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En commission, l'Assemblée adopte une loi sur les langues régionales vidée de sa substance

La proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion a été adoptée par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale. Si les articles portant sur les aspects patrimoniaux ou la signalétique publique ont été retenus par les députés, tous ceux relatifs à l'enseignement ont été rejetés.

Ils constituaient le cœur même de la proposition de loi relative à la protection patrimoniale des langues régionales et à leur promotion : les cinq articles touchant à l'enseignement des langues régionales ont tous été rejetés par la commission des affaires culturelles de l'Assemblée nationale mercredi 5 février, tout comme celui visant à autoriser les signes diacritiques des langues régionales dans les actes d’état civil. 
Ont en revanche été adoptées les dispositions visant à reconnaître le caractère d’intérêt général de la conservation et de la connaissance des langues régionales et le caractère de trésor national des biens présentant un intérêt majeur pour la connaissance des langues française et régionales, ainsi que l'article renforçant les traductions en langue régionale des inscriptions publiques.

Système corse

En introduisant les débats, le rapporteur et auteur de la PPL, le député Paul Molac, avait clairement annoncé la couleur : "L'éducation, c'est là qu'il faut porter le fer." Et l'élu du Morbihan de préciser : "C'est le système corse, qui fonctionne relativement bien, que je veux généraliser." Le "système corse", c'est un article de la loi n°2002-92 du 22 janvier 2002 qui dispose que la langue corse est une matière enseignée dans le cadre de l’horaire normal des écoles maternelles et élémentaires de Corse. Un système à propos duquel le Conseil constitutionnel a précisé en 2002 que si l’enseignement de la langue corse est bien prévu, il ne saurait revêtir pour autant un caractère obligatoire ni pour les élèves ni pour les enseignants.
L'article 3 de la PPL prévoyait donc de rendre obligatoire, sur les territoires concernés, une offre d'enseignement en langue régionale de la maternelle au lycée. Une mesure qui, par ailleurs, demeurait suspendue à la conclusion d'une convention entre l'Etat et le conseil régional.
Le texte prévoyait encore de déroger au principe de la parité horaire entre les enseignements en français et en langue régionale dans le cas d'un enseignement bilingue. Ceci afin de permettre de privilégier, à certains niveaux d’enseignement, une langue plutôt qu’une autre en laissant aux enseignants une plus grande liberté pédagogique.
La PPL ouvrait également aux collectivités compétentes et volontaires la possibilité, sous conditions, de prêter des locaux ou d'octroyer une subvention d’investissement aux établissements privés dispensant un enseignement bilingue français-langue régionale.
Enfin, toujours en matière d'enseignement, le texte entendait étendre la participation financière des communes à la scolarisation des élèves du premier degré hors de leur commune de résidence lorsque celle-ci ne dispose pas d’école dispensant un enseignement bilingue, soit la prise en charge du forfait scolaire.

Question de moyens

Si parmi les membres de la commission, il ne s'en est trouvé aucun pour critiquer le bien-fondé d'une protection des langues régionales, certains ont attaqué le texte sur cette question de l'enseignement. Stéphanie Atger, députée de l'Essonne, a donné le la. Selon elle, plusieurs des articles du texte "impliquent des financements et des formations pour permettre d'approfondir l'enseignement des langues régionales". Or, selon elle, cet approfondissement est déjà porté par la loi pour une Ecole de la confiance du 28 juillet 2019 : "Avant de porter de nouvelles mesures […], il conviendrait d'analyser en profondeur les effets des réformes." Son argument a été repris par Géraldine Bannier, qui a ajouté que ces mesures risquent "de mettre en grande difficulté les équipes pédagogiques d'un certain nombre de départements". Et la députée de la Mayenne de citer le cas de son département où l'enseignement du breton, du gallo voire du mainiot pourraient être envisagés.
Béatrice Descamps, de son côté, s'est interrogée sur l'extension du "système corse" : "S'agit-il de la meilleure manière de valoriser les langues régionales ? Aujourd'hui, les conventions sont conclues entre les collectivités territoriales et l'Etat pour déterminer les modalités d'apprentissage de ces langues par territoire. Le nœud du problème ne se situerait-il pas dans la conclusion de ces conventions ?" La députée du Nord a elle aussi posé la question des moyens : "Combien d'enseignants faudra-t-il recruter ?"
Entre les coûts et le besoin d'exploiter plus avant les possibilités actuellement offertes par la loi, l'ensemble des articles portant sur l'enseignement étaient donc rejetés par la commission.

Un décret pour les signes diacritiques

Sur l'autorisation dans les actes d'état civil des signes diacritiques propres aux langues régionales (tilde utilisé en breton et en basque, accent aigu sur les "i", "o" ou "u" en catalan), Stéphanie Atger a estimé l'article déjà adopté… "car la garde des Sceaux, par un courrier daté d'hier [4 février, ndlr], a confirmé qu'un décret était en cours de finalisation […] afin de permettre que les noms et prénoms inscrits à l'état civil soient accompagnés de signes diacritiques régionaux". Là encore, l'argument a été repris par plusieurs membres de la commission qui ont rejeté cette disposition.
De cette PPL qui devait, selon son rapporteur, donner un contenu législatif à l’article 75-1 de la Constitution - qui, depuis la révision constitutionnelle du 23 juillet 2008, a intégré les langues régionales au patrimoine de la France -, il ne reste finalement que trois articles.
Le premier ne fait que rappeler les dispositions constitutionnelles en disposant que "la conservation et la connaissance des langues régionales sont d’intérêt général" et que "l’État doit s’engager, en lien avec les collectivités territoriales qui le souhaitent, à développer des partenariats pour soutenir les structures valorisant les langues régionales autour d’objectifs prioritaires".
Le deuxième permet à la puissance publique d’intervenir pour protéger et conserver sur le territoire national tout bien qui présenterait un intérêt majeur du point de vue linguistique, qu’il s’agisse de la langue française ou des langues régionales.
Enfin, le troisième dispose que "les services publics peuvent assurer sur tout ou partie de leur territoire l’affichage de traductions de la langue française dans la ou les langues régionales en usage sur les inscriptions et les signalétiques apposées sur les bâtiments publics, sur les voies publiques de circulation, sur les voies navigables, dans les infrastructures de transport ainsi que dans les principaux supports de communication institutionnelle, à l’occasion de leur installation ou de leur renouvellement".
L'examen de la PPL en séance publique aura lieu le 13 février.

 

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