Environnement - Grenelle 2 : les péages urbains sont de retour dans le texte
Le 16 juin, les députés et sénateurs réunis en commission mixte paritaire (CMP) pour trouver un compromis sur le projet de loi Grenelle 2 ont adopté une dizaine d'amendements modifiant ce texte, qui fera l'objet d'un ultime vote de chaque chambre, le 28 juin au Sénat et le 29 à l'Assemblée.
Très peu de changements ont été apportés au volet Bâtiments, hormis la suppression de l'obligation qui s'impose au vendeur de fournir un diagnostic de performance énergétique (DPE) dès la mise en vente d'un logement. Déjà critiqué durant les précédents débats pour sa faible consistance, le DPE ne sera par ailleurs pas opposable au vendeur, ont tranché les quatorze membres de la commission.
En matière d'urbanisme, un amendement de l'un des rapporteurs du texte, Michel Piron, prévoit les "dispositions transitoires aux plans locaux d'urbanisme (PLU), aux PLH (programmes locaux de l'habitat) et aux PDU (plans de déplacement urbains) approuvés qui ne couvrent qu'une partie du périmètre d'un EPCI compétent pour élaborer ces documents". Ces trois plans "demeurent applicables jusqu'à l'approbation d'un PLU intercommunal", stipule la nouvelle rédaction du texte. "Pendant un délai de trois ans, ces documents peuvent évoluer par application de n'importe laquelle des procédures prévues", est-il précisé. Passé ce délai, "toute évolution de ces documents remettant en cause leur économie générale ne pourra se faire que par l'approbation d'un PLU intercommunal". A l'article 13 ter du texte, qui prévoit que "tout projet d'extension du périmètre d'urbanisation d'une agglomération nouvelle est soumis pour avis aux conseils municipaux des communes concernées", la CMP a ajouté que cette même procédure s'applique à "tout projet de création d'une opération d'intérêt national (...) située dans le territoire d'une ou plusieurs communes limitrophes du périmètre d'urbanisation d'une agglomération nouvelle". Pour les zones de protection du patrimoine architectural, urbain et paysager (ZPPAUP), transformées en "aires de mise en valeur de l'architecture du patrimoine" (article 14), Patrick Ollier, député UMP des Hauts-de-Seine et président de la commission des affaires économiques des l'Assemblée nationale, a fait préciser que ces aires se "substituent" aux ZPPAUP mises en place avant l'entrée en vigueur de la loi Grenelle 2 "sur délibération de la commune qui est à l'origine de [leur] création".
Concernant l'affichage publicitaire, des amendements ont tempéré le durcissement qui est prévu au niveau réglementaire. Ainsi, l'affichage publicitaire reste permis dans les zones à vocation commerciale, mais dans un contexte étroitement encadré. Le règlement local de l'autorité administrative compétente peut l'autoriser "à proximité immédiate des établissements des centres commerciaux exclusifs de toute habitation et situés hors agglomération, dans le respect de la qualité de vie et du paysage et des critères, en particulier relatifs à la densité, fixés par décret". L'interdiction des pré-enseignes hors agglomération est "nuancée" : certains panneaux promouvant des activités du terroir ou de caractère culturel resteront autorisés. "Pour le reste, passé un délai de cinq ans, seule est admise la signalisation routière."
Pour encourager une pratique déjà testée par certains gestionnaires d'autoroutes, les deux rapporteurs du volet transports du texte Louis Nègre, sénateur UMP des Alpes-Maritimes, et Serge Grouard, député UMP du Loiret, ont renforcé la possibilité de moduler les péages acquittés par les particuliers en fonction de critères environnementaux. Ils ont aussi modifié l'article 22 ter établissant une taxe sur les plus-values immobilières autour des gares afin de la coordonner avec le dispositif de la loi sur le Grand Paris adoptée fin mai par le Parlement. De 800 mètres, le périmètre maximal d'application de la taxe à taux plein passe à 1.200 mètres et un demi-taux est établi entre 800 et 1.200 mètres.
