Orientation : "un maquis" manquant d'un "cadre national établi et d'objectifs clairs"
Un rapport portant sur l'évaluation de l'accès à l'enseignement supérieur estime que l'écosystème de l’orientation demeure un "maquis" entre les nombreux acteurs publics – parmi lesquels les régions "frustrées dans leurs nouvelles compétences" – et l'offre privée qui "surfe sur l’anxiété des élèves". Résultat : les inégalités entre élèves et territoriales perdurent, soulevant "un enjeu d'équité" dont les pouvoirs publics doivent se saisir, estiment les rapporteurs.
"Il serait imprudent de dire que le panorama que le rapport du Comité d’évaluation et de contrôle (CEC) de 2020 (1) avait tracé s'est éclairci. Le maquis qui était décrit est toujours le même et l'écosystème de l'orientation met en présence des acteurs qui sont loin d’être des partenaires agissant de manière coordonnée ou simplement ayant connaissance de la mission et des actions menées par les autres", selon un rapport d’information confié aux députés Thomas Cazenave (Renaissance) et Hendrik Davi (LFI - Nupes). Il a été présenté devant ce même comité des politiques publiques de l’Assemblée le 20 juin 2023, et fait suite à un précédent rapport datant de 2020.
En plus de réaliser un état des lieux et de formuler des propositions, l'objectif était d'évaluer si les propositions formulées dans ce précédent rapport ont été réalisées. Verdict : les conclusions de ce nouveau rapport "ne sont pas éloignées du précédent". Et les députés d'en conclure que "la politique publique d'orientation des élèves doit donc être un chantier prioritaire de notre pays" afin "de lutter contre les déterminismes sociaux". "Or aujourd’hui, cette politique est caractérisée par un manque d'objectifs précis et un éclatement des acteurs sans coordination nationale qui se traduit par une dilution des actions menées et des inégalités fortes entre les élèves", peut-on lire dans le rapport qui recense une dizaine de préconisations (lire encadré ci-dessous).
Un enjeu d'équité que doivent garantir les pouvoirs publics
Pour les rapporteurs, l'écosystème de l'orientation demeure un "maquis" au même titre qu’en 2020, avec d'une part de nombreux acteurs publics (direction régionale académique de l'information et de l'orientation, service académique d'information et d'orientation, Onisep, établissements scolaires et supérieurs, différents profils de professeurs, psychologue de l'Éducation nationale, service public régional de l'orientation, service d'information et d'orientation, service commun universitaire d'information et d'orientation, etc.), et d'autre part des acteurs privés qui promeuvent "la découverte des métiers". Et le rôle de ces derniers a grandi avec l’adoption de la loi Avenir. Résultat, il est "difficile d’identifier l’ensemble des acteurs qui interviennent dans les établissements scolaires".
Le rapport souligne que l'un des facteurs, "plus problématique, qui explique le développement important de l’offre privée dans le champ de l’orientation, tient aux besoins très bien identifiés par nombre de structures autour des procédures de Parcoursup et de l'angoisse qu'elles provoquent". "Ce nouveau marché privé surfe sur l'anxiété des élèves et se développe de manière exponentielle, ayant pignon sur rue dans les salons d'orientation où ils démarchent les familles désemparées". Le rapport cite l'Inspection générale de l'éducation, du sport et de la recherche (2) de 2020 : "Les pouvoirs publics ont un rôle majeur à jouer en la matière, dans la mesure où la production et la mise à disposition d’une information de qualité recouvrent un enjeu d’équité."
"Forte frustration" de la part des régions
Concernant l'information à l'orientation, "toutes les régions ne se sont pas saisies de leurs nouvelles compétences de la même manière ni avec la même rapidité", selon le rapport. "Dans la majeure partie des cas, c’est sur la base du service public régional de l'orientation (Spro) préexistant depuis 2014 qu’elles se sont développées", note le rapport. "Si la situation est variable selon l'implication des régions, les inquiétudes demeurent vives, compte-tenu de leur ambition de voir leurs compétences étendues", peut-on lire dans ce document qui chiffre à 86 millions d’euros les sommes mobilisées par les régions sur l'orientation en 2022.
