Enfance - Fonds de financement de la protection de l'enfance : bien que critiqué de toutes parts, le décret a été publié

Attendu depuis plus de trois ans, un décret publié au J0 du 18 mai 2010 met finalement en place le Fonds national de financement de la protection de l'enfance (FNPE), dont la création était prévue par l'article 27 de la loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l'enfance. Cet article prévoit notamment que le fonds a pour objet "de compenser les charges résultant pour les départements de la mise en oeuvre de la présente loi selon des critères nationaux et des modalités fixés par décret et de favoriser des actions entrant dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance et définies par voie conventionnelle entre le fonds et ses bénéficiaires".

 

La fin d'un feuilleton

Ce décret du 17 mai marque la fin d'un feuilleton qui s'est accéléré ces derniers mois (voir nos articles ci-contre). Après avoir laissé traîner l'affaire le temps habituel à la parution des textes d'application, l'Etat a finalement fait savoir qu'il ne créerait pas ce fonds, en faisant notamment valoir, par la voix de Nadine Morano, que "c'est l'ensemble des actions et des mesures que [l'Etat engage] en faveur de la protection de l'enfance qui doit être pris en considération". Autre argument avancé : des "difficultés juridiques", qui n'ont pourtant jamais été précisées. Cette position a fait l'objet de vives critiques de la part des départements, mais aussi de la Cour des comptes. Ce refus de l'Etat a conduit l'Assemblée des départements de France (ADF) à saisir le Conseil d'Etat d'un référé injonction pour "enjoindre le gouvernement à publier dans un délai de trois mois" le décret portant création du FNPE. Par un arrêt du 30 décembre 2009, le Conseil d'Etat a effectivement condamné l'Etat à mettre en place ce dispositif prévu par la loi.
Lors des consultations qui ont précédé sa publication, le projet de décret a fait l'unanimité contre lui. Le fait est d'ailleurs sans doute assez exceptionnel pour être relevé : un projet de texte réglementaire suscitant les avis défavorables à la fois du Comité des finances locales (CFL), du conseil d'administration de la Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) et de la Commission consultative d'évaluation des normes (CCEN, laquelle n'a rendu l'an dernier que deux avis défavorables sur les 163 projets de textes qui lui étaient soumis). Sans oublier les vives critiques de l'ADF qui, dans un communiqué du 5 mai, dénonçait notamment des "propositions financières d'abondement du fonds (10 millions d'euros sur trois exercices) [...] sans rapport avec les sommes envisagées lors de l'élaboration de la loi (60 millions d'euros par an, répartis 50% Cnaf, 50% Etat)". L'ADF craint également qu'au lieu de financer les conséquences de la réforme de 2007, ce fonds serve "à compenser les désengagements financiers de l'Etat en matière d'aide à la parentalité, de soutien aux familles vulnérables, ou de financement de ses 'têtes de réseaux nationaux'".
Du côté du CFL, on avait aussi principalement mis en doute le manque de visibilité sur le niveau et les conditions d'abondement du fonds et craint que le décret n'instaure un certain nombre de "transferts rampants". De même, la CCEN avait insisté sur "la nécessité de donner de la prévisibilité aux départements sur le montant des crédits du fonds pour 2010 et au-delà sans attendre les lois de finances et lois de financement de la sécurité sociale" et souhaité "avoir la garantie que le rattrapage des sommes dues au titre des années 2007 à 2010 sera bien opéré". CFL comme CCEN avaient aussi noté que les critères de répartition du fonds entre départements comprennent le potentiel financier des départements, alors même que celui-ci va être impacté par la réforme de la taxe professionnelle. Enfin, tous avaient critiqué la composition du comité de gestion devant administrer le FNPE, la considérant comme inégalitaire, avec une sous-représentation des départements.

