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Demi-satisfecit de la Cour des comptes sur la politique du Logement d'abord

Le plan Logement d'abord, qui vise à donner accès à un logement à toutes les personnes sans domicile, connaît une dynamique favorable, reconnaît la Cour des comptes dans un référé publié ce 7 janvier. La Cour pointe cependant de nombreux obstacles à lever, dont celui du faible turn over dans le parc social et une offre de logements adaptés insuffisante. Elle formule plusieurs recommandations là-dessus. Dans sa réponse, le Premier ministre estime qu'il convient de ne pas trop dissocier hébergement et Logement d'abord et estime que l'acte II du Logement d'abord devrait permettre d'accélérer les choses.

Dans un référé rendu public le 7 janvier, mais transmis au Premier ministre le 20 octobre dernier, la Cour des comptes se penche sur la politique en faveur du Logement d'abord. Le contrôle a porté plus particulièrement sur la mise en œuvre, encore partielle, du plan Logement d'abord 2018-2022, adopté par le gouvernement en septembre 2017. Le référé ne manque pas de rappeler que cette mise en œuvre est intervenue "dans un contexte d'exigences fortes" : progression rapide du nombre de personnes sans domicile (doublement depuis 2012 pour arriver à environ 300.000 personnes sans domicile avant la crise sanitaire), dépenses d'hébergement en hausse continue (avec un nombre de places qui a progressé de 9% par an depuis 2012 et une dépense 2019 de plus de 4 milliards d'euros), parc social important mais "encore peu ouvert aux personnes les plus modestes"...

L'accès au logement de toutes les personnes sans domicile "ne paraît pas hors de portée"

Malgré ce contexte difficile, la Cour estime que "l'ambition qui consisterait à faire accéder à un logement en cinq années les personnes éligibles qui se trouvent sans domicile ne paraît pas hors de portée". Pour cela, il faudrait toutefois qu'aux 80.000 personnes hébergées qui entrent chaque année dans un logement, s'ajoutent environ chaque année sur cinq ans 130.000 personnes sans domicile supplémentaires entrant dans un logement (en tenant compte des flux de nouvelles personnes sans domicile).
Si ces entrées devaient se faire pour l'essentiel dans le parc social, il faudrait y consacrer un peu moins d'une attribution de logement social sur cinq (à mobilité inchangée au sein du parc). Le référé ne manque pas de rappeler que cette proportion est inférieure à l'obligation légale de réserver 25% des logements aux publics prioritaires et à faibles revenus. Mais la comparaison n'a guère de sens, dans la mesure où les ménages à faible revenus ne sont pas 300.000, mais plusieurs millions.

Un changement de pratiques et de culture qui "suppose nécessairement du temps"

Après avoir rappelé les dispositifs antérieurs au Logement d'abord et les circonstances de la mise en place de ce dernier, le référé se penche sur ses premiers résultats. Il reconnaît l'existence d'"une dynamique favorable dans les premières années de mise en œuvre du plan", avec une accélération de l'accès au logement des personnes sans domicile et "un effort notable pour anticiper la mesure des résultats des projets soutenus et pour accentuer les exigences en terme de redevabilité de l'ensemble des acteurs chargés de la mise en œuvre des mesures qu'il contient". Mais la pression des flux entrants de personnes sans domicile, notamment avec l'augmentation du nombre de réfugiés, n'a pas permis de réduire la demande d'hébergement d'urgence. Conséquence : "Lorsque des objectifs chiffrés sont énoncés dans le plan – ce qui est rare – les résultats paraissent systématiquement en-deçà des cibles fixées". De façon un peu contradictoire, alors que l'enquête ne porte que sur les deux premières années du plan, la Cour reconnaît toutefois que "le changement des cultures et des pratiques qu'implique la politique du Logement d'abord suppose nécessairement du temps".

Les points faibles du Logement d'abord

Outre les éléments de contexte, le référé avance un certain nombre d'explications. Il pointe notamment le turn over de plus en plus faible dans le parc social, ou encore une gouvernance des acteurs de l'hébergement, et plus généralement des politiques en faveur des personnes sans domicile "complexes" et des intérêts des différentes parties prenantes qui "peuvent diverger". Cette faiblesse a d'ailleurs conduit à la mise en place d'un "acte II" du Logement d'abord, qui "ouvre la voie à une réforme de la gouvernance de cette politique publique" (voir notre article du 14 septembre 2019).
Le référé insiste aussi sur l'"insuffisante mise sous tension des acteurs", avec une mobilisation incomplète des outils de concertation, de programmation et de contractualisation des acteurs prévus par la loi. La Cour souligne notamment la situation de faiblesse des services intégrés d'accueil et d'orientation (Siao) au regard des autres acteurs. 
Dans sa dernières partie, le référé esquisse des "pistes possibles" pour accroître l'"efficacité" du Logement d'abord. Il s'agit en premier lieu de "surmonter plusieurs obstacles majeurs" : connaissance insuffisante des publics, trop d'"initiatives expérimentales ou cosmétiques", parc social encore trop fermé, offre de logements très sociaux et adaptés insuffisante dans les territoires les plus tendus, attention insuffisante portée aux actions de prévention de la perte de logement...

