Prévention - Halls d'immeubles, squats, trafics... le désarroi des bailleurs
"Les occupations abusives et illégales des espaces communs ne sont pas un phénomène récent. Mais ce phénomène est devenu au fil des temps la problématique majeure des bailleurs sociaux en matière d'atteinte aux personnes et aux biens." Auditionné dans le cadre d'une table ronde organisée par la mission de l'Assemblée sur la lutte contre l'insécurité, mardi 13 mai, Jean-Luc Sidot, responsable sûreté au Logement Francilien, a exprimé le désarroi des bailleurs face à un problème "non résolu par les pouvoirs publics à ce jour". Au-delà de l'image des jeunes qui "tiennent les murs" pour tromper l'ennui, l'occupation des halls ou des cages d'escalier donne lieu parfois de véritables trafics de stupéfiants, comme l'a rappelé Claire Thieffry, responsable du département tranquillité-sécurité à l'Union sociale pour l'habitat, conduisant "à des appropriations de territoires fortes". "Il y a cinq ans, on parlait de la perte de la nuit, il y a quatre ans, on a perdu l'après-midi. Ne perdons pas le contrôle des territoires le matin", a-t-elle lancé.
"Les résultats se font toujours largement attendre. C'est un point très sensible qui s'est aggravé en raison des trafics", a reconnu le président de la mission, Jean-Pierre Blazy.
En dehors des occupations "dures", des trafics, la gestion des "conflits de basse intensité" - c'est-à-dire les nuisances qui empoisonnent la vie des locataires -, a donné lieu à une batterie de textes au cours des vingt dernières années, tout d'abord en donnant la possibilité aux gardiens de faire appel à la police nationale (1995) puis à la police municipale (2001) jusqu'à la loi Sarkozy de mars 2003 qui a créé un délit d'occupation illicite des halls d'immeubles passible d'une peine d'emprisonnement de deux mois ferme et de 3.750 euros d'amende. La loi de prévention de la délinquance du 5 mars 2007 a étendu ce délit aux espaces communs et aux toits et a durci les sanctions. Ainsi, "lorsque cette infraction est accompagnée de voies de fait ou de menaces, de quelque nature que ce soit, elle est punie de six mois d'emprisonnement et de 7.500 euros d'amende". Toutes ces dispositions sont aujourd'hui consignées dans les articles L. 126-2 et L. 126-3 du Code de la construction et de l'habitation.
"Contraventionnaliser la présence dans le hall"
Seulement, de l'avis des bailleurs, le délit d'empêchement d'accès aux parties communes donne rarement lieu à des procédures. Un rapport d'inspection de 2012 concluait qu'il était "peu opérant" du fait "des contraintes tenant à la réunion des éléments constitutifs de l'infraction". Résultat : une centaine de condamnations sont prononcées chaque année, bien peu au regard des cas recensés.
L'effet dissuasif de la réquisition des services de police ne dure que "le temps de leur présence sur le site", a déploré Jean-Luc Sidot. "Dès que la police a quitté le lieu, les individus réintègrent le hall. Il y a un vide juridique." Pire, selon lui, l'intervention de la police peut être "contreproductive". Elle suscite "l'incompréhension des locataires" et "les policiers eux-mêmes ne voient pas trop la finalité de leur action".
Aussi les bailleurs sont-ils favorables à un assouplissement du dispositif pour le rendre plus opérationnel. Jean-Luc Sidot propose "un mécanisme gradué de réponses à ce vide juridique". Deux solutions. Il s'agirait en premier lieu de "contraventionnaliser la présence dans le hall". En clair, de passer du délit à la contravention, afin de "toucher les gens, et remonter vers les parents". Il avance une autre idée : "correctionnaliser toute présence injustifiée dans les halls" en complétant le délit prévu la loi de 2003. Celui-ci serait assorti d'un contrôle judiciaire préalable, c'est-à-dire une interdiction prononcée par un magistrat de revenir sur les lieux. En cas de non-respect, la sanction tomberait.
Pour François Dreux chargé de mission médiation et tranquillité à Lille Métropole Habitat, il ne faut pas choisir entre contravention et délit mais plutôt prévoir une "réponse graduée" de l'un à l'autre, comme cela existe pour les voyageurs sans titre de transport : "On pourrait très bien prévoir une réponse graduée qui partirait du contraventionnel et qui deviendrait délictuelle à partir du moment où les faits sont constatés à plusieurs reprises sur un laps de temps." Le président de la mission Jean-Pierre Blazy s'est montré sensible à l'idée de contravention et a dit vouloir "déboucher sur une proposition".
210 expulsions pour troubles de voisinage
Les bailleurs ont manifesté le même sentiment d'impuissance pour faire appliquer l'article 6 de la loi de 1989 (complété par la loi du 5 mars 2007) en matière de troubles de voisinage. "Au niveau national, 6.000 expulsions ont été obtenues avec le concours de la force publique, dont 210 pour trouble de voisinage (…). Il est extrêmement difficile sur ce motif d'obtenir le concours des forces de police pour les expulsions", a indiqué Claire Thieffry.
Les bailleurs sont unanimes pour demander un meilleur partage de l'information avec les services de police, notamment sur l'identité des personnes contrôlées. "Nous sommes démunis, les services de police n'ont pas l'autorisation ou la compétence pour nous faire le retour des actions et des contrôles d'identités qu'ils ont menés (...). Nous avons les noms, mais nous n'avons aucun élément probant pour convoquer les familles", a déploré Brahim Terki, directeur délégué à la tranquillité et aux affaires juridiques à Argenteuil-Bezons Habitat. "Cela pose un réel problème d'efficacité." Sur les 11.000 logements que gère Argenteuil-Bezons Habitat, une dizaine d'expulsions sont prononcées chaque année, a-t-il précisé. Brahim Terki s'est prononcé pour une évolution de la loi du 5 mars 2007 ayant institué le droit au logement opposable. Cette loi permet aux propriétaires de récupérer leur logement squatté, mais elle ne s'applique pas aux bailleurs sociaux qui sont pourtant "souvent confrontés à l'occupation illégale de leurs logements" et doivent dépenser de fortes sommes pour s'en prémunir.
François Dreux a alerté sur "une multiplication sensible d'agressions contre les salariés". Le plus souvent, il s'agit d'agressions verbales, "mais pour 10% d'entre elles, on passe au stade de l'agression physique". Il a proposé d'élargir l'un des points de la loi pour la sécurité intérieure du 18 mars 2013. Cette loi a prévu des circonstances aggravantes en cas de menaces à l'encontre des gardiens. "Seuls les gardiens sont expressément visés par le texte. Cela montre une méconnaissance des bailleurs. Les agents d'accueil, les responsables de sites ne sont pas visés par la loi, dans la majorité des cas, ces agressions relèvent de la contravention."