 

Deux enveloppes

Malgré tout cela, le décret est bel et bien paru, avec certes quelques retouches par rapport au projet soumis à avis (on ne parle par exemple plus de recettes et dépenses "accidentelles" mais de recettes et dépenses "exceptionnelles") mais sans avoir été modifié sur le fond. Ainsi, il est toujours écrit que le comité de gestion est composé de six représentants de l'Etat, deux représentants de la Cnaf et trois représentants des départements. Ce comité de gestion est notamment chargé de répartir les ressources du fonds entre deux enveloppes distinctes.
La première "comprend les crédits qui ont pour objet de compenser les charges résultant pour les départements de la mise en oeuvre de la loi susvisée du 5 mars 2007". La seconde enveloppe "comprend les crédits de soutien aux actions entrant dans le cadre de la réforme de la protection de l'enfance, y compris celles à caractère expérimental, notamment les actions d'aide à la parentalité ou à la protection des enfants vivant dans la précarité économique", d'où l'inquiétude des départements sur les possibles désengagements de l'Etat en la matière. Le principe de cette seconde enveloppe figurait toutefois dans la loi de 2007. Le comité de gestion sera également chargé d'organiser les appels à projets et la sélection des dossiers retenus dans le cadre de cette seconde enveloppe.
Reprenant en cela les dispositions de la loi, le décret du 17 mai 2010 prévoit que le FNPE dispose de deux ressources principales : un versement de la Cnaf - imputé sur le fonds national des prestations familiales dont le montant est arrêté en loi de financement de la sécurité sociale - et un versement annuel de l'Etat, dont le montant est arrêté en loi de finances. Le texte précise également les modalités de répartition, entre les départements, des crédits de la première enveloppe. La part revenant à chaque département est ainsi "égale au produit de sa population de bénéficiaires de l'aide sociale à l'enfance par la valeur de l'indice synthétique de ressources et de charges qui lui est attribué". Cet indice synthétique est lui-même le fruit d'un double ratio pondéré. Le premier correspond au rapport entre la proportion du nombre total de bénéficiaires de l'aide sociale à l'enfance dans la population du département et le ratio national constaté pour l'ensemble des départements. Le second correspond au rapport entre le potentiel financier par habitant de l'ensemble des départements et le potentiel financier par habitant du département considéré. Ces deux ratios font, chacun, l'objet d'une pondération, dont le coefficient, fixé chaque année par le comité de gestion, est compris entre 50% et 75%.

 

"Qui fait quoi… et avec quel argent"

En termes de gestion, le décret prévoit que la Cnaf, "au sein de laquelle le fonds est constitué, assure la gestion administrative, comptable et financière" du FNPE. Enfin, il est prévu que le comité de gestion adopte, dans les deux mois suivant la publication du décret, l'état prévisionnel des recettes et des dépenses du fonds pour l'exercice en cours. Une réunion qui s'annonce d'ores et déjà animée...
Dans un deuxième communiqué diffusé après la publication du décret, l'ADF estime en tout cas que "le compte n'y est toujours pas", que le contenu du texte "ne corrige en rien les incohérences soulevées" et "ne répond toujours pas à l’esprit de la loi du 5 mars 2007". Enfin, on n'oubliera pas non plus l'avis défavorable du conseil d'administration de la Cnaf (20 voix contre et 13 "prises d'acte").
Interrogé par Localtis, Jean-Louis Deroussen, président de la Cnaf, estime que ce décret "n'a ni queue ni tête". Un texte qui de surcroît, souligne-t-il, lui a été soumis "de façon fortuite", sans réelle concertation. Il met lui aussi en avant le fait que les montants en jeu restent indéterminés : "Il s'agissait d'acter qu'on devra donner une somme dont on ne connaît pas le montant…" Autre grief : le texte témoignerait d'un "manque de considération" à l'égard de la Cnaf et de la place des CAF en matière de protection de l'enfance. Et Jean-Louis Deroussen d'expliquer : "Certes, la protection de l'enfance est une compétence des conseils généraux. Mais les CAF jouent clairement un rôle, par exemple en matière d'aide à la parentalité, et sont souvent prêtes à en faire plus dans ce domaine. D'ailleurs, nombre de CAF et de conseils généraux coopèrent bien, par exemple s'agissant des commissions d'accueil du jeune enfant. Or ce décret semble nous écarter de toutes ces actions d'aide à l'enfance. Et ne permet pas de savoir qui fait quoi… et avec quel argent."

 

Jean-Noël Escudié (PCA) et Claire Mallet

 

Référence : décret 2010-497 du 17 mai 2010 relatif au Fonds national de financement de la protection de l'enfance (Journal officiel du 18 mai 2010).