Financement des services express régionaux métropolitains : un sujet impossible à éluder

Alors qu’elle devait rester taboue, la question du financement des services express régionaux métropolitains (Serm) a sans surprise été en grande partie au cœur des échanges tenus lors du colloque qu’organisait ce 29 novembre la fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau) sur ces "RER métropolitains". On y a d’ailleurs appris que la conférence sur le financement des mobilités pourrait se tenir de février à juin prochains.

C’était le sujet tabou. Au colloque "Serm : quand la mobilité réinvente l’aménagement des territoires" organisé ce 29 novembre par la Fédération nationale des agences d’urbanisme (Fnau), on s’était fait serment de ne pas parler financements. Une (bonne ?) résolution prise avec un peu d’avance, mais pour autant non tenue. Car "ils en ont parlé…". Davantage, d’ailleurs, que d’aménagement du territoire. Comme toutes les parties prenantes n’étaient pas représentées – en particulier les entreprises, qu’il est pourtant nécessaire "d’embarquer", a souligné Anne-Céline Imbaud de Trogoff, directrice exécutive du développement des transports territoriaux à la Société des grands projets (SGP) –, le colloque ne tournât néanmoins nullement au pugilat.

Gare à la sur-promesse

À la décharge des intervenants, il était impossible d’ignorer l’éléphant dans la pièce. "À un moment, il faudra délivrer. Quand on lance un Boeing au-dessus de l’Atlantique, il faut s’assurer qu’il ait assez de fuel pour atterrir", a prévenu François Poupard, directeur général des services de la région Nouvelle-Aquitaine, peu amène avec la "trajectoire en zig-zag" qu’il estime suivie par l’Exécutif. 

Au préalable, celui qui fut naguère directeur général des infrastructures et des transports (DGITM) au ministère de la Transition écologique avait listé les conditions de la réussite des Serm, parmi lesquelles figure selon lui la nécessité de ne pas céder à la tentation de la "sur-promesse, qui décrédibilise la parole publique". Il a alors pris comme exemple le report de l’ouverture de la ligne 15 sud du métro parisien, annoncé par la SGP le 28 novembre dernier ("le lot de ce genre d’aventures", défendait il y a quelques mois Jean-François Monteils, président du directoire de la SGP, auprès de Localtis). Mais gageons que le conseil vaut tout autant en matière budgétaire, à l’heure où la "nouvelle donne de 100 milliards d’euros", annoncée en 2023 par Élisabeth Borne, est plus que jamais "fragile". Si elle ne l’était d’emblée (voir notre article du 23 mai 2023).

Les collectivités bénéficiaires invitées à mettre au pot

Face à la pénurie de ressources, à Strasbourg et à Bordeaux – où "l’on n’a pas attendu que le président de la République s’intéresse à Tiktok* pour réfléchir aux Serm" et pour les mettre en œuvre, a grincé Gérard Chausset, président de la commission transports de Bordeaux Métropole –, régions et métropoles entendent bien partager le fardeau. "On ne veut pas être le cochon de payeur", a prévenu l’élu bordelais en évoquant "les rapports pas toujours évidents avec la SNCF, un point dur de la mise en place du projet". Non sans confirmer ainsi être sur les mêmes rails que le président de la région Nouvelle-Aquitaine. Il a rejoint Pia Imbs, présidente de l’Eurométropole de Strasbourg, lorsque celle-ci a évoqué "la nécessité d’un syndicat mixte pour que les autres collectivités bénéficiaires d’un Serm participent à son financement". Pour Marie-Francine François, directrice générale des services de la communauté d’agglomération de Lens-Liévain, la chose ne sera guère aisée : "Le dialogue est aujourd’hui assez limité et reste difficile à construire", a-t-elle constaté, en concédant qu’"en même temps, il est assez déséquilibré". 

En introduction, Édouard Parant, coordinateur national des Serm à la DGITM, avait d’ailleurs insisté sur "la nécessité d’un deal politique entre les territoires, entre la métropole et les EPCI périphériques". À partir des premiers "dossiers minute" (voir notre article du 23 avril) reçus, il a relevé par ailleurs que la question de "l’articulation des transports est peu abordée", alors qu’une "vision systémique est nécessaire". 

La panacée du versement mobilités ?