Surtout, les deux rapporteurs ont réintroduit dans le texte une mesure initialement inscrite dans le projet de loi, approuvée par le Sénat puis rejetée par l'Assemblée nationale, à savoir la possibilité donnée aux agglomérations de plus de 300.000 habitants "dotées d'un plan de déplacement urbain approuvé prévoyant la réalisation d'un transport collectif en site propre" d'expérimenter le péage urbain à l'entrée du centre-ville. Cette expérimentation, "à la demande de l'autorité organisatrice des transports urbains", pourra durer trois ans et devra être autorisée par décret en Conseil d'Etat. Elle sera conditionnée à la réalisation d'"une étude d'impact préalable à charge et à décharge", à une "concertation avec l'ensemble des parties concernées" et ne pourra être instaurée qu'"après la mise en place préalable d'infrastructures et de services de transport collectif susceptibles d'accueillir le report de trafic lié à l'instauration du péage". Le péage urbain sera "applicable aux véhicules terrestres à moteur qui franchissent les limites d'un périmètre géographique ou circulent sur des voies routières déterminées". "Son montant est fixé par l'autorité organisatrice des transports urbains dans la limite d'un seuil défini par décret en Conseil d'Etat" et son produit "sert à financer les actions mentionnées au plan de déplacements urbains", indique le texte. Le dispositif a été allégé par rapport au texte adopté au Sénat, ont affirmé les rapporteurs. Ainsi, il ne nécessitera ni tutelle ministérielle ni rapport de bilan à remettre au Parlement. Mais les collectivités engagées dans l'expérimentation devront quand même remettre tous les trois ans un rapport d'évaluation aux ministres en charge des collectivités territoriales et des transports.
Le volet Energie a fait l'objet de modifications mineures. Deux niches fiscales ont toutefois été supprimées : celles visant à exonérer d'impôt sur les sociétés le produit de la vente d'électricité photovoltaïque pour les installations d'une puissance inférieure à trois kilowatts crête ainsi que le produit issu de la vente de certificats d'économie d'énergie par les sociétés HLM. A l'article 34 concernant l'éolien, les deux rapporteurs des volets Energie, Bruno Sido, sénateur UMP de Haute-Marne, et Serge Tranchant, député UMP de Loire-Atlantique, ont défendu un amendement destiné à "prévenir une extension continue des zones destinées à l'habitation opposables aux projets d'éoliennes". Alors que le texte adopté par l'Assemblée nationale prévoyait que "la délivrance de l'autorisation d'exploiter (était) subordonnée à l'éloignement des installations d'une distance de 500 mètres par rapport aux constructions à usage d'habitation, aux immeubles habités et aux zones destinées à l'habitation", la version de la CMP limite cette opposabilité "aux zones déjà définies à la date de publication" de la loi Grenelle 2.
Concernant les schémas de cohérence écologique (article 45), un amendement a introduit plus de souplesse dans leur élaboration prévue par les régions, sachant que rien ne sert d'"imposer un modèle unique national pour toutes les régions". Pour délimiter les zones "où des mesures doivent être prises pour limiter l'imperméabilisation des sols", les communautés d'agglomération auront un peu plus de temps - avant 2015 au lieu de 2012. Quant à la possibilité de créer un service unique de l'assainissement, elle a été évacuée du texte et devra faire l'objet d'un débat parlementaire plus approfondi. Côté déchets, l'expérimentation de la taxe d'enlèvement des ordures ménagères (Teom) incitative pourra être réalisée sur cinq ans et non trois. Le rétablissement de la consigne n'étant pas "grenellement compatible" aux yeux de plusieurs membres de la CMP, celle-ci a supprimé l'article 78 quater A rétablissant la consigne dans la filière restauration.
