Fin de la trêve hivernale : les hébergements d'urgence ouverts pendant la crise prolongés dix mois
Précipité par l'épidémie de Covid-19, l'effort sans précédent consenti pour aider les sans-abri va se prolonger pour dix mois au moins : à l'approche de la fin de la trêve hivernale, le gouvernement a annoncé ce vendredi 21 mai qu'il garderait ouvertes jusqu'à fin mars 2022 les 43.000 places d'hébergement d'urgence créées depuis le premier confinement. Les associations, mais aussi France urbaine, avaient alerté le gouvernement sur le sujet.
"On ne remettra personne à la rue à l'issue de la trêve hivernale", exceptionnellement prolongée cette année jusqu'au 1er juin 2021, a expliqué le ministère du Logement à l'AFP, qui a décidé de "pérenniser" ces places "jusqu'à la fin du mois de mars 2022" au moins. De quoi soulager les associations, qui craignaient un retour à la rue de ces personnes hébergées en urgence, pour moitié grâce à des accords avec une hôtellerie en mal de touristes.
Au total, plus de 200.000 sans domicile fixe sont actuellement hébergés dans des centres d'hébergement ou des hôtels. Maintenir les places créées depuis mars 2020 va coûter 700 millions d'euros et porter le budget annuel consacré à l'hébergement d'urgence à 2,9 milliards, selon le ministère.
"Cette décision a du sens, c'est une façon de mettre un terme à une gestion de l'hébergement dans l'urgence", a salué Pascal Brice, président de la Fédération des acteurs de la solidarité (FAS). Pour le délégué général de la fondation Abbé-Pierre, Christophe Robert, c'est la fin d'un "mode opératoire inhumain", qui consistait à abriter les plus précaires l'hiver avant de les renvoyer chaque printemps dans la rue. Au-delà de mars 2022, "il faut que ces places soient pérennisées de manière définitive", ajoute Florent Guéguen. "Vigilant" sur cet objectif, le directeur général de la FAS s'avoue toutefois "confiant" : difficile selon lui d'imaginer l'exécutif remettre des milliers de personnes à la rue l'an prochain, à la veille de la présidentielle.
Le gouvernement compte également sur son plan pour le "Logement d'abord", qui a permis d'installer 235.000 personnes dans des logements durables depuis fin 2017. Les préfets doivent recevoir des instructions pour "accélérer l'attribution de logements très sociaux" aux sans-abri, a détaillé le ministère. Le programme favorise aussi leur sortie du système d'hébergement d'urgence vers des pensions de familles et développe le recours à l'intermédiation locative.
Anticiper les situations critiques
Avec la fin de la trêve hivernale au 1er juin, les associations craignent également la reprise des expulsions après les mesures exceptionnelles prises pour les limiter en 2020. Plus de 30.000 ménages sont menacés d'expulsion, soit le double d'avant la pandémie.
Le bureau exécutif de France urbaine s'était lui aussi inquiété, dans un courrier adressé le 17 mai à Jean Castex, des possibles conséquences de cette fin de la trêve hivernale. Les signataires (*) appelaient le Premier ministre "à la vigilance quant à la nécessité d'anticiper des situations qui pourraient se révéler critiques dans les prochaines semaines, avec les risques d'errance, de constitution de campements ou de squats". Et France urbaine de préconiser "une concertation étroite réunissant maire, préfet et le cas échéant président du conseil départemental sur le territoire [...] pour identifier les options les plus adaptées". Les signataires rappellent au passage que "les collectivités se sont largement mobilisées ces derniers mois, parfois en lieu et place de l'État, pour créer et financer des places d'hébergement sur leur territoire", tout en reconnaissant que l'État, "notamment via le 115, a également augmenté le nombre de places disponibles dans le cadre de l'état d'urgence sanitaire et du report de la trêve hivernale". France urbaine, "dans un esprit pragmatique et constructif", se tient donc à la disposition de l'État "pour tenter de trouver des solutions d'accompagnement humaines et opérationnelles, afin de venir en aide à ces publics et ce, à quelques semaines du début de la période estivale".
L'État n'a toutefois pas attendu le 17 mai pour anticiper la fin de la trêve hivernale. Emmanuelle Wargon a en effet diffusé, le 1er mars, une instruction "relative à la préparation de la fin de la période hivernale et fixant les objectifs annuels pour le Logement d'abord" (voir notre article du 12 mars 2021). La ministre du Logement demandait aux préfets de "mobiliser l'ensemble de [leurs] services pour trouver une solution à toute personne en situation de rue ou d'habitat précaire" et les invitait à "réunir dans chaque département, dès le mois de mars, un comité de pilotage avec l'ensemble des acteurs de la veille sociale, de l'hébergement et du logement, ainsi que les collectivités territoriales et les autres réservataires de logements sociaux". Ces instructions ont été reprises dans une seconde circulaire, cosignée cette fois-ci avec le ministère de l'Intérieur.
Le ministère en charge du logement rappelle en outre que trente millions d'euros supplémentaires ont été alloués aux fonds de solidarité logement des départements. "Nous allons (...) proposer un relogement ou un hébergement à chaque personne concernée et indemniser les propriétaires quand nous n'expulsons pas tout de suite", a en tout cas promis Emmanuelle Wargon ce vendredi sur France Inter. "Les propriétaires, qui sont parfois des personnes modestes, des retraités" pourront recevoir "une somme équivalente au loyer", a-t-elle ajouté.
(*) Johanna Rolland, maire de Nantes, présidente de Nantes Métropole (et présidente de France urbaine), Jean-Luc Moudenc, maire de Toulouse, président de Toulouse Métropole, Éric Piolle, maire de Grenoble, Nathalie Appéré, maire de Rennes, présidente de Rennes Métropole, et Joël Bruneau, maire de Caen, président de Caen-la-Mer.