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Economie mixte - "Il est crucial de laisser aux élus la gouvernance des EPL"

A l'occasion du premier Congrès des entreprises publiques locales (EPL) qui s'est tenu à Lyon du 30 septembre au 2 octobre, Martial Passi, maire de Givors, vice-président du Grand Lyon et nouvellement élu à la tête de la Fédération des EPL, revient sur l'événement et les grandes perspectives stratégiques à venir en matière d'économie mixte.

Localtis : Cette année, la Fédération des sociétés d'économie mixte est devenue la Fédération des entreprises publiques locales. Le congrès a-t-il pris acte d'un tournant qui dépasse ce simple changement d'identité ?

Martial Passi : Changer de nom avait été décidé en début d'année et n'est que le reflet d'un changement plus profond qui a marqué ce congrès. De grands axes stratégiques y ont été dressés, afin de préparer l'avenir de l'économie mixte. Au lieu d'être décidés au seul sein de la fédération, ces axes ont fait l'objet d'un patient travail de concertation mené tout au long de l'année auprès des associations régionales de Sem. Leur ancrage territorial en est d'autant plus fort. Parmi les principaux axes débattus, celui de la gouvernance des EPL a retenu l'attention des nombreux élus locaux présents au congrès. En effet, si l'économie mixte est fondée sur un mariage possible entre capital public et capital privé, il n'en reste pas moins que la gouvernance des EPL reste majoritairement dominée par l'apport public. Selon les structures, il représente de 80 à 85% des parts de capital. A contrario, rares sont les exemples où l'apport privé domine. Dès lors, il devient crucial de bien assumer le fait de laisser aux élus la gouvernance des EPL. C'est là un gage pour que les structures en question travaillent avant tout pour l'intérêt général. Par là, je n'entends pas que le privé ne ferait de son côté que des bénéfices et négligerait l'intérêt général. Mais il est clair que l'élu local est le mieux placé pour endosser ce qui devient alors pour lui une double casquette : un maire à la tête d'une Sem est par exemple d'une part responsable de l'aménagement de son territoire, de l'autre responsable de l'outil permettant concrètement sa mise en oeuvre.

 

La question de l'identité juridique de ces structures est-elle encore à l'ordre du jour ?

Oui, elle continue de préoccuper les élus à travers un second axe stratégique, à savoir la problématique de la concurrence. Les Sem relevant du droit communautaire, elles sont soumises à l'obligation de mise en concurrence. C'est notamment le cas depuis trois ans pour les Sem d'aménagement. Si cela se fait dans une pure logique de transparence des marchés, tant mieux. Toutefois, on redoute que cette ouverture à la concurrence conduise à des situations crispantes. Par exemple si une commune se dote d'une Sem pour gérer sa salle de spectacle, quel intérêt y-a-t-il à ce qu'une Sem du territoire voisin s'en mêle en devenant sa principale concurrente ?

 

Les EPL englobent essentiellement des Sem mais aussi des sociétés publiques locales d'aménagement (SPLA). Qui sont ces nouveaux venus ?

Lancées en 2006, ces structures se différencient des Sem dans le sens où elles sont 100% publiques et ne sont pas soumises au droit concurrentiel. Au sein de la fédération, on s'est donné cinq ans pour évaluer au cas par cas leur pertinence opérationnelle. Dans le cas de la Sem Lyon Confluence, que je connais bien pour avoir occupé jusqu'à présent la fonction de président de l'association des Sem de Rhône-Alpes, ce passage au statut de SPLA fut judicieux car ce projet urbain s'inscrit dans la durée et cela a donc évité que des mises en concurrence viennent ralentir les opérations et faire traîner le dossier. Sur un versant séduisant, on peut dire que cela permet d'aller correctement jusqu'au bout d'un projet. Sous un versant qui l'est moins à mon goût, la part d'investissement privé n'est plus présente et on s'éloigne du coup des fondements de base de l'économie mixte. Les directeurs de Sem en ont débattu lors d'un atelier du congrès. Ils se demandent si la généralisation d'un tel système exclusivement public ne remet pas en cause leur rôle et ne correspond pas à une forme de retour à la gestion directe par la collectivité. Par ailleurs, la question de l'élargissement des sociétés publiques locales à des applications de services, et non plus seulement d'aménagement, a également traversé le congrès. Si l'on reprend l'exemple de la salle de spectacle, on est en droit de s'interroger sur ce qui convient le mieux à sa gestion quotidienne. Le débat sur le sujet se prolongera cette année. Dans tous les cas, il s'inscrit dans une perspective d'ouverture, d'enrichissement de la boîte à outils à la disposition des élus. En effet, autant qu'ils aient le maximum d'outils sous la main pour juger de ceux qui sont les mieux adaptés à leur projet.

