Réforme des collectivités - Edouard Balladur : "La région et la communauté prendront le dessus"
"Imbriquer davantage le département et la région, en faire de même pour la commune et l'intercommunalité, simplifier la répartition des compétences, développer les métropoles." Telles sont, pour Edouard Balladur, les quatre idées phares de son rapport sur la réforme des collectivités. L'ancien Premier ministre, qui intervenait lors d'une conférence organisée le 30 mars au Sénat par le Mouvement national des élus locaux (Mnel) - association d'élus de droite et du centre, présidée par André Santini - a profité de l'occasion pour répondre aux "critiques" suscitées par ses propositions et pour esquisser quelques "formules alternatives susceptibles d'apaiser certaines appréhensions". En commençant par souligner, d'une part, que ses propositions ne prévoyaient aucun changement de mode de scrutin pour 2010. Et, d'autre part, que les schémas de regroupements de régions largement évoqués dans la presse avant la publication de son rapport étaient un pur "procès d'intention", son rapport ne nommant aucun territoire.
Tout en assurant ne pas être, "à titre personnel", favorable à la suppression "ni des départements, ni des communes", Edouard Balladur reconnaît que "en créant ces deux couples [à savoir le couple commune-EPCI et le couple département-région], peu à peu, par la force des choses, la région et l'intercommunalité prendront le dessus". Et qu'ainsi, au final, communes et départements ne seront plus que "des circonscriptions de ces deux ensembles"...
Il admet aussi que les conclusions de son comité en termes de répartition des compétences ne sont pas suffisantes, qu'il y a sur ce point "quelque chose de plus à faire"... Mais que la question est "très compliquée". Prenant l'exemple des collèges et lycées, il relève ainsi que si le partage actuel n'est sans doute pas idéal, il serait contreproductif d'éloigner le centre de décision des collèges en les confiant à la région... tout comme il serait difficile et peu pertinent de retirer la gestion des lycées à la région alors que celle-ci "s'en occupe très bien". Autre aveu d'Edouard Balladur, cette fois face sur la question de savoir si son corpus de propositions "produira des économies" : "On ne peut le dire. Il est probable que oui. Dans la mesure où l'on mettra fin à beaucoup de financements croisés."
Grand Paris : "Nous sommes allés au plus extrême"
L'un des points "délicats" concerne, estime-t-il, le devenir des cantons. Faut-il les supprimer ? Si le rapport est allé dans ce sens en proposant un scrutin de liste, Edouard Balladur considère en fait que l'on pourrait parfaitement "maintenir le canton", à condition qu'on en "réduise le nombre" (par exemple 3.000 ou 2.500 au lieu des 4.000 actuels) afin que "tous les conseillers généraux puissent être conseillers territoriaux".
S'agissant de la constitution d'une dizaine de métropoles, le président du comité a insisté sur le fait que celles-ci devront être bien plus que des communautés urbaines, avec un très large transfert de compétences. Reste toutefois "le problème du statut des communes membres" : "doivent-elles ou pas rester des communes de plein exercice ?", peut-on imaginer retirer leurs attributions à des villes fortes comme Villeurbanne, Roubaix ou Tourcoing pour les diluer dans une métropole ? Quant aux relations avec le département, si le rapport prévoit que "la métropole puisse avoir la compétence du conseil général", Edouard Balladur "pense que dans un premier temps, ceci soit facultatif".
Enfin, concernant la fameuse idée d'une fusion de Paris et des trois départements de la petite couronne, selon l'ancien Premier ministre, les choses se seraient passées ainsi : "Les élus franciliens ne nous ont fait aucune proposition. Alors nous sommes allés au plus extrême." Mais "la décision n'est pas près d'être prise". Il "faut d'abord savoir ce que l'on veut pour les grands équipements franciliens". Sa proposition alternative : "Une formule de communauté urbaine du Grand Paris, où les départements conserveraient leurs compétences."
