François Bonneau (Régions de France) : "En matière d'orientation, il est temps de mettre un pilote identifié dans l'avion"
Régions de France organisait ce mercredi 16 octobre à Marseille ses Rencontres interrégions sur l'orientation, à l'occasion des dix ans du service public régional de l'orientation. François Bonneau, président du conseil régional de Centre-Val de Loire et président de la commission éducation, orientation, formation et emploi de Régions de France, est revenu pour Localtis sur cet anniversaire.
Localtis : Comment la compétence orientation des conseils régionaux se porte-t-elle ?
François Bonneau : Cette compétence s'appuie sur deux éléments : la création du service public régional d'orientation (SPRO), il y a de cela dix ans, mais aussi la compétence ultérieure donnée aux régions en matière d'information sur les métiers. Aujourd'hui, certes, une étape a été franchie dans la reconnaissance des régions comme niveau de responsabilité susceptible de répondre aux besoins des jeunes comme des adultes en matière d'accompagnement dans l'élaboration du projet d'orientation, mais on reste globalement dans une confusion particulièrement dommageable, et à une étape seulement de la mise en place d'un véritable service public de l'orientation, au sein duquel les régions auraient une compétence reconnue sans que vienne en permanence interférer des doublons particulièrement dommageables.
Où en êtes-vous dans vos rapports avec l'État, qui n'ont pas toujours été faciles ces dernières années, en matière d'orientation ?
La loi pour le Plein emploi du 18 décembre 2023 [qui crée France Travail, ndlr] ne prend pas en compte à un niveau suffisant l'investissement qui est celui des régions. Là aussi, on risque d'avoir à terme un doublon. C'est la raison pour laquelle, par rapport à la déclinaison de cette loi, qui crée le comité national France Travail, le comité régional, le comité départemental, le comité local, les régions ont demandé, pour que soit tiré profit de toute l'énergie que nous avons commencé à agréger au sein du service public régional de l'orientation, à être présentes au niveau national, en coprésidence avec les préfets de région au niveau régional, en participant au niveau départemental, qui sera l'endroit où seront pris en compte les besoins des personnes bénéficiaires des actions d'insertion des départements, et en coprésidence au niveau local avec les sous-préfets pour que nous ayons une véritable cohérence. Nous sommes dans une phase de mise en place et nous sommes extrêmement vigilants pour qu'il n'y ait pas les SPRO d'un côté et les instances France Travail de l'autre, qui ne seraient pas totalement coordonnées et totalement articulées, voire totalement fusionnées.
À l'occasion de vos rencontres à Marseille, vous avez commandé à l'organisme Olecio une étude qui fait notamment état d'un millefeuille dans l'orientation, lequel crée de l'insatisfaction chez les usagers. Partagez-vous ce constat ?
S'agissant des jeunes, très clairement, l'accompagnement dans l'orientation est décrit comme notoirement insuffisant par les jeunes eux-mêmes et leurs familles. C'est un des points sur lesquels ils témoignent le plus de leur insatisfaction, ils témoignent d'attentes non prises en compte, d'attentes déçues. L'étude conduite par Olecio vient confirmer cela, elle donne comme explication la multiplicité des acteurs, porteurs d'une partie de compétence, au niveau national, régional et local. Elle montre l'existence de doublons dans l'action, une très faible lisibilité du système. Si on veut que les usagers puissent se servir de ce service public, qu'il soit facile, lisible, il ne faut pas trente-six portes auxquelles frapper. L'étude montre aussi une dilution des responsabilités qui rend difficile l'évaluation des contributions des uns et des autres et l'évolution très concrète et pragmatique des dispositifs. L'étude indique clairement qu'il est temps de mettre un pilote dans l'avion, un pilote identifié, non pas un pilote qui fasse tout mais qui coordonne, qui travaille aussi bien avec les structures de l'Éducation nationale qu'avec les différentes grande filières professionnelles ou les acteurs économiques et sociaux capables de sensibiliser les jeunes, de les accueillir en stage. Cela, nous le demandons, y compris en direction de jeunes qui sont dans l'enseignement supérieur et qui souhaiteraient avoir un accompagnement dans leur choix d'études et dans leur parcours d'insertion professionnelle.
