Patrimoine - Gratuité des musées : vers des mesures ciblées plutôt qu'une règle générale
Lors de sa séance du 26 mars, le Sénat a discuté d'une question orale avec débat posée par Jacques Valade et portant sur l'expérimentation de la gratuité des musées. Après avoir exposé les grande lignes de l'expérience en cours depuis le 1er janvier, le sénateur de la Gironde a rappelé que depuis l'instauration de droits d'entrée dans les musées en 1922, les musées nationaux ont toujours maintenu des systèmes ponctuels de gratuité, visant soit certains publics, soit des jours particuliers. Il a également souligné que plusieurs collectivités territoriales ont déjà décidé d'instaurer la gratuité d'accès à leurs musées. C'est notamment le cas des musées de Paris, Bordeaux, Caen et Dijon ou de ceux appartenant au département de l'Isère. Au niveau international, l'exemple le plus souvent cité est celui de la Grande-Bretagne, qui a rétabli, sous le gouvernement de Tony Blair, la gratuité d'accès aux collections permanentes de ses musées. En dépit de ces exemples, il a cependant soulevé un certain nombre d'interrogations : la gratuité ne serait-elle pas une "fausse bonne idée" dans le domaine de la culture ? Quels seront le coût et les contreparties à la gratuité ? Dans quelle stratégie territoriale s'inscrit l'expérimentation, la gratuité des musées nationaux risquant de susciter "une forme de concurrence" avec les établissements locaux ?
Les différents intervenants dans le débat, quelle que soit leur appartenance politique, se sont montrés plutôt favorables à la gratuité mais avec certaines réserves. Ils ont rappelé que toutes les expérimentations déjà conduites se sont traduites par une hausse significative et durable de la fréquentation. Certains d'entre eux se sont toutefois interrogés sur la pertinence d'une gratuité intégrale, tandis que d'autres se montraient réservés sur l'application de la gratuité aux visiteurs étrangers (qui ne financent pas les musées français par leurs impôts). La question d'une application diversifiée de la gratuité en fonction du type de musées a également été évoquée, de même que celle des conséquences financières de la gratuité (perte de recettes).
Dans sa réponse, Christine Albanel a rappelé que "la politique tarifaire est [...] un levier essentiel pour l'augmentation et la diversification des publics". La loi du 4 janvier 2002 relative aux musées de France prévoit d'ailleurs que "les droits d'entrée des musées de France sont fixés de manière à favoriser leur accès au public le plus large". Reprenant tout l'historique du débat sur la gratuité des musées - apparu dès 1896 lors de la création de la Caisse des musées nationaux -, Christine Albanel a confirmé que "la démocratisation de l'accès à la culture est un objectif absolument majeur pour le gouvernement", mais qu'il convient "de choisir les bons leviers pour attirer de nouveaux publics". Sur ce point, elle a souligné la difficulté à tirer des conclusions immédiates face à la diversité des chiffres. Si les 14 musées expérimentant la gratuité totale ont vu leur fréquentation progresser en janvier et février 2008 de 65% par rapport à l'année précédente, ce chiffre recouvre des écarts considérables qu'il conviendra d'analyser : +20% pour le musée Guimet, mais +345% pour le palais Jacques-Coeur de Bourges et +204% pour le musée de la Marine à Toulon. L'exemple le plus probant semble être celui du musée de l'Air, déjà très fréquenté avant la gratuité, et qui a vu son nombre de visiteurs bondir de 139%. De même, les analyses sur le profil des visiteurs ne sont pas encore disponibles. Conclusion : à ce stade, "aucune solution globale ne s'impose". La ministre de la Culture - qui, dans la lignée du monde culturel, n'a jamais caché ses réserves sur l'instauration d'une gratuité totale - "souhaite en fait que, à l'issue de cette expérimentation, nous soyons en mesure de définir une politique des publics ambitieuse et qui déploie un 'arsenal' de dispositions tarifaires adaptées, dont l'Etat maîtrisera l'incidence, les coûts directs et induits". Les grands axes de cette politique, centrée sur des mesures catégorielles plutôt qu'une gratuité généralisée, devraient être présentés "à l'automne prochain". En ces temps de rigueur comptable, Christine Albanel pourrait bien trouver un allié précieux en la personne du ministre du Budget. Une gratuité totale des musées nationaux représenterait en effet un coût annuel de 165 à 200 millions d'euros (compensation de la perte de recettes des établissements). Mais une gratuité réservée aux 18-25 ans ou générale mais limitée à la seule journée du dimanche ne coûterait que 15 à 25 millions d'euros par an.
Jean-Noël Escudié / PCA
Référence : question orale avec débat relative à l'expérimentation de la gratuité des musées (discutée au Sénat lors de la séance du 26 mars 2008).
Les dix-huit musées gratuits
La liste comprend 14 musées qui expérimentent une gratuité totale sur leurs collections permanentes : 6 à Paris et en région parisienne - Guimet, Cluny, Arts et Métiers, Antiquités nationales de Saint-Germain-en-Laye, musée national de la Renaissance d'Ecouen et musée de l'Air et de l'Espace du Bourget - et 8 en province : musée de la Marine de Toulon, musée Adrien-Dubouché à Limoges, musée Magnin à Dijon, palais du Tau à Reims, palais Jacques-Coeur à Bourges, château d'Oiron, musée du château de Pau et château de Pierrefonds. S'y ajoutent les quatre musées nationaux les plus prestigieux - Le Louvre, musée d'Art moderne du Centre Pompidou, Orsay et le Quai Branly - qui ne testent qu'un "dispositif de gratuité ciblée à destination du jeune public" (un moyen pour faire participer ces grands musées sans remettre en cause leur équilibre budgétaire). Cette expérimentation partielle prend la forme d'une soirée gratuite par semaine (de 18 à 21 h) pour les jeunes de 18 à 25 ans.