L'origine géographique et sociale toujours source d'inégalités dans l'enseignement supérieur
Dans un rapport consacré à l’enseignement supérieur et aux territoires, la Cour des comptes met en évidence une relation complexe et persistante entre l’enseignement supérieur et l’origine géographique, source d’inégalité : "Le taux de diplômés réduit globalement à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes." Aux côtés des universités, les collectivités restent "des alliées précieuses" qui les financent à hauteur de 1,5 milliard d'euros par an mais de manière "perfectible" et "parfois dispersée", estiment les Sages.
Le rapport publié mardi 7 février 2023 par la Cour des comptes met en évidence "la relation complexe et persistante entre l’enseignement supérieur et l’origine géographique". Et l’origine sociale des étudiants reste la cause principale d’inégalités d’accès à l’enseignement supérieur, établit la Cour. En effet, si la France se caractérise par un bon taux de diplômés du supérieur chez les 25-34 ans (49,4% contre 45,6% en moyenne pour l’ensemble des pays de l’OCDE), la répartition géographique de ce taux continue de traduire des inégalités territoriales d’accès à l’enseignement supérieur, dans le sens où "le taux de diplômés réduit globalement à mesure que l’on s’éloigne des grandes villes". La question étant de trouver "une doctrine stable", "celle-ci oscillant entre le fait de garantir une offre de proximité sur l’ensemble du territoire ou d’assumer les inégalités territoriales existantes dans l’offre universitaire", selon les Sages.
Près de 91.000 étudiants au sein de 150 antennes universitaires
Ainsi, "les inégalités sociales et géographiques dans l’accès à l’université sur le territoire demeurent, en dépit des tentatives engagées pour les réduire", peut-on lire dans le rapport. "Pour y remédier, des antennes universitaires ont été ouvertes ou maintenues, afin de rapprocher la formation des territoires", relatent les Sages. Ils estiment qu'il y en existe 150 environ et qu'elles accueillent à elles seules près de 91.000 étudiants. Selon l’enquête de la Cour, leur coût est comparable, voire inférieur, à celui des formations installées au sein des sites principaux. Le taux de réussite observé dans les antennes ne présente pas de différence majeure avec les universités mères mais le taux de poursuite d’études en deuxième cycle est faible, relève la Cour.
Autre enseignement important : "Les campus connectés constituent une autre réponse aux difficultés géographiques et sociales d’accès à l’enseignement supérieur, même si leur succès paraît mitigé." Le rapport constate que "huit d’entre eux sur la centaine créée depuis 2019 accueillent à ce jour plus de vingt étudiants" et estime que cela "relativise l’intérêt de ce nouveau modèle et conduit parfois à un coût par étudiant exorbitant".
La lutte contre les inégalités se joue également dans l’accueil et l’assistance offerte aux étudiants - certaines universités déployant des efforts importants pour mener une politique ambitieuse en matière de vie étudiante. La Cour a toutefois constaté de fortes disparités entre les établissements. "La coordination des Crous et des universités, notamment dans les domaines du logement et de la restauration, n’est pas satisfaisante sur l’ensemble des sites", selon la Cour.
Il y a université et université...
La dénomination d’"université" a également été critiquée par les Sages. "Aujourd’hui, des fractures évidentes apparaissent entre des établissements partageant la dénomination 'd’université' mais qui n’ont plus rien de comparable les uns avec les autres." Ainsi, certaines universités conduisent "une recherche de premier ordre au niveau mondial et orientent leurs formations dans cette optique, alors que d’autres assurent une part plus importante de premier cycle et concentrent leurs forces de recherche sur quelques disciplines, faute de pouvoir bénéficier de financements par appels à projets." De plus, l'initiative des universités qui ont entrepris de se classer elles-mêmes en se regroupant au sein d’associations : "universités de recherche françaises", "universités de recherche et de formation" ou "petites et moyennes universités" ne semble pas vraiment satisfaire la Cour qui relève en outre un "essor des établissements privés". Lesquels "participent à la confusion en s'octroyant, en dépit du droit, le titre d’université ou délivrant des diplômes en théorie réservés aux établissements publics." Afin d’assurer un meilleur pilotage d’établissements, la Cour suggère au ministère de "mettre en place un dialogue individualisé sur la base de contrats d’objectifs et de moyens négociés selon un cadre national au niveau des rectorats plus proches géographiquement des établissements".
Collectivités : une stratégie à affiner
"Alliées précieuses pour les universités en raison des financements qu’elles leur accordent et d’une politique souvent volontariste", la Cour trouve cependant à redire de ces partenaires qui versent chaque année presque 1,5 milliards d'euros. "Les régions, pourtant cheffes de file territoriales en matière d’enseignement supérieur depuis la loi Notr, mènent leurs propres politiques, sans pleinement assurer la bonne coordination avec les autres collectivités financeuses au sein du même territoire." "Il existe trop peu d’instances permettant des échanges d’informations et la mise en oeuvre d’actions communes à toutes les collectivités, ce qui entrave la mise en oeuvre d’une stratégie cohérente et maitrisée", peut-on lire dans le rapport. "Cela a [...] pour effet de conduire à une répartition perfectible ainsi que, dans certaines situations, à une dispersion des financements."
Quant au ministère chargé de l’enseignement supérieur, la Cour estime "qu’il peine à associer les collectivités territoriales à l’exercice de contractualisation qu’il mène tous les cinq ans avec les universités". Et ce malgré les récentes dispositions de la loi de programmation de la recherche (LPR) qui l’invite à le faire. Et d’ajouter : "Pour l’heure, il oscille entre une déconcentration - récente - de la gestion des établissements au niveau académique, et un pilotage qui demeure très concentré". La Cour mentionne enfin que "sur le terrain, la fonction de recteur délégué à l’enseignement supérieur, créée dans certaines académies de région depuis 2020 pour faciliter le dialogue avec les universités, s’installe pas à pas, mais sans missions clairement établies ni pleine délégation de la part des recteurs de région académique".
Entreprises et universités : des liens qui restent à construire
La Cour consacre enfin une partie de son rapport aux acteurs du monde économique, "des interlocuteurs essentiels pour les universités" qui "les associent à leurs instances stratégiques ou les font participer à leurs conseils pédagogiques, en particulier en licence professionnelle et en master". "Ces initiatives restent toutefois dispersées", constate la Cour des comptes, estimant que le ministère chargé de l’enseignement supérieur "n’a pas développé une approche et une méthodologie plus systématiques, à l’instar du Royaume-Uni." "Celles-ci permettraient de calculer le retour sur investissement des dépenses en faveur de l’enseignement supérieur et pourraient constituer un élément décisif dans le cadre des négociations budgétaires menées avec le ministère chargé du budget", argue-t-elle encore. Le rapport établit enfin qu'une majorité de chefs d’entreprise souhaiterait être "davantage associée à la définition des enseignements et être mieux informée sur l’offre de formation universitaire". La plupart d'entre eux déplorent également "un manque de réactivité dans la construction et l’agrément des diplômes d’État", une compétence qui relève aussi du ministère de l’enseignement supérieur.