Habitat - Foyers de travailleurs migrants : un monde à part
Le 16e rapport annuel du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées (HCLPD) est consacré à un sujet dont on parle rarement, les foyers de travailleurs migrants (FTM). Ces structures, construites pendant les Trente glorieuses pour loger les travailleurs venant du Maghreb ou d'Afrique noire, ont longtemps été à la marge des villes. Construits à la hâte, avec des conditions de confort déjà inférieures à celles en vigueur dans les années 1960, ces bâtiments ont très mal vieilli. En 1997, un plan de traitement a donc été élaboré. Mais treize ans plus tard, en dépit du milliard d'euros engagés dans ce programme, seulement un tiers des 680 foyers du territoire ont été rénovés. Ces réhabilitations (parfois démolition-reconstruction) ont pu être menées grâce à l'implication, aux côtés de l'Etat et du 1%, des collectivités territoriales qui s'impliquent de manière croissante sur ce dossier. Le HCLPD, présidé par Xavier Emmanuelli, constate que des progrès ont effectivement été accomplis. Mais, dénonçant des conditions d'accueil encore parfois inadaptées, voire indignes, il ne "peut se satisfaire du rythme actuel de la mutation". Il appelle donc à "prendre la mesure de l'urgence des besoins". 120.000 à 150.000 personnes vivraient aujourd'hui dans ces foyers… soit l'équivalent de la population de villes comme Tours, Clermont-Ferrand ou Brest.
Une population qui se diversifie et dont les besoins évoluent
Au préalable, il faut distinguer deux catégories de foyers : premièrement, ceux occupés par les travailleurs maghrébins arrivés dans les années 1950-1960. La plupart de ces hommes ont travaillé dans le bâtiment ou la métallurgie, et sont aujourd'hui à la retraite. Ils habitent toujours le même foyer et font des allers-retours dans leur pays d'origine. Le principal problème de ces structures n'est pas leur suroccupation mais leur inadaptation au vieillissement. Deuxième type de foyers, ceux occupés par des travailleurs subsahariens, arrivés souvent après les indépendances africaines. Situés principalement en Ile-de-France, ceux-ci sont surpeuplés, occupés par des hommes en moyenne plus jeunes qui travaillent dans les services (nettoyage industriel, restauration…). Dans ces structures, sont menées diverses activités informelles, par exemple de restauration collective. Ces cantines servent des repas au quotidien à une clientèle qui va au-delà des résidents du foyer. Ces dernières années, un nouveau public a été accueilli en FTM : en cas de départ – donc essentiellement dans les foyers maghrébins – les places ont été utilisées pour héberger des demandeurs d'asile (centres Cada) ou des personnes sans abri (hébergement d'urgence).
Entre hébergement et logement, les FTM constituent un monde à part
Les FTM ne relèvent ni du logement social classique ni de l'hébergement mais du "logement accompagné". 60% du parc appartient à la société d'économie mixte Adoma, qui gère elle-même ses structures. Dans le reste du parc, il y a généralement dissociation entre le maître d'ouvrage (souvent un bailleur social) et le gestionnaire (souvent une association). Depuis 1995, tous les FTM ont vocation à se transformer en résidences sociales. Cette structure juridique se définit par un bâti répondant aux normes actuelles (salubrité, décence, mais aussi accessibilité aux personnes handicapées) et par un accompagnement social des résidents. Depuis dix ans, un tiers des FTM ont été transformés en résidences sociales : en général après travaux, parfois démolition-reconstruction.
Mais les besoins de restructuration des FTM restent "considérables" selon le HCLPD. Ces opérations sont difficiles à monter pour plusieurs raisons : d'abord, comme il s'agit d'augmenter les surfaces habitables - certaines chambres font encore 4,5 m2 -, il faut trouver des terrains pour construire de nouveaux bâtiments ("des sites de desserrement"). Ensuite, il faut convaincre les résidents : or, alors que les anciens foyers coûtent souvent entre 150 et 300 euros par mois, l'amélioration du bâti conduit mécaniquement à une augmentation des redevances. Sans même parler du fait qu'il faut trouver un accord sur la question des "salles polyvalentes", c'est-à-dire des lieux de prière.
Des collectivités de plus en plus impliquées
Et naturellement, il faut enfin trouver des financements. Mais, pour Christian Nicol, directeur de l'habitat et du logement à la ville de Paris, c'est paradoxalement "presque le plus simple" : "Il y a tellement de questions techniques, politiques et sociales à régler sur ces dossiers, que le plus difficile n'est pas le financement." Pierre Mirabaud, président d'Adoma, nuance ce propos en soulignant combien il est difficile d'équilibrer ces opérations. Pour tous les opérateurs en la matière, le tour de table est bouclé souvent grâce aux collectivités territoriales. La délégation des aides à la pierre a joué un rôle d'"accélérateur dans les programmes", a indiqué le président de l'Unafo (Union des professionnels de l'hébergement social). De plus en plus, les plans départementaux d'action pour le logement des personnes défavorisées intègrent les FTM, et les collectivités subventionnent les travaux. Indispensable pour mener à bien des opérations de réhabilitation ou reconstruction, l'implication des collectivités est également essentielle pour que les résidents soient des citoyens de la commune à part entière, et qu'ils puissent faire reconnaître leurs droits.
Et l'Etat ?
Le HCLPD énonce vingt propositions "pour mener à bien l'adaptation physique des FTM à l'évolution des besoins", "prendre en compte les besoins des vieux travailleurs migrants" et "clarifier le positionnement du logement accompagné dans l'offre de logement social". Il demande en particulier la réaffirmation par circulaire de l'engagement de l'Etat dans le plan de traitement. Pierre-Yves Rebérioux, responsable de la commission interministérielle pour le logement des populations immigrées, a indiqué que la politique gouvernementale en la matière ne se résumait pas aux crédits du 1%, qu'il était important d'assurer un pilotage national du plan de traitement, fixant des priorités par exemple sur la rénovation des 20.000 chambres de moins de 7.5 m2. Or, ces priorités ne sont pas toujours faciles à énoncer : "Comment dire à un élu de province qui souhaite réhabiliter son FTM que les chambres de 10 m2, l'Etat l'aidera à les rénover dans vingt ans, une fois les plus petites traitées ?"
Hélène Lemesle
Référence : "Du foyer de travailleurs migrants à la résidence sociale : mener à bien la mutation", 16e rapport du Haut Comité pour le logement des personnes défavorisées, juillet 2010.