 

Pourquoi les problématiques de développement durable ont-elles été mises à l'honneur lors du congrès ?

Car les Sem et EPL en traitent au jour le jour sur le terrain ! Qu'il s'agisse d'une Sem opérant dans l'aménagement ou dans les services de transport, la question de l'adaptation aux normes de développement durable fait débat et peut susciter des problèmes de coût. Chaque atelier du congrès a bien montré son intention de ne pas lâcher prise sur ce sujet capital pour l'avenir. Les Sem prennent donc à bras le corps l'enjeu, sans pour autant négliger l'impact qu'il a sur le financement des collectivités. En la matière, les exemples d'opérations vertueuses menées par des Sem ne manquent pas. En Rhône-Alpes d'ailleurs, deux opérations viennent d'être récompensées d'un Trophée 2008 des Epl: l'éco-parc technologique de Saint-Priest et Lyon Parc Auto pour son système d'autopartage Autolib'.

 

L'année 2008 est donc un bon cru pour les EPL ?

Assurément, d'autant qu'à ce changement de nom et à ces évolutions stratégiques viennent s'ajouter une croissance continue du nombre d'adhésions et de partenariats tissés. Une dizaine de conventions partenariales ont été signées lors du congrès, notamment avec le secteur privé. Sans oublier celles nouées entre la Fédération des EPL et le Syndicat national des directeurs généraux des collectivités territoriales, ou encore celle signée avec la Fédération mondiale des Cités unies. Pour développer l'outre-mer, on a signé une convention avec l'Agence française de développement. On affirme aussi de plus en plus notre place à l'international, au Brésil, au Maroc et en Europe. Quand j'observe la situation de crise financière internationale que nous traversons, je me dis qu'à l'évidence, le défi face auquel nous sommes placés ne peut que donner une impulsion à l'économie mixte. Le temps est donc venu de mieux la mettre en valeur.

 

Propos recueillis par Morgan Boëdec / Victoires Editions

Plus d'un millier de sociétés d'économie mixte

1.117 Sem sont aujourd'hui en activité, pour un chiffre d'affaires de 14,5 milliards d'euros et 54.200 emplois. Chaque année, trente nouvelles structures de ce type sont créées. Le succès de ce cocktail public-privé ne se dément pas et constitue un outil apprécié pour l'attractivité du territoire. D'ailleurs, des sociétés d'économie mixte départementales, à l'image de Destination 70 créée en 2003 en Haute-Saône pour développer le tourisme sur le territoire, ou même régionales sont en train d'émerger. "S'appuyant sur l'ensemble des acteurs du département ou de la région, elles ont un impact encore plus fort sur le développement du territoire", explique Didier Marcaud, responsable du département Tourisme et Réseaux de la Fédération des EPL (entreprises publiques locales). Exemple avec la Sem régionale des Pays-de-la-Loire, première expérience du genre au niveau régional. Créée il y a deux ans, "elle est l'outil opérationnel du développement économique de la région au sein de ses quatre métiers : développement économique, promotion touristique, observatoire régional, réalisation de la maîtrise d'ouvrage", explique Alain Breysse, directeur général adjoint de la Sem, dont le président n'est autre que Jacques Auxiette, président de la région. Auparavant, deux associations s'occupaient de ces activités. "On a décidé de les transformer en une société d'économie mixte pour profiter des avantages de ce type de structure : meilleur contrôle, transparence, logique d'entreprise". Depuis quelques années les Sem se développent aussi sur de nouveaux secteurs comme ceux en rapport avec le vieillissement de la population et les handicapés, ou encore avec les énergies renouvelables. Le Futuroscope, déjà exploité par une Sem (avec 40% du capital détenu par des entreprises privées), va ainsi s'appuyer sur une autre Sem pour équiper sa toiture de panneaux photovoltaïques. Reste que la concurrence est de plus en plus forte. "Pour que les Sem puissent se développer, il faut un appui politique fort", souligne Didier Marcaud.

Emilie Zapalski