Le fait que le législateur ne soit pas allé "au bout de sa démarche" et que les régions n'aient pas "la possibilité de mettre en œuvre comme elles l’entendent les compétences qui leur ont été dévolues", fait parti des premiers griefs exprimés par les régions. Elles auraient souhaité que le cadre national de référence aille plus loin, en renforçant leur possibilité "de pouvoir intervenir plus directement auprès des équipes pédagogiques et des établissements pour faciliter la mise en œuvre des actions". La répartition des rôles avec l'enseignement supérieur est aussi décrite comme "floue", empêchant "une action structurée".
Le rapport rappelle néanmoins la série de dispositifs innovants mis en place par les régions : Orientibus, plateformes numériques, applications géolocalisées, casques de réalité virtuelle, les Nuits de l’orientation, actions dans le cadre des Campus des métiers et des qualifications, etc. Les régions regrettent cependant "que le manque de réel transfert de moyens pose la question de la capacité à organiser la massification de ces services essentiels". Finalement, cinq ans après l'entrée en vigueur de la loi, le rapport retient que les régions "expriment une forte frustration". Sans compter que le fait que les régions ne se soient pas emparées de la même manière de leurs nouvelles compétences induit, selon les associations de parents d’élèves, "de fortes inégalités territoriales"...
Dimension territoriale des inégalités
Le rapport relève également que les inégalités territoriales perdurent. En 2020 déjà, le rapport du CEC avait mentionné "l’inégale répartition des établissements d’enseignement supérieur qui affecte la mobilité sociale des jeunes, les plus défavorisés priorisant les universités proches de leur domicile pour des raisons de coûts". Concrètement, il faut comprendre que la mobilité inter-académies est "de ce fait socialement discriminée, d'autant plus que le calendrier d'instruction des dossiers de prestations sociales, décalé par rapport à celui de la procédure de Parcoursup, induit des incertitudes lourdes et des freins, lorsqu’un déménagement est à envisager pour un lycéen". Et, sans surprise, on constate que "la mobilité géographique est encore plus discriminée pour les élèves de zones rurales, plus éloignés des pôles universitaires, qui ont tendance à s'orienter plutôt vers des filières techniques courtes".
Le rapport cite enfin les données les plus récentes publiées par la direction de l'évaluation, de la prospective et de la performance. Elles "soulignent que si l’orientation en seconde générale et technologique (GT) dépend en partie des résultats scolaires des élèves et de leur milieu social, le contexte géographique est également important". Ainsi, "dans les départements où les élèves sont majoritairement scolarisés dans des communes urbaines denses ou très denses, l'orientation en seconde GT est plus fréquente. La diversité et la proximité des formations, notamment d'enseignement supérieur, favorisent les aspirations à des études longues. Inversement, dans les territoires éloignés des grandes villes, à résultats scolaires équivalents, l’orientation des élèves se fait plus souvent dans l’enseignement professionnel"(2).
(1) Accès à l’enseignement supérieur : pour une orientation choisie plutôt que subie, rapport d’information n° 3232 de Mme Nathalie Sarles et M. Régis Juanico, députés, juillet 2020.
(2) L'orientation : de la quatrième au master, IGÉSR, rapport thématique annuel, 2020.
Dans ses conclusions en page 167, le rapport préconise de "porter une nouvelle ambition pour la refondation de notre service public d’orientation" par la mise en œuvre d'une dizaine de propositions parmi lesquelles "se doter d’une politique nationale de l’orientation en définissant des objectifs précis, des moyens et des missions clarifiées pour chacun des acteurs". Les rapporteurs suggèrent aussi "la création d’un délégué interministériel à l’orientation chargé de la mise en œuvre de la politique publique en lien avec les régions". Ils souhaiteraient "garantir l'effectivité des 54 heures auxquelles tous les élèves ont droit dans tous les établissements, par l'inscription dans les emplois du temps des lycées et la prise en compte dans la dotation horaire globale des établissements". Ils préconisent par ailleurs "la labellisation des intervenants extérieurs au sein des établissements afin de s’assurer de la qualité des interventions". Ils estiment aussi qu'il faut "questionner la présence de certains critères dans Parcoursup comme les lettres de motivation ou le lycée d’origine" afin de "ne pas renforcer les déterminismes au moment de l’admission dans l’enseignement supérieur". Ils voudraient enfin engager une réflexion sur l'offre de formation avec la mise en place d’une cartographie des filières en tension". |