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Communication électorale : le Conseil constitutionnel n'a pas peur d'internet

"Les règles générales encadrant la campagne électorale" pouvant être appliquées aux usages d'internet, inutile de développer une législation spécifique, juge le Conseil constitutionnel dans une longue décision relative aux dernières législatives. D'autres observations sont intéressantes et pourront l'être lors des prochaines municipales, qu'il s'agisse par exemple de la présentation des bulletins de vote ou de la frontière entre bilan de mandat et document électoral.

Dans une longue décision, le Conseil constitutionnel publie ses observations relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017. Cette synthèse s'appuie sur les 298 réclamations portant sur l'élection des députés (un chiffre quasi triplé par rapport aux 108 réclamations des législatives de 2012), concernant 136 circonscriptions, contre 108 en 2012 (voir nos articles ci-dessus du 5 décembre 2017 et du 13 mai 2018). Il faut y ajouter les 351 saisines - contre 238 en 2012 - transmises par la Commission nationale des comptes de campagne et des financements politiques (CNCCFP).

Des griefs "assez classiques"

Face à ce flux, le Conseil constitutionnel estime que "cet accroissement du contentieux a conduit à un allongement des délais de traitement par rapport aux années passées, qui pose la question des moyens d'y remédier". L'un de ces moyens serait de porter à 2% - au lieu de 1% aujourd'hui - le pourcentage de suffrages exprimés à partir duquel les candidats n'ont pas à déposer de compte de campagne (sauf perception de dons de personnes physiques).

Au-delà de cette remarque, le Conseil juge que "dans l'ensemble, les griefs relatifs à la campagne électorale invoqués dans les requêtes étaient assez classiques", notamment pour ce qui concerne les contestations relatives aux affiches ou aux tracts. C'est pourtant une affaire de tracts qui a conduit, compte tenu du très faible écart de voix, à l'annulation d'une élection dans le Territoire de Belfort (1ere circonscription).

Les règles générales suffisent à encadrer l'usage d'internet

En revanche, "comme lors du scrutin de 2012, le Conseil constitutionnel a pu constater que l'usage d'internet était susceptible de poser des questions nouvelles au juge électoral". Néanmoins, le Conseil "a pu connaître de ces différents usages d'internet en leur appliquant les règles générales encadrant la campagne électorale". Alors que le Parlement débat des "Fake News" et que des inquiétudes pèsent sur les élections européennes, le Conseil ne juge donc pas nécessaire de développer une législation ou réglementation spécifique.

Parmi ses décisions en la matière, le Conseil a annulé une élection (5e circonscription des Français établis hors de France) pour l'envoi la veille du scrutin - entre autres irrégularités -, d'un courrier électronique à une partie au moins des électeurs inscrits sur les listes électorales de la circonscription. De même, il a annulé une autre élection (Loiret, 4e) pour la diffusion de messages de propagande électorale, le jour même du scrutin, sur la page Facebook dédiée aux fonctions de maire du candidat élu et sur celle de l'un de ses adjoints, "qui ne revêtaient pas un caractère privé au sens des règles de confidentialité de ce réseau social". A l'inverse, le Conseil a jugé sans conséquence un échange de tweets entre deux candidats, faute d'avoir excédé les limites de la polémique électorale. A titre plus anecdotique, le Conseil, saisi pour la première fois de cette question, a estimé qu'un candidat ne pouvait pas valablement recevoir des dons par l'intermédiaire de l'opérateur de paiements en ligne PayPal.

Bulletins de vote et bilans de mandat

Si la question de la diffusion des sondages a été peu présente lors de ces législatives, le Conseil constitutionnel revient en revanche, dans sa synthèse, sur la question des bulletins de vote. Il estime en effet que "les dispositions régissant la présentation et le contenu des bulletins de vote mériteraient d'être revues". Il est en effet "possible de s'étonner" de l'incohérence entre l'article R.30 du code électoral qui interdit de faire figurer sur le bulletin de vote un autre nom que celui du candidat ou de son suppléant, et le fait qu'aucun texte n'interdit qu'un bulletin comporte la photographie d'une personne autre que le candidat ou son suppléant. De ce fait, le Conseil constitutionnel "n'a pu que rejeter le grief tiré de ce que des bulletins de vote comportaient une photographie du candidat aux côtés d'une personnalité politique non candidate", mais "il souhaite que cette pratique soit désormais interdite".

Sur les règles encadrant le financement des campagnes électorales, le Conseil a été confronté, à plusieurs reprises, à des contestations touchant à des dépenses liées à la publication de documents se présentant comme des "bilans de mandat". Pour le Conseil, la présentation par un candidat du bilan de la gestion des mandats qu'il détient ou qu'il a détenus n'est - en principe - pas irrégulière. Mais les dépenses correspondantes s'exposent toutefois à être qualifiées de dépenses électorales si elles se révèlent "engagées ou effectuées en vue de l'élection" au sens de l'article L.52-12 du Code électoral. Dans ses observations, le Conseil constitutionnel reprend d'ailleurs un extrait du Guide du candidat et du mandataire, établi par la CNCCFP, précisant qu'une dépense de publication d'un bilan de mandat "ne présente pas de caractère électoral à condition qu'elle ne fasse pas allusion à l'élection, ne développe pas de thèmes de campagne et ne vise pas à promouvoir la personnalité du candidat. Si ce n'est pas le cas, et même si la publication concerne un mandat différent de celui auquel le candidat se présente, le coût du journal ayant une connotation électorale doit être payé par le mandataire et intégré au compte". La frontière entre bilan de mandat et document électoral reste toutefois ténue, ce qui a parfois conduit à des appréciations divergentes entre la CNCCFP et le Conseil.

Références : Conseil constitutionnel, décision n°2019-28 ELEC du 21 février 2019, observations relatives aux élections législatives des 11 et 18 juin 2017 (Journal officiel du 23 février 2019).