Réforme des collectivités - Le Sénat défend les grands équilibres actuels
Pas de révolution, mais une réforme en douceur préservant assez largement les grands principes d'aujourd'hui. C'est en résumé ce que souhaitent les 36 sénateurs de la mission pluraliste sur "l'organisation et l'évolution des collectivités territoriales" qui, mise sur pied par le président Gérard Larcher, a présenté son rapport d'étape le 11 mars.
Au regard du rapport Warsmann qui préconise un "big bang territorial" (voir notre article du 10 octobre 2008) et du rapport du comité Balladur (voir notre article du 5 mars 2009) qui se prononce pour la fin des cantons, les 27 propositions sénatoriales paraissent sans doute moins ambitieuses, en tout cas plus timides. Elles ont toutefois le mérite d'avoir été adoptées à l'unanimité, ce qui facilitera le travail parlementaire ultérieur.
La position du Sénat est loin d'être une surprise. En janvier déjà, l'un des deux rapporteurs de la mission, Yves Krattinger, "mettait en garde" les élus contre "une réforme qui déstabiliserait les collectivités" (lire son interview sur Localtis).
Quand la commission des lois de l'Assemblée nationale préconise la création de métropoles par la fusion du conseil général et de l'intercommunalité, quand le comité Balladur appelle la constitution par la loi de onze métropoles à partir de 2014 puis l'extension de ce nouveau statut à des agglomérations qui le souhaiteraient, la mission présidée par Claude Belot prône une avancée prudente, limitée à "sept ou huit métropoles, pas plus", précise Yves Krattinger. Et les départements demeureraient compétents sur ces grandes agglomérations. "C'est dans les grandes villes que se trouve l'essentiel de la richesse, explique le président de la mission. Si le département, qui est un formidable outil de répartition des richesses, perd ces territoires, il n'aura plus de moyens."
Conseillers territoriaux : la question n'est pas tranchée
Des transferts de compétences à partir des communes - ainsi, éventuellement, que des délégations de compétences de la part du département et de la région - viendraient toutefois donner plus de force aux métropoles. Sur la méthode, "nous préconisons le contrat entre le département et les agglomérations selon des modalités dont ils débattront entre eux", indique Claude Belot.
Nulle part dans les propositions du Sénat n'apparaît la proposition du comité Balladur consistant à créer des conseillers territoriaux appelés à siéger dans les assemblées départementale et régionale. Cette idée reste à l'étude, mais les opinions divergent sensiblement. "Les conseils généraux sont tournés vers les solidarités sociales et territoriales. Ils ont le citoyen sur le dos, tandis que les régions doivent avoir une vision stratégique", estime Yves Krattinger. Le mariage des deux institutions aboutirait selon lui à faire renaître les établissements régionaux des années 1970, au sein desquels "les gens cherchaient à faire leur marché dans les politiques régionales", poursuit le sénateur de Haute-Saône. "Les conseillers généraux sont mal identifiés", relève en revanche Rémy Pointereau, secrétaire de la mission.
Les sénateurs se prononcent pour la possibilité d'un regroupement des régions - une proposition du rapport Balladur qui a fait grand bruit - à condition, d'une part, que les conseils régionaux concernés le souhaitent et, d'autre part, que les électeurs se soient prononcés favorablement par référendum. Ils sont également favorables aux regroupements entre une région et ses départements, de même qu'à la modification des limites territoriales des départements, sur la base du volontariat et selon la même procédure.
Davantage de compétences "exclusives"
Concernant la question des compétences des collectivités, les sénateurs sont parvenus à un consensus sur la base d'un scénario qui préserve il est vrai plutôt la situation actuelle. "80% des dépenses des régions et des départements sont sur des champs différents", souligne Yves Krattinger, qui déclare que "ce constat est partagé par tous". Si la mission considère elle aussi qu'il est nécessaire de clarifier les compétences des institutions locales, l'instauration d'une collectivité chef de file et d'un "guichet unique" à chaque fois que les compétences sont exercées par plusieurs niveaux de collectivités peut selon elle suffire. Cette solution préserve la possibilité des cofinancements jugés indispensables pour les communes les plus petites. Les collectivités exerceraient davantage de compétences "exclusives". Mais elles auraient aussi la possibilité d'exercer en propre une compétence s'il est constaté que la collectivité légitime par la loi ne la met pas en oeuvre (procédure dite du "constat de carence"). Ainsi, les trois niveaux de collectivités continueraient à bénéficier de la clause générale de compétence, mais dans un cadre plus précis qu'aujourd'hui.
Ces propositions recouvrent pour une large partie les positions communes que les grandes associations d'élus avaient communiquées avant la présentation du rapport Balladur (lire notre article du 20 février). La présence des deux rapporteurs, Jacqueline Gourault et Yves Krattinger, au sein des bureaux de l'AMF et de l'ADF y est peut-être pour quelque chose.
La mission sénatoriale va passer à présent à une "nouvelle étape", a déclaré Jacqueline Gourault. En effet, d'ici le mois de mai, elle compte approfondir ses travaux sur le Grand Paris et sur les finances locales, deux sujets majeurs sur lesquels elle a en fait encore peu avancé. Par ailleurs, sur la base d'une étude commandée au cabinet Ernst & Young qui lui sera remise fin mars, la mission devrait faire des préconisations précises sur la répartition des compétences entre les collectivités (notre article du 24 février rendait compte du rapport d'étape remis par le cabinet).
C'est à l'automne que le Sénat devrait examiner - en premier - le futur projet de loi sur la réforme des collectivités. Auditionné le 10 mars par la mission sénatoriale, Edouard Balladur déclarait qu'il reviendrait précisément à la Haute Assemblée de préciser plusieurs aspects essentiels, comme "le statut des métropoles" ou "la clarification des compétences des collectivités".
Thomas Beurey / Projets publics