Face à une "précarité mobilité" en hausse, le partenariat collectivités-associations peut-il changer la donne ?

5 millions de Français majeurs n’avaient pas d’équipement individuel de mobilité et 10 autres millions étaient en situation de "précarité mobilité" en 2023, estime l’association Wimoov, qui accompagne des personnes en difficulté à la demande de collectivités. En territoire rural, le chemin est long pour soutenir les habitants les plus isolés et développer les alternatives à la voiture, comme en témoigne la communauté de communes de Val de Drôme, qui s’appuie sur une association d’écomobilité pour agir au plus près des habitants.

15 millions de Français de plus de 18 ans sont "en situation de précarité mobilité", selon l’association Wimoov qui a récemment rendu publics les résultats de son troisième baromètre des mobilités du quotidien. Ce chiffre correspond à 5 millions de personnes "n’ayant accès à aucun équipement de transport à titre individuel", auxquelles Wimoov ajoute 10 millions de Français qui seraient concernés par un "indicateur précarité". Calculé à partir des près de 13.000 réponses à l’enquête et de six facteurs (bas revenus, restrictions de l’usage de la voiture, dépenses élevées en carburant, "mauvais ajustement spatial ou distances parcourues élevées", absence d’alternative à la voiture, véhicule à faible rendement), cet indicateur de précarité mobilité conduit à identifier une part de 19,5% de la population "à risque" en 2023, contre 18% en 2021. 

"Cela ne va pas dans le bon sens", a commenté Pierre Garcia, directeur de l’innovation de Wimoov, le 24 septembre 2024 à l’occasion d’une rencontre du Hub des Territoires organisée par la Banque des Territoires. Trois éléments témoignent, selon lui, de cette évolution négative : une place de la voiture "toujours aussi prépondérante", un renforcement de la "vulnérabilité des jeunes" et une "dégradation de la conscience environnementale" sur l’impact des mobilités. 

Le responsable associatif mentionne bien sûr les disparités territoriales, le taux de précarité mobilité atteignant 33% dans les territoires peu denses avec une "part de renoncement [à des déplacements] qui augmente". "Le non-recours aux aides" est "une constante dans les territoires ruraux peu denses", peut-on lire dans l’enquête. Selon les motifs de ce non-recours, l’idée que "la nouvelle voiture (ou le nouveau vélo) restera toujours trop cher" est citée par 31% des répondants habitant en territoire rural très peu dense. 

Plans de mobilité solidaire : "On est encore très loin de ça"

Face à ces données alarmantes, Wimoov, qui fait partie du Groupe SOS, met à disposition des collectivités une expertise visant à accroître la "mobilité inclusive", en accompagnant les publics les plus fragilisés – bénéficiaires du revenu de solidarité active (RSA), demandeurs d’emploi, seniors, jeunes, etc. Sur demande du département ou de France Travail par exemple, des "conseillers mobilité" de l’association "agglomèrent l’information" sur tous les dispositifs publics et privés disponibles sur un territoire pour pouvoir ensuite présenter toutes les solutions possibles aux bénéficiaires, explique Pierre Garcia. Ce dernier indique que 30.000 personnes sont accompagnées par les plateformes Wimoov qui sont présentes dans une cinquantaine de départements de métropole et d’outre-mer. L’association porte également, en lien avec trois territoires, le programme Terr’moov visant à lever les freins à la mobilité en zone rurale. 

Si la loi d'orientation des mobilités (LOM) prévoyait la mise en place de "plans d’actions communs en matière de mobilité solidaire", aujourd’hui "on est encore très loin de ça", déplore le responsable associatif. Le plus grand frein selon lui : "qui finance ?" Il ajoute que cette problématique est liée à l’éclatement du champ de compétence, nécessitant de mettre un grand nombre d’acteurs autour de la table pour avancer. 

Rompre l’isolement et accompagner les changements de comportements

Autorité organisatrice de la mobilité locale depuis 2021, la communauté de communes de Val de Drôme (CCVD) parvient de son côté à structurer progressivement sa politique, en partenariat notamment avec la région. En 2023, à partir d’un état des lieux, la CCVD se fixe plusieurs objectifs : lutter contre l’isolement des personnes en situation de précarité ou à mobilité réduite, des personnes âgées et des jeunes, diminuer l’impact carbone par le développement de l’intermodalité et d’alternatives crédibles à la mobilité individuelle, accompagner les changements de comportements. 

"92% des ménages ont au moins une voiture et 50% au moins deux", alors même le covoiturage est déjà "bien développé" et que les habitants manifestent "un fort intérêt pour le vélo, malgré les dénivelés", explique Christine Marion, première vice-présidente de la CCVD. Location de vélos électriques, ateliers de "remise en selle" et de réparation vélo, mise en place d’un "réseau Pouce", expérimentation de l’autopartage… L’intercommunalité, en s’appuyant depuis plusieurs années sur l’association d’écomobilité Dromolib, cherche à agir au plus près des habitants, dans la "dentelle", pour répondre aux besoins de mobilité, tout en soulageant les budgets et en diminuant l’impact carbone des déplacements. 

Que l’on parle de mobilité ou d’alimentation (voir notre article), "on ne réussira pas la transition écologique juste sans la coopération de tous les acteurs, collectivités, acteurs économiques et habitants d’un territoire", conclut Marc Alphandéry, du Labo de l’ESS, à l’issue de la rencontre du Hub des Territoires. Il insiste sur la nécessité d’un accompagnement des personnes en situation de précarité et des territoires fragiles et d’un financement de l’innovation sociale, jugée indispensable pour prendre en compte le "facteur humain" de la transition écologique.

› Mobilité durable et inclusive : la Banque des Territoires accompagne le programme Tims

À l’occasion des Assises européennes de la transition énergétique, qui se sont tenues à Dunkerque en septembre dernier, la Banque des Territoires et le réseau Cler (au nom des partenaires du programme Tims), ont signé un partenariat. Sélectionnés dans le cadre d'un appel à manifestation d'intérêt, les 70 projets soutenus aujourd'hui par ce programme déploient depuis janvier 2024 des solutions de mobilité durable et inclusive adaptées aux spécificités des territoires, en fédérant les acteurs de la mobilité durable et solidaire, et en accompagnant les populations. Pour garantir la pérennité de ces dispositifs dans les territoires et sécuriser leur développement, la Banque des Territoires s’engage à accompagner les porteurs de projets afin de fiabiliser les modèles économiques et les montages juridiques et financiers de ces initiatives. Pour cela, elle mettra à leur disposition jusqu’en 2026 des moyens en ingénierie ainsi qu’un appui analytique et méthodologique dans l'optique d'accélérer le développement de la mobilité durable et inclusive partout en France. 
Anne Lenormand/Localtis

 

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