page Facebook de la commune. Dans ces conditions, "cette action, qui répondait à un besoin urgent des familles les plus modestes dont les enfants n'avaient pu se restaurer dans les établissements scolaires pendant la période de confinement et qui s'inscrivait dans le cadre d'autres actions menées par la commune pour venir en aide aux personnes les plus vulnérables du fait de l'épidémie, ne peut être regardée, pour regrettable qu'ait été la diffusion sur le compte Facebook personnel de M. X... [le maire sortant, ndlr] d'un message se prévalant des dotations obtenues pour financer l'opération, comme une manœuvre de nature à altérer la sincérité du scrutin". Attention toutefois : la validation par le Conseil d'État de l'opération et des messages qui l'accompagnaient apparaît très directement liée au contexte de la crise sanitaire. Une telle distribution à quelques jours d'une élection pourrait être jugée différemment dans un contexte normal.

Références : Conseil d'État, 3e et 8e chambres réunies, décision n°445257 du 10 mars 2021 (mentionnée aux tables du recueil Lebon).
 

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