Le conseiller territorial, "point nodal" du débat
Gérard Longuet, sénateur de la Meuse et membre du comité Balladur, également invité à la tribune du Mnel lundi soir, a pour sa part surtout insisté sur l'"innovation importante" que représente "la création d'un nouvel élu, l'élu territorial, qui ne soit ni le conseiller général, trop proche de son clocher, trop enclin à défendre son canton, ni le conseiller régional, qui tombe exactement dans l'excès inverse". Le conseiller territorial, a-t-il poursuivi, "en siégeant dans les deux instances, sera en charge de la proximité au niveau départemental tout en ayant un peu plus de recul avec la région". Certes, le scénario proposé "n'est sans doute pas définitif", mais Gérard Longuet se dit "optimiste" quant à sa validation par le Parlement. "Le Sénat sera saisi du projet de loi en premier. Or notre assemblée n'a pas le droit d'enterrer cette réforme, sinon elle s'enterrerait elle-même", a-t-il déclaré. En sachant toutefois que le 17 mars dernier, lors du débat sur la réforme organisé dans l'hémicycle du Sénat, on avait entendu peu de voix en faveur de cette idée de conseiller territorial.
"Le conseiller territorial : on sent bien que ce sera le point nodal, le point de difficulté", a précisément souligné Gérard Larcher, le président du Sénat, en concluant la conférence de lundi. Pour Gérard Larcher d'ailleurs, les sujets sont si nombreux et complexes qu'il faut prévoir "une loi-cadre au départ, puis une déclinaison à travers plusieurs textes". Celui qui avait ouvert la table-ronde, à savoir l'ancien ministre Charles Pasqua, avait quant à lui déclaré : "Je ne crois pas qu'on puisse conduire une réforme porteuse de tellement de changements sans l'accord des populations. Il faut un grand débat national dans le pays, puis il faut trancher par un grand référendum."
Claire Mallet
Ce que les élus "de base" en disent...
Souhaitant apporter sa pierre à la réflexion sur la réforme des structures territoriales, le Mnel, appuyé par le cabinet Deloitte, a réalisé une vaste enquête sous la forme d'un questionnaire adressé à plus de 22.000 élus locaux, suivie par une série de débats en région, lesquels ont au total réuni environ 1.500 élus. La conférence du 30 mars avait donc d'abord pour but de présenter à un parterre d'élus les conclusions de cette enquête.
"Pour les deux tiers des élus, la décentralisation doit être poursuivie, même s'il n'y a ensuite pas de consensus sur la méthode", a résumé Gilles Pedini, associé Deloitte : certains prônent une réforme graduelle s'appuyant sur des expérimentations tandis que les autres préféreraient une réforme législative rapide, certains sont prêts à ne conserver partout que deux niveaux de collectivités (commune-EPCI et région) tandis que d'autres privilégient des "logiques différenciées" selon les territoires... Certaines questions font toutefois émerger des majorités de points de vue, telle la question de l'élection des délégués communautaires : 60% des répondants sont favorables au suffrage universel. Et on ne peut guère nier que "le département sort un peu perdant, trouve mal sa place", comme l'a formulé Jean-Jacques Guillet, député-maire de Chaville et secrétaire général du Mnel.
Surtout, ces élus (élus municipaux pour les trois quarts d'entre eux) mettent massivement l'accent sur la nécessité d'accompagner la réforme par une rénovation du fonctionnement même des collectivités, que ce soit au niveau des ressources humaines avec un assouplissement des règles de la fonction publique territoriale, ou au niveau du cadre budgétaire et comptable. Ils insistent aussi sur le fait que "le corollaire de la réforme doit être la reconnaissance du rôle et du statut de l'élu" (indemnisation, formation...). Tout en étant 66% à estimer qu'il y a "trop d'élus" ! Pour Jean-Jacques Guillet en tout cas, cette enquête confirme que "les élus ne sont pas un frein à la réforme".
C.M.