Rentrée scolaire : pour les régions, "la télécommande est perdue"
Dans un "contexte totalement inédit", les régions abordent cette rentrée scolaire avec circonspection. Elles réitèrent à l'adresse du futur gouvernement, leur demande de plus de "décentralisation", que ce soit pour l'orientation ou la carte des formations professionnelles initiales. Elles plaident pour une "vision globale" alliant lycées professionnels et CFA.
L'incertitude politique place les régions dans une situation délicate à la veille de la rentrée scolaire. "On est à un moment très particulier où les choses semblent figées", un "arrêt sur image qui laisserait penser que la télécommande est perdue." Ainsi s'exprimait François Bonneau, président de la commission éducation, orientation, formation et emploi de Régions de France, le 28 août, lors d'un déjeuner de presse. Ce contexte "totalement inédit" (l'absence de gouvernement) a des "effets sur les domaines de services à responsabilité partagée comme l'éducation et la formation professionnelle", a souligné le président de la région Centre-Val de Loire, aux côtés de Kamel Chibli, vice-président de la région Occitanie, un jour après la conférence de presse de rentrée de la ministre démissionnaire Nicole Belloubet (voir notre article). Car les régions ont le sentiment que le gouvernement démissionnaire laisse derrière lui bon nombre de chantiers en friche. A commencer par la réforme de la carte des formations professionnelles initiales. Cette responsabilité était auparavant exclusivement de la compétence de l'Education nationale. L'Etat s'est décidé à donner plus de pouvoirs aux régions pour approuver ou non les projets d'ouverture ou de fermeture de formations. Mais il faut "aller plus loin", plaide François Bonneau.
"Il faut un pilote dans l'avion"
"Nous demandons une vraie décentralisation de cette responsabilité", a-t-il martelé, reprenant une préconisation du Livre blanc des régions, publié en mars 2022, dans le cadre de l'élection présidentielle. "Nous avons la responsabilité économique, il faut aller jusqu'au bout (…) il faut un pilote dans l'avion", a-t-il insisté. Car selon lui, les régions connaissent mieux que les recteurs les besoins des entreprises et sont donc légitimes à piloter l'offre de formations. "Si on ne valorise pas nos métiers, on n'y arrivera pas", a abondé Kamel Chibli, évoquant, chez lui, les besoins de main d'oeuvre dans la filière géotextile.
Les élus s'en prennent à la logique "comptable" de l'exécutif, consistant à demander aux régions de transformer 24% de la carte des formations en 2027, à un rythme de 6% par an. "Nous voulons un processus intelligent d'analyse des besoins (…) C'est un travail de prospective indispensable", a insisté François Bonneau. "Nous voulons entrer par le qualitatif et la prospective avec une approche territorialisée."
"Vision globale"
Les élus régionaux n'en sont que plus sévères avec la réforme de l'apprentissage de 2018 qui les a privés de leurs prérogatives au profit des branches professionnelles. Ils plaident ainsi pour le pilotage de la carte de l'ensembles des formations initiales, allant des lycées professionnels aux CFA. Ce qui confèrerait aux régions une "vision globale" et serait un gage de "complémentarité" entre les formations proposées et permettrait "la mutualisation des plateaux techniques", a expliqué François Bonneau. Si l'apprentissage, financé au "coût contrat" a enregistré des records d'entrées, il se trouve aujourd'hui dans une impasse financière, car l'Etat n'a plus les moyens de suivre et a réduit ses niveaux de prise en charge (voir notre article du 7 février). "Tout cela s'est fait dans un système open bar", a tancé François Bonneau, expliquant que ce sont avant tout les grands groupes qui en ont profité en ouvrant leurs centres d'apprentis entrant en concurrence avec les anciens CFA qui se trouvent aujourd'hui "sous le seuil de flottaison". En clair, cette "marchandisation" a bénéficié aux formations supérieures, au détriment d'autres formations pourtant cruciales, notamment dans les métiers de l'artisanat. Par-dessus le marché, l'Etat est venu sabrer dans le peu de marge de manoeuvre qui restait aux régions, amputant de 30% le montant qui leur était affecté par France compétences, justement pour financer des dépenses de fonctionnement des CFA les moins pourvus (voir notre article du 17 mai). Une décision prise "sans concertation" et annoncée par courrier au mois de mai, dans le cadre des économies budgétaires, s'est offusqué l'élu. Voilà qui n'est pas raccord avec "la République de la confiance" que les régions appelaient de leurs vœux en 2022.
Aller "au bout" de la réforme de l'orientation
Et elles ne sont guère plus amènes avec la réforme de l'orientation, elle aussi restée au milieu du gué (voir notre article du 17 juin). Six ans après la loi de 2018, toutes les régions se sont saisies de leurs nouvelles compétences sur l'information des métiers et des formations en collège et lycée, a indiqué François Bonneau. Mais là encore "il faut aller au bout", exhorte-t-il. C'était déjà ce que demandait le livre blanc de 2022. "Les régions ont récemment obtenu une partie de cette compétence mais elles ne disposent pas de tous les moyens nécessaires pour la mettre convenablement en œuvre", mentionnait-il, appelant à "achever le transfert des moyens budgétaires et humains depuis l'Education nationale". Symbole de ces doublons qui subsistent : l'Onisep vient de lancer une plateforme baptisée "Avenirs". Or les régions, craignant une concurrence avec leurs propres outils, avaient obtenu de Nicole Belloubet, la suspension du programme. Cette promesse "n'a pas abouti", a dénoncé l'élu.
Incertitudes budgétaires
Toutes ces dissonances s'inscrivent dans un climat de grande incertitude budgétaire. Les régions craignent pour le financement des pacte régionaux d’investissement dans les compétences de deuxième génération, piliers de leur intervention en matière de formation des demandeurs d'emploi. Elles sont aussi inquiètes du financement des travaux de rénovation énergétique des établissements : "On a besoin d'être sécurisés par rapport à nos responsabilités", a conclu François Bonneau.
Autant de sujets qui seront défendus dans quelques semaines, lors du 20e congrès de Régions de France qui se tiendra à Strasbourg les 25 et 26 septembre 2024. Même si la dominante de ces rencontres sera européenne…