Hausse de la pauvreté : le CNLE alerte à son tour et fait des propositions
Revaloriser les minima sociaux, pérenniser les dispositifs liés à la trêve hivernale, créer une tarification sociale pour internet, mieux soutenir les associations, mettre en place l'équivalent d'un RSA jeune, bâtir un "plan national de raccrochage scolaire", lutter contre le non-recours aux soins... Alors que des annonces de Jean Castex sont attendues pour la mi-octobre, le Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE) vient de faire part de ses préconisations pour "accompagner les plus fragiles face à la crise".
Alors que le collectif Alerte, qui regroupe 35 fédérations et associations nationales de solidarité, vient d'être reçu par Jean Castex et a exprimé ses attentes et ses inquiétudes sur l'absence des plus démunis dans le plan de relance (voir notre article ci-dessous du 5 octobre 2020), c'est au tour du Conseil national de lutte contre les exclusions (CNLE) de faire part de ses préconisations. Présidée par Fiona Lazaar, députée (LREM) du Val d'Oise, cette instance officielle a rendu un avis intitulé "Soutenir, accompagner, protéger : 12 propositions pour accompagner les plus fragiles face à la crise".
Des disparités importantes mises en évidence en période de confinement
Ces propositions sont le fruit d'un travail engagé depuis juin par le CNLE et associant notamment le collège des personnes concernées. Pour Fiona Lazaar, "ces 12 propositions sont des propositions concrètes, opérationnelles. Elles visent à contribuer de façon immédiate au plan de relance du pays, qui doit prendre toute la mesure de l'urgence sociale pour réussir". Ce travail part du constat, difficilement contestable, que "la crise sanitaire sans précédent qui frappe notre pays depuis février 2020 s'est transformée en crise économique et sociale. Elle a particulièrement touché les personnes les plus pauvres, les plus isolées et les plus vulnérables, malgré les mesures exceptionnelles qui ont pu être prises pour la contenir". L'avis pointe aussi le fait que la crise a fait ressortir "certaines insuffisances de notre protection sociale" et mis en évidence "l'ampleur des disparités vécues en situation de confinement, qu'il s'agisse de l'accès à l'alimentation et à un hébergement protecteur, de la perte de ressources, de l'accès aux dispositifs de protection sanitaire, de la continuité de la scolarisation, du risque d'isolement". Les mesures que le Premier ministre doit annoncer à la mi-octobre sont donc très attendues.
Dans cette perspective, le CNLE formule ses préconisations, qui visent un triple objectif. D'abord pallier le manque de ressources de ceux qui, ne bénéficiant pas de contrat de travail de droit commun ni d'une allocation de chômage, n'ont pu être touchés par les mesures exceptionnelles mises en place et ne bénéficieront pas de leur prorogation (notamment via une amélioration des minima sociaux). Ensuite, pérenniser ou étendre les bonnes pratiques qui ont vu le jour dans le contexte des solidarités rendues nécessaires par le confinement. Enfin, dans certains cas, ouvrir de nouvelles voies aux droits sociaux universels dans l'esprit de la loi de 1998 de lutte contre les exclusions.
Revalorisation des minima sociaux et des APL
Ces trois objectifs se déclinent en douze propositions. On peut certes regretter le manque de précision de certaines d'entre elles et l'absence de tout chiffrage, mais le Conseil ne dispose pas forcément des moyens permettant de se livrer à ce travail. C'est ainsi que, sur le volet "Soutenir", le CNLE demande que les minima sociaux soient revalorisés "substantiellement et à très court terme" dans le cadre des textes budgétaires pour l'année 2021. De même, pour lutter contre le mal logement, il demande la pérennisation de tous les dispositifs mis en œuvre pendant l'état d'urgence sanitaire, afin de "sortir du système précaire de la trêve hivernale". Le CNLE demande aussi une "revalorisation immédiate" des APL et le retour à leur indexation sur l'inflation.
Sur la lutte contre l'exclusion numérique, il préconise la création d'un forfait illimité en situation d'urgence et d'une tarification sociale du numérique, ainsi que d'un taux réduit de TVA sur les appareils reconnus de première nécessité. S'appuyant sur le rôle important des associations durant la crise, l'avis recommande aussi de renforcer le soutien de l'État et des collectivités territoriales aux associations, notamment celles de grande proximité.
Pour un "droit à l'accompagnement" ouvert à tous les jeunes et un "plan national de raccrochage scolaire"
Sur le volet "Accompagner", la première mesure serait de créer un véritable droit à l'accompagnement ouvert à tous les jeunes, sans limite de temps, assorti d'une allocation de ressources accessible dès 18 ans au regard de la situation du jeune. Cette allocation de ressources devrait être équivalente au montant du RSA. Reprenant une demande récurrente – qui s'est déjà traduite ces dernières années par les "rendez-vous des droits" des CAF –, le CNLE plaide aussi pour renforcer l'accessibilité des services publics, à travers le développement des actions "d'aller vers" à destination des publics dits invisibles. Il propose pour cela de s'appuyer sur le déploiement des maisons France Service sur l'ensemble du territoire et sur le renforcement de leur rôle et de leurs moyens.
De façon plus ciblée, il préconise aussi, face aux inquiétudes sur les décrochages scolaires, de mettre en place un "plan national de raccrochage scolaire", afin de lutter contre les effets du confinement sur la continuité? éducative. Ceci passe aussi par la pérennisation de dispositifs comme le programme des "vacances apprenantes" et le renforcement des dispositifs de soutien scolaire gratuit ("Devoirs faits"). Rejoignant les annonces du ministre de l'Intérieur et de la ministre déléguée à la Citoyenneté, le CNLE soutient par ailleurs la sécurisation de la situation administrative des personnes migrantes, en facilitant l'obtention d'un titre de séjour, ou la naturalisation de celles qui ont été à l'œuvre durant la crise.
Protéger les plus vulnérables
Enfin, sur le volet "Protéger les plus vulnérables", le CNLE salue les mesures prises durant la crise sanitaire et propose de pérenniser les équipes mobiles sanitaires et de réactiver les centres de santé dédiés au Covid-19 en cas de reprise de l'épidémie. Il préconise également de supprimer les délais de carence pour l'accès à l'aide médicale d'État (AME) et à l'Assurance maladie, en particulier pour tous les tests et soins relatifs à l'épidémie de Covid-19. Dans le même esprit, l'avis recommande de pérenniser les actions de distribution de masques gratuits et de gel hydro-alcoolique aux publics les plus précaires.
De façon plus large, le CNLE suggère de lutter contre le non-recours aux soins – qui dépasse largement le seul cadre de la pandémie –, notamment en prévoyant que la complémentaire santé solidaire sans frais soit automatiquement attribuée aux personnes percevant le RSA. Le Conseil rappelle au passage "que le caractère quérable (c'est-à-dire la nécessité, pour faire valoir un droit, d'engager une démarche) de certains droits constitue un obstacle générant du non-recours".