Pour être très clair, ce sont bien les régions que vous souhaitez voir tenir ce rôle ?
Le livre blanc que nous avions élaboré à l'occasion de la dernière élection présidentielle est extrêmement clair. À partir du moment où les régions ont une responsabilité directe sur certains segments de l'information, où elles sont partenaires de l'enseignement supérieur, partenaires du monde économique à travers leur compétence économique, elles sont tout indiquées pour être véritablement ce creuset à partir duquel les concertations, les observations, les accompagnements pourront se mettre en place, pas de manière verticale à partir de la région, mais au contraire de manière participative, collégiale, à l'échelle des territoires comme à l'échelle de l'espace régional.
Si on regarde maintenant les initiatives des régions depuis dix ans en matière d'orientation, quelles sont les grandes réussites ?
À partir de la décision du législateur de confier aux régions l'information sur les métiers en direction des publics scolaires, et plus largement de celles et ceux qui ont envie de s'engager dans un processus de formation, il y a eu de très belles évolutions, et le budget global consacré à cela, si l'on prend l'année 2023, dépasse les 170 millions d'euros. C'est dire combien les régions ont fait de cette nouvelle compétence une priorité, se sont investies avec la création d'outils, de dispositifs, d'évènements, la mobilisation d'agents, pour relever ce défi. Aujourd'hui dans les régions, il n'y a pas moins de 544 équivalents temps plein qui sont consacrés à l'accompagnement des évènements et des parcours individuels, et à la mise en œuvre d'une orientation qui permette d'appréhender les métiers de demain, qui permette aux jeunes d'élaborer un parcours de formation réfléchi et maîtrisé, qui part à la fois de l'intérêt des personnes et des besoins du monde économique.
Les régions doivent informer sur les métiers dès le collège. Or les collèges dépendent des conseils départementaux. Comment travaillez-vous ensemble ?
Cela a été compliqué au départ, non pas parce que les collèges dépendaient des conseils départementaux et que ceux-ci aient pris cette responsabilité sur l'orientation, ça n'est pas le cas. Mais comme les collèges dépendaient des départements, il y avait un maintien à distance des régions, qui étaient censées s'occuper exclusivement des lycées. S'agissant de la dimension orientation et information sur les métiers, elle figure de par la loi dans le périmètre de compétences des régions tant au sein des collèges qu'au sein des lycées. Et ça, il a fallu un certain nombre de mois pour le faire connaître et le faire partager par les collèges et l'Éducation nationale elle-même. Aujourd'hui, il y a encore quelques résistances ici ou là, mais globalement, on avance. Celles et ceux qui le prennent en compte s'aperçoivent du soutien important que cela constitue auprès des jeunes et des familles.
Réclamez-vous plus d'heures consacrées à l'orientation dans les cursus scolaires ?
Un quota d'heures a été reconnu par l'Éducation nationale comme devant faire partie de la formation des jeunes dès la classe de cinquième et tout au long du collège. Il faut avoir une application souple, adaptée aux réalités locales. Ce matin [l'entretien a eu lieu le 15 octobre, ndlr], j'étais dans le sud de l'Indre, à Argenton-sur-Creuse, pour la visite d'un village des métiers qui rassemblait près de cinq cents jeunes venant de différents collèges de la ruralité. Ils sont venus à la rencontre de professionnels qui étaient en situation, non pas de faire de la pub, mais de démonstration de leur métier, de dialogue, de contact. Dans un territoire rural, il faut que les jeunes qui viennent en car soient libérés sur un certain nombre d'heures. Si on leur dit qu'ils ont une heure hebdomadaire pour l'orientation sur leur emploi du temps, ça ne veut absolument rien dire et ça n'aura aucune efficacité. Là aussi, il faut que les établissements scolaires disposent de la souplesse et de l'autonomie nécessaires pour porter la compétence d'accompagnement et d'orientation au cœur des projets des collèges et des lycées, en lien avec le monde économique, en lien avec les évènements, d'une manière vraiment adaptée. On avance là-dessus, mais il faut en finir avec un certain nombre de rigidités qui rendent l'action extrêmement difficile.