Eau et changement climatique : quand la pression se fait de plus en plus forte
Lors du Carrefour de l’eau qui s’est déroulé à Rennes les 29 et 30 juin, on a particulièrement insisté sur la nécessité de l’action face au changement climatique, en s’appuyant notamment sur les solutions fondées sur la nature. Une action qui suppose toutefois acculturation, lisibilité… et ouverture. De nouvelles mesures de lutte contre les algues vertes ont en outre été présentées.
"Le changement climatique, c’est maintenant, chez nous". D’emblée lors de la séance de clôture du Carrefour de l’eau, le 30 juin, Olivier Thibault, directeur de l’eau et de la biodiversité du ministère de la Transition écologique, se fait grave. Le fonctionnaire insiste sur l’urgence de la situation, prenant appui sur le 6e rapport du Giec (Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat). "Huit impacts sur dix du changement climatiques sont liés à l’eau", a rappelé lors d’une autre session Mathilde Hoareau, de l’agence de l’eau Loire-Bretagne. Une gravité d’autant plus justifiée que Stéphane Isoard, chef du groupe "évaluation de la biodiversité et des écosystèmes" de l’Agence européenne pour l’environnement, s’est dans la foulée employé à démontrer l’accélération du phénomène ces cinq dernières années. Sur le terrain, le préfet de la région Bretagne Emmanuel Berthier – par ