Installation de nouveaux agriculteurs : la Cour des comptes invite à renforcer l'action des régions
La politique de renouvellement des générations en agriculture, partagée entre l'Europe, l'État et les régions, souffre de l'absence de "pilotage stratégique", pointe la Cour des comptes, dans un rapport remis au Sénat le 12 avril. Derrière les jeux démographiques (43% de départs en retraite d'ici dix ans), cette politique doit aussi "favoriser l’évolution vers des modèles et des pratiques d’agriculture durable et résiliente". Une contribution qui arrive à point nommé pour nourrir les débats sur le futur projet de loi d'avenir et d'orientation agricoles.
En pleine concertation sur le projet de loi d'avenir et d'orientation agricoles, la Cour des comptes lance un pavé dans la mare des aides à l'installation et à la transmission. Dans un rapport réalisé à la demande du Sénat, elle estime que la politique de renouvellement des générations, cofinancée par l'État et les régions, pâtit de l'absence de "pilotage stratégique".
Car les subsides ne manquent pas : subventions (dont le dotation jeunes agriculteurs pour les moins de quarante ans, qui se monte en moyenne à 166 millions d'euros) et aides fiscales et exonérations sociales accordées par l'État et les régions et l'Europe, avoisinent les 380 millions d'euros par an, auxquels s'ajoutent des subventions d'investissement (144 millions d'euros environ). Sans compter la nouvelle politique agricole commune (PAC), qui a démarré au 1er janvier pour durer jusqu'en 2027, et qui fait de l'installation des jeunes agriculteurs une de ses priorités. Au moins 3% des crédits de ses deux piliers doivent obligatoirement être consacrés au soutien des moins de quarante ans. Pour la France, c'est une manne de 220 millions d'euros par an. Désormais, ce sont les régions, autorités de gestion des aides non surfaciques, qui sont compétentes "pour définir les critères d’éligibilité et de sélection des candidats ainsi que la nature et le montant des aides".
Pour autant, les augmentations de crédits européens "n’ont été précédées ni d’étude prospective, ni d’analyse stratégique en fonction des besoins d’activité et de production identifiés selon les filières, les territoires, les enjeux alimentaires et l’aménagement du territoire, ni en fonction du ou des modèles de production souhaités", déplore la Cour.
Lors de son déplacement au Salon de l'agriculture en 2022, le président de la République avait évoqué un besoin de 20.000 installations par an, soit une installation pour un départ. Mais le plan stratégique nationale (déclinaison nationale de la PAC) se donne pour objectif d’atteindre 27.235 jeunes installés grâce à la PAC d'ici à 2027, en cumulant aide européenne et DJA (dotation jeune agriculteur), et de 26.498 pour la seule DJA, "soit une moyenne respective de 5.447 et 5.300 installations aidées par an", calcule la Cour.
43% de départs à la retraite d'ici dix ans
Le premier problème tient à l'absence de visibilité sur les besoins réels, avec des problèmes de répartition des crédits. Le rapport brosse à grands traits les enjeux auxquels la future loi devra se confronter. 43% des agriculteurs ont plus de 55 ans et sont donc susceptibles de partir à la retraite dans les dix ans, comme l'a montré le dernier recensement agricole (voir notre article du 13 décembre 2021). "Le nombre annuel moyen de départs de chefs d’exploitation s’est élevé à 20.000 sur la période 2015-2021. Le nombre d’installations de chefs d’exploitation s’est quant à lui établi durant la même période à 14.000 par an en moyenne", précise le rapport. Or selon la Cour, la pyramide des âges risque d'accélérer les tendances en cours : déclin de la population active (passée de 2,5 millions d'agriculteurs en 1955 à 496.000 en 2020), chute du nombre d'exploitations (de 800.000 en 1980 à 389.000), avec une surface agricole stable, ce qui traduit un agrandissement de leur taille (69 hectares en moyenne contre 42 il y a vingt ans). Phénomène de concentration bien connu. Mais comme l'a expliqué le président de la Cour des comptes, Pierre Moscovici, devant les sénateurs, mercredi 12 avril, le renouvellement des générations en agriculture ne se réduit pas à la démographie, il "doit aussi favoriser l’évolution vers des modèles et des pratiques d’agriculture durable et résiliente".
Selon Pierre Moscovici, le "couperet" d'âge de 40 ans ne se justifie plus au regard de la sociologie des nouveaux agriculteurs. Un tiers des candidats à la repise – souvent en reconversion professionnelle - sont plus âgés. "Ces candidats disposent de fonds propres, d’idées novatrices et sont porteurs de projets intéressants ; or, ils ne peuvent prétendre qu’à 9 % des aides publiques consacrées à l’installation", souligne la Cour qui rappelle en outre que la moitié des personnes éligibles à cette aide ne la demandent pas.
Seules six régions disposent d'un observatoire
La loi d'avenir de l'agriculture du 13 octobre 2014 avait pourtant bien posé les enjeux. Sans résultats. "Malgré des objectifs affirmés et des moyens en augmentation, cette politique est marquée par un défaut de pilotage stratégique national et régional", a fustigé Pierre Moscovici.
Le rapport dénonce en particulier l'absence d'études récentes sur le devenir des exploitations. Seules six régions disposent d'un observatoire de l'installation-transmission (Orit). Quant à l'Observatoire national de l'installation-transmission (Onit) prévu par la loi de 2014, il n'a jamais vu le jour. Conséquence : les responsables ont une "connaissance très imparfaite des biens à céder, des valeurs des exploitations, du montant des transactions", et sont dans l'impossibilité de matérialiser les possibilités de cession, a énuméré le président de la Cour des comptes. Les organes de gouvernance que sont le comité national de l'installation-transmission et les comités régionaux (Crit) n'accordent pas suffisamment d'importance à la stratégie et à la coordination de leurs politiques, a-t-il également déploré.
Pour la Cour, cette politique d'installation revêt un intérêt national mais "sa conception et sa mise en œuvre nécessitent d’être ancrées à l’échelle locale". Des stratégies régionales articulées avec une stratégie nationale devraient fixer "à titre prospectif, les capacités de production et le nombre d’exploitations et d’exploitants vers lesquels tendre par filière et par région en fonction des enjeux agroéconomiques, environnementaux, sociaux et d’aménagement du territoire". Les régions "doivent veiller à, d’une part, rééquilibrer les dispositifs de soutien en faveur des plus de 40 ans, et d’autre part, conserver des critères d’éligibilité exigeants pour l’attribution des aides", plaide-t-elle.
Les magistrats recommandent de parfaire le réseau d’observatoires régionaux afin d'alimenter le futur Observatoire national de l’installation-transmission. Et de mettre en place un "guichet unique" d'instruction des dossiers de transmission. Ils demandent aussi aux structures chargées du programme d’accompagnement à l’installation et à la transmission de nouer "des partenariats représentatifs des divers modèles agricoles" et d'en contrôler le respect.