Pour Pia Imbs, il est en outre "indispensable de déplafonner le versement mobilités". Elle a précisé qu’un plaidoyer en ce sens sera d’ailleurs prochainement publié par France Urbaine. Gérard Chausset ne partage cette fois pas la solution : "Plutôt que de faire sauter le toit, il faudrait élargir les murs en faisant contribuer les PME de moins de dix salariés", a-t-il jugé. Politiquement, la mesure paraît difficile à porter. Peut-être davantage encore que la piste de l’écotaxe poids lourds, que Jean-Pierre Etchegaray, vice-président du syndicat de mobilité Pays basque - Adour, voudrait réexplorer alors que "près de 9.000 semi-remorques [empruntent] tous les jours l’A63" – même s’il est conscient du risque de faire ressusciter "les bonnets rouges". L’élu basque a encore plaidé pour une "taxe transports sur les actes notariés" et la taxation des plus-values foncières générées par les nouveaux services de mobilité, également promue par Anne-Céline Imbaud de Trogoff. "Il faut qu’elles reviennent aux projets", a-t-elle suggéré.

Nécessité fait loi

Alexandre Mora, directeur développement et commerce chez Transdev, ne se fait, lui, guère d’illusions. Vu le contexte budgétaire, et notamment "les efforts demandés aux collectivités, les choix vont être dictés par les moyens". L’essence des Serm, c’est "le bon mode, au bon endroit, au meilleur coût", a-t-il encore enseigné. Il a ainsi vanté, pro domo, les mérites du car express, cher "au ministre chargé des transports de ceux qui n’en ont pas". Un dispositif "moins cher" à mettre en œuvre que le fer, qui constitue aussi "une solution immédiate pour le pouvoir d’achat et une solution de cohésion sociale" en apportant des services "aux territoires excentrés qui se sentent délaissés", a-t-il encore mis en avant. Même si cette solution, pas plus que les autres, ne permettra de se passer définitivement de la voiture, puisque comme il l'a lui-même rappelé, "une grande partie de la population française est toujours en dehors des grands axes". 

Des recettes

De la même manière qu’il faudra un panier de recettes pour financer les Serm, les intervenants ont par ailleurs souligné qu’il n’y a pas de recette unique pour les mener à bien. Plusieurs ingrédients semblent toutefois indispensables pour que le soufflé prenne, nombre d’entre eux ayant déjà été évoqués lors d’un précédent colloque, organisé cette fois par le Gart (voir notre article du 14 mars). Si la nécessité d’un "choc d’offre" a maintes fois été rappelée, François Poupard met aussi en avant le besoin prégnant "d’un transport massifié". Et de prendre l’exemple bordelais, "avec un fleuve très large et pas beaucoup de ponts", ou celui des "corridors basques". 

Par ailleurs, les Serm n’étant pas un fleuve tranquille, "il faut de l’incarnation. Il faut que le projet soit porté politiquement", a-t-il ajouté. "C’est la décision politique qui donne l’impulsion", lui a fait écho Alexandre Mora. Et la trajectoire doit ensuite "être en marches d’escalier, à monter marche par marche", a rappelé Thomas Allary, directeur du programme Serm chez Sncf Réseau et Gares & connexions. Plus prosaïquement, François Poupard a également insisté sur l’importance d’un "plateau technique commun", pour que les différents acteurs impliqués "arrêtent de s’écrire des lettres", pour "créer un affectio societatis" entre les agents, auxquels leurs hiérarchies respectives doivent en outre "lâcher la bride, sans passer leur temps à vouloir se couvrir".

* Référence à l’annonce lancée par Emmanuel Macron le 27 novembre, en réalité sur YouTube

La valse de la conférence sur le financement des mobilités

Annoncée par le ministre chargé des Transports, François Durovray en octobre pour janvier, la conférence sur le financement des mobilités devrait – si le gouvernement survit à la censure parlementaire – se tenir "sur quatre [cinq] mois, de février à juin", a indiqué lors du colloque Édouard Parant, coordinateur national des Serm à la DGITM. Une valse qui se danserait en quatre temps, avec quatre ateliers portant respectivement sur "le financement du fonctionnement des autorités organisatrices de mobilité (AOM) et les Serm ; le financement des infrastructures ; une réflexion sur l’avenir des péages autoroutiers et, enfin, la fiscalité des mobilités".