Consolidation nécessaire pour la mobilité solidaire
Consacrée par la loi d'orientation des mobilités (LOM), la mobilité solidaire déploie ses ailes, mais n’a pas encore atteint son orbite. La nécessaire coordination entre les différents acteurs des transports et des solidarités semble faire encore défaut, comme en témoigne l’absence à ce jour de mise en place des "plans d’actions communs en matière de mobilité solidaire", pourtant prévus par la loi. Parmi les différents leviers possibles, le transport d’utilité sociale semble tirer son épingle du jeu, mais peine à s’installer dans la durée, notamment faute de financements pérennes.
"La dynamique de la mobilité solidaire s’impose." C’est le constat dressé par Francis Demoz, délégué général du Laboratoire de la mobilité inclusive, dans une vidéo dressant un premier bilan de la démarche " Tous mobiles" lancée il y a deux ans par cet organisme, avec le soutien du ministère de la Transition écologique. Une démarche qui vise au développement de cette mobilité "partout et pour tous" consacrée par la loi d'orientation des mobilités (LOM).
Initiatives foisonnantes, mais destructurées
Trois ans après que cette dernière a confié aux autorités organisatrices de la mobilité (AOM) et aux régions la compétence d’"organiser des services de mobilité solidaire, [de] contribuer au développement de tels services ou [de] verser des aides individuelles à la mobilité, afin d'améliorer l'accès à la mobilité des personnes se trouvant en situation de vulnérabilité économique ou sociale et des personnes en situation de handicap ou dont la mobilité est réduite" (code des transports, articles L. 1231-1-1 et L. 1231-3), Francis Demoz se félicite "des initiatives foisonnantes" en ce domaine. Foisonnantes, mais aussi "destructurées". L’expert observe "le besoin, sur le terrain, de structuration et de professionnalisation". De son côté, Sandrine De Boras, responsable innovation à Transdev et cheffe de file du groupe de travail "Tous mobiles", met en avant le rôle jugé "crucial" des collectivités en la matière : "C’est vraiment à elles de s’emparer de ce sujet et de donner l’impulsion."
Tous pour TUS ?
Elles s’y emploient. En témoigne le succès emporté – 119 candidatures – par l’appel à projets lancé à l’automne 2020 par le Cerema et la fondation Macif pour favoriser les déplacements dans les territoires "peu denses" (voir notre article du 20 octobre 2020). Ce 26 janvier, le Cerema présentait au cours d’un webinaire un retour d’expériences des onze lauréats de ce concours (un rapport détaillé sera prochainement publié). Premier constat : 7 d’entre eux ont porté un projet de transport d’utilité sociale (TUS), l’un des leviers de la mobilité solidaire qui semble avoir le vent en poupe. Il faut dire que les envolées des prix soufflent dans les voiles. "La hausse des carburants fragilise les mobilités du quotidien", souligne Gérôme Charrier, du Cerema.
Un service pour les territoires peu denses…
Contrairement à ce qui a été indiqué, ces "TUS" ont été "légalisés" non par la loi LOM, mais par la loi dite Grandguillaume de 2016 (code des transports, article L. 3133-1). Quand bien même a-t-il fallu attendre août 2019 pour voir publié le décret en fixant les modalités, normalisant ainsi "un état de fait" (voir notre article du 30 août 2019). Ce service est particulièrement destiné aux territoires peu denses – ceux dans lesquels il faudra encore longtemps compter sur la voiture, comme l’ont expliqué un rapport de la délégation à la prospective du Sénat (voir notre article du 5 février 2021) ou le PDG de Transdev, Thierry Mallet, lors du dernier salon European Mobility Expo (voir notre article du 10 juin 2022). Sauf s’il remplit les conditions de ressources fixées – ou jouit de l’une des prestations sociales listées – par le décret, le bénéficiaire doit en effet nécessairement résider dans une commune rurale ou une commune appartenant au périmètre d’une unité urbaine de moins de 12.000 habitants.
… qui vient en complément du TAD ou du covoiturage
Ce service se distingue du transport à la demande puisqu’il n’est pas organisé par une autorité organisatrice de la mobilité (AOM), mais nécessairement par une association – qui dispose d’une certaine latitude dans sa mise en œuvre (motifs des trajets éligibles, distance couverte – dans la limite des 100km fixée par décret, etc.). Il se différencie également du covoiturage, y compris solidaire, dans la mesure où le conducteur – un bénévole, qui ne peut être défrayé qu’à hauteur de 32 centimes du km au maximum, montant fixé par arrêté du 17 octobre 2019 (voir notre article du 25 octobre 2029) – ne réalise pas le trajet pour son propre compte, mais uniquement pour le bénéficiaire. Il attend que ce dernier ait fait ses démarches (consultations médicales, démarches administratives, courses…) pour le reconduire à son domicile. Il peut en outre l’accompagner dans ces dernières (porter ses courses, etc.). "La notion d'accompagnement est plus prégnante. Le chauffeur bénévole invoque beaucoup le lien social généré, voire la rupture d'isolement", souligne un participant du webinaire.
De multiples défis
D’expérience, cette spécificité constitue d’ailleurs l’une de ses faiblesses : "Il faut veiller à renouveler régulièrement le vivier des conducteurs", enseigne Honoré Roland, du Cerema. Il estime qu’il faut "au moins un conducteur pour trois bénéficiaires". L’autre principal écueil est plus classique : c’est le budget. Il oscillerait selon l’expert "entre 15.000 et 40.000 euros annuels". Si les sources potentielles de financement sont nombreuses – sont notamment évoqués le fonds social européen (FSE+), le fonds départemental d’insertion, le fonds de développement de l’inclusion… –, elles sont "assez peu pérennes". Un constat corroboré par Francis Demoz, qui met en avant un autre défi, plus large : "La nécessité d’une coopération décloisonnée entre les différents acteurs des transports et des solidarités." Elle tarde visiblement à se mettre en œuvre. La loi d'orientation des mobilités dispose pourtant que la région, les AOM, les syndicats mixtes de transports, le département et les organismes concourant au service public de l’emploi coordonnent leur action en faveur de la mobilité solidaire. Et qu’à cet effet, régions et départements pilotent l’élaboration – et suivent la mise en œuvre –, à l’échelle d’un bassin de mobilité, d’un plan d’action commun en matière de mobilité solidaire (article L. 1215-3). Un plan d'action commun en matière de mobilité solidaire ou "Pams", pour les intimes. Mais, "aucun Pams n’a été mis en place à ce jour", constate Gérôme Charrier