Foncier agricole : le Sénat veut impliquer les épargnants dans la transmission des exploitations
À travers une proposition de loi adoptée le 30 octobre 2023 par le Sénat, la sénatrice Vanina Paoli-Gagin veut créer un nouveau véhicule de portage financier destiné à associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises. Un moyen de répondre aux enjeux auxquels fait face l'agriculture, entre vieillissement de la population, concentration des terres et augmentation du prix du foncier.
Créer un nouveau véhicule de portage financier pour associer les épargnants à la transmission des exploitations agricoles françaises. C'est l'objet de la proposition de loi de la sénatrice Les Indépendants – République et territoires Vanina Paoli-Gagin adoptée par le Sénat le 30 octobre 2023. Le constat dressé par la sénatrice de l'Aube est clair. "Les agriculteurs de demain, vraisemblablement dans leur grande majorité, ne seront plus tous des enfants de paysans", a-t-elle indiqué le 30 octobre au Sénat en séance publique, en préambule de l'examen de sa proposition de loi. La sénatrice a avancé quelques chiffres pour révéler les phénomènes en cours : la diminution du nombre d'agriculteurs (de plus de 769.000 en 2000 à 496.000 en 2020), le vieillissement de cette population (43% des exploitants devraient partir à la retraite au cours des dix prochaines années), l'agrandissement des exploitations agricoles (leur surface moyenne est passée de 42 à 69 hectares depuis 2000, soit une augmentation de plus de 60%), et l'augmentation du coût du foncier. Parallèlement, les nouvelles formes d'exploitations, hors du modèle traditionnel familial, progressent. "La combinaison des facteurs suscite des inquiétudes quant à notre capacité à maintenir une diversité des modèles agricoles, détaille la synthèse de la proposition de loi, dans un contexte où l'accès au foncier est par ailleurs devenu un véritable frein à l'installation."
Les limites des outils actuels
Des outils existent déjà dans ce sens, comme les groupements fonciers agricoles (GFA) qui ont été créés en 1970. Ces GFA, formes de sociétés civiles, permettent la création ou la conservation d'une ou plusieurs exploitations agricoles. Ils assurent ou facilitent la gestion des exploitations dont ils sont propriétaires, notamment à travers la location dans les conditions prévues par le statut du fermage. Mais ces outils ont une limite : ils ne peuvent proposer la souscription de leurs parts sociales au public.
Le nouveau véhicule proposé, intitulé groupement foncier agricole d'épargnants (GFAE), contourne cet obstacle, les parts du capital social pouvant faire l'objet d'une offre au public. "Concrètement, il s'agit de créer un nouveau véhicule de portage financier afin de permettre l'acquisition de foncier agricole, qui sera ensuite donné à bail à long terme à un agriculteur, dans le cadre du statut du fermage", a précisé la sénatrice. Objectifs : garantir les droits des exploitants agricoles et l'application du régime des baux ruraux et faire supporter collectivement le coût d'un foncier de plus en plus onéreux.
Une corde de plus à l'arc des politiques publiques en faveur de la transmission
Ces outils étant ouverts au public, la proposition de loi prévoit un encadrement strict, à l'image de ce qui est fait dans le cadre des groupements forestiers d'investissement (GFI). Elle prévoit les informations à donner aux épargnants concernant les risques. Les GFAE seraient des produits peu liquides, au regard même de leur actif (bail à long terme) et aux perspectives de rendement faibles.
La commission des finances a d'ailleurs proposé de changer le nom de cet outil, pour l'intituler "groupement foncier agricole d'investissement" (GFAI), histoire de marquer leur encadrement par la réglementation applicable aux fonds d'investissement alternatifs.
Il s'agit d'un instrument supplémentaire pour répondre aux besoins de certains exploitants agricoles, en parallèle des aides à l'installation et à la transmission, qui "ne remet nullement en cause ce qui existe déjà, ni les GFA d'exploitants familiaux, ni le rôle des Safer, ni les aides à l'installation, a souligné Vanina Paoli-Gagin. Il s'agit simplement d'ajouter une corde à notre arc de politiques publiques, en faveur de la transmission des exploitations et du renouvellement générationnel." Pour la sénatrice, l'outil pourrait enrichir le projet de pacte et de loi d’orientation et d'avenir agricoles en cours de préparation (voir notre article du 12 septembre 2023).
Un outil financier contre-productif ?
Si le texte a été globalement soutenu au Sénat, mis à part quelques doutes émis par Les Républicains, le groupe Écologiste – Solidarité et Territoires (GEST) y voit un "glissement dangereux vers une logique de financiarisation du foncier agricole, une évolution qui ne garantit en rien le renouvellement générationnel et la transition écologique", comme le soutient Daniel Salmon, sénateur d'Ille-et-Vilaine. "À l'heure où la faiblesse du revenu agricole est patente, est-il pertinent de mettre le foncier entre les mains des investisseurs, dont la question existentielle est : quel est le rendement ?", a-t-il questionné.
Même son de cloche pour les groupes Communiste Républicain Citoyen et Écologiste-Kanaky (CRCE-K) et Socialiste, Écologiste et Républicain (SER), qui estiment que le GFAI risque de favoriser la dynamique en cours de concentration des terres dans les mains de grands groupes financiers.
Des associations, parmi lesquelles la Confédération paysanne, les Amis de la Terre et Terres de liens, ont émis les mêmes critiques avant même l'adoption du texte par le Sénat. Elles y voient "un outil financier contre-productif pour le renouvellement des générations", comme indiqué dans le tweet de Terres de liens du 24 octobre.
Le texte a été transmis à l'Assemblée nationale.