Au chapitre de la gouvernance, les deux rapporteurs, Bertand Pancher, député UMP de la Meuse, et Daniel Dubois, sénateur Nouveau Centre de la Somme, ont modifié la rédaction de l'article 94 quinquies qui définit les conditions et limites dans lesquelles le principe de participation du public défini à l'article 7 de la charte de l'environnement est applicable aux décisions réglementaires. L'exposé des motifs précise que les mesures concernant les collectivités territoriales feront l'objet d'un "autre texte, notamment une proposition de loi". "Cette obligation concerne (...) les collectivités territoriales et leurs établissements publics alors même que le Sénat n'a pas eu l'obligation en séance publique d'examiner cette disposition, potentiellement lourde de contraintes administratives supplémentaires. En outre, les associations d'élus locaux n'ont pas pu mesurer l'impact de cette mesure", ont estimé les deux rapporteurs.
Enfin, l'article 95 précise que les lignes électriques de raccordement d'une installation de production d'électricité réalisées en technologie souterraine et de longueur inférieure à 100 kilomètres ne sont pas soumises à débat public organisé par la Commission nationale du débat public (CNDP). Selon l'exposé des motifs, l'objectif est d'"accélérer les procédures d'autorisation des projets de construction" et de "faciliter le recours à la technologie souterraine", la procédure CNDP rallongeant la durée d'instruction des projets "dans le meilleur des cas, de 18 à 24 mois".
Morgan Boëdec / Victoires-Editions, et Anne Lenormand
Volet Transports : des avancées et quelques regrets, pour les associations d'élus
L'Association des maires de grandes villes de France (AMGVF) a été la première à saluer l'adoption par la CMP du droit à l'expérimentation du péage urbain dans les agglomérations de plus de 300.000 habitants. Elle y voit "un dispositif supplémentaire au service de la mobilité urbaine conforme au principe de la libre administration des collectivités territoriales". Pour Michel Destot, son président, député-maire de Grenoble, ce dispositif "peut permettre de réduire les émissions de gaz à effet de serre et la pollution atmosphérique responsable de 30.000 morts prématurés chaque année". Mais, ajoute-t-il dans un communiqué, il ne doit pas être "socialement discriminant" et "il nécessite le développement de transports alternatifs au service des populations concernées".
Le Groupement des autorités responsables de transport (Gart), dont le président, Roland Ries, et le vice-président, Louis Nègre, ont ardemment défendu le droit à l'expérimentation du péage urbain, s'est naturellement réjoui de son adoption par la CMP. "Par les ressources dégagées, cela permettra concrètement de mettre à disposition des concitoyens les plus modestes des moyens de transport de qualité", estime le Gart dans un communiqué. Il salue aussi d'autres "avancées significatives" de Grenelle 2 : "l'évolution des compétences des autorités organisatrices de transport disposant désormais d'outils supplémentaires pour mettre en oeuvre une politique intégrée des transports - vélos en libre-service, autopartage ou covoiturage, etc. - sur leur territoire" ou encore "la mise à disposition pour les AOT de nouveaux leviers de financement tels que la taxation des plus-values foncières dans la proximité des stations de TCSP [transports en commun en site propre, NDLR]"et "la majoration du versement transport (VT) pour les communes touristiques".
Mais le Gart formule aussi plusieurs regrets, à commencer par la décision gouvernementale de reporter à 2012 la mise en oeuvre de l'écotaxe poids lourds dont le produit, reversé à l'Agence de financement des infrastructures de transport de France (Afitf), est destiné à financer des projets d'infrastructures alternatives à la route. L'Afitf va de ce fait "être privée de ressources pérennes jusqu'en 2013", déplore le Gart. Il regrette aussi l'absence de majorations spécifiques du taux de VT pour les agglomérations de moins de 100.000 habitants réalisant un projet de TCSP. Une autre de ses propositions, défendue au cours des différentes phases du Grenelle, est restée lettre morte : le fait de donner aux régions et aux départements la possibilité d'instaurer un VT en dehors des périmètres de transports urbains. "Aux yeux des élus du Gart, c'est donc la question de la dépénalisation et la décentralisation du stationnement payant de surface qui reste plus que jamais d'actualité car cette mesure est à même d'assurer une meilleure régulation de la congestion des centres-ville et de dégager des ressources supplémentaires en faveur des transports collectifs."
A.L.