Quatre recommandations pour améliorer l'efficacité du Logement d'abord

La Cour formule donc quatre recommandations. La première consiste à faire de l'orientation des personnes sans domicile vers le logement une priorité effective pour l'ensemble des acteurs du Logement d'abord, en s'appuyant sur les outils conventionnels et contractuels imposés par la loi, en introduisant des mécanismes incitatifs et en renforçant les moyens et prérogatives de contrôle du respect des engagements.
Seconde recommandation : accentuer l'occupation sociale du parc de logements HLM en zones tendues, en faisant du bail à durée déterminée la règle d'occupation des logements, en renforçant les règles de sortie du parc social et l'accompagnement des personnes dépassant les plafonds de ressource autorisés et en étudiant la possibilité d'instaurer un mécanisme de taux d'effort plancher.
La troisième recommandation vise à modifier les règles et pratiques d'attribution des logements sociaux, afin que les ménages sans domicile soient davantage reconnus comme prioritaires et bénéficient d'une part plus élevée des attributions. 
Enfin, la dernière recommandation consiste à mettre en place une programmation pluriannuelle et des mécanismes incitatifs pour transformer progressivement les places d'hébergement d'insertion en logements sociaux ou adaptés, et pour faire converger le fonctionnement et les coûts des dispositifs de mise à l'abri afin d'en réduire le volume et de les réserver au traitement des seules situations d'urgence.

Le gouvernement veut renforcer le dispositif, avec le "service public de la rue au logement", prévu pour 2021

Dans un courrier au premier président de la Cour des comptes en date du 19 décembre, le Premier ministre prend acte des observations et recommandations de la Cour. Il rappelle toutefois qu'il convient de ne pas trop dissocier hébergement et Logement d'abord, dans la mesure où "l'exigence de mise à l'abri immédiate et inconditionnelle pour toutes les personnes sans abri est l'autre pilier essentiel de la politique portée par le gouvernement". Il rappelle aussi qu'en termes de prévention, "l'engagement de l'État et de l'ensemble de ses partenaires a permis de réaliser en 2020 une diminution de 80% des expulsions locatives", même si ce résultat est avant tout la conséquence de la prolongation de la trêve hivernale jusqu'au 10 juillet, en raison de la crise sanitaire.
Jusqu'à présent, le Logement d'abord a permis à au moins 150.000 personnes sans domicile d'accéder au logement sur une période de deux ans. Le Premier ministre souhaite donc "amplifier cette dynamique en 2021", avec notamment une enveloppe supplémentaire de 57 millions d'euros prévue par la loi de finances, au profit des dispositifs de logement adapté (intermédiation locative, pensions de famille). Le gouvernement soutient aussi, "auprès de ses partenaires du fonds national des aides à la pierre, des objectifs ambitieux sur la production de PLAI et de PLAI adaptés".
Sur la fluidité du parc social, le Premier ministre rappelle les nouvelles prérogatives données par la loi Elan du 23 novembre 2018 aux commissions d'attribution des logements – désormais dénommées commissions d'attribution des logements et d'examen de |'occupation des logements" (Caleol) –, ainsi que les dispositions de la loi relative à l'égalité et à la citoyenneté du 27 janvier 2017, qui a rendu le supplément de loyer de solidarité (SLS) plus dissuasif et réformé le droit au maintien dans les lieux dans les zones tendues. Enfin, le Premier ministre estime que l'idée d'un mécanisme de taux d'effort plancher est "intéressante et pourrait être approfondie"
Sur la gouvernance du dispositif, le gouvernement a fait le choix, dès 2017, de promouvoir des partenariats locaux par la contractualisation avec des collectivités territoriales "Territoires de mise en œuvre accélérée du Logement d'abord". Le Premier ministre souhaite aujourd'hui accélérer cette dynamique, comme en témoigne le deuxième appel à manifestation d'intérêt lancé en septembre dernier (voir notre article du 14 septembre 2020).
De façon plus large, il rappelle qu'il est prévu de créer, en 2021, un "service public de la rue au logement", correspondant à l'acte II du Logement d'abord et dont la vocation sera d'"installer dans la durée la stratégie du Logement d'abord, tout en continuant à assumer ses responsabilités sur la mise à l'abri immédiate et inconditionnelle". Ceci passera par la mise en œuvre de plusieurs mesures : l'optimisation de la gouvernance territoriale de la lutte contre le sans-abrisme (avec un renforcement et une évolution des Siao), le renforcement du pilotage du secteur de la veille sociale, de l'hébergement et de l'accès au logement (via notamment des systèmes d'information plus efficace et la prise en compte de critères de performance sociale dans les conventions entre l'État et les opérateurs), la définition de trajectoires pluriannuelles de transformation de l'offre d'hébergement et d'accompagnement pour chaque département, le renforcement d'une réponse pluridisciplinaire aux situations de sans-abrisme, ou encore la proposition de mécanismes de renforcement du suivi et du contrôle du respect des obligations des réservataires de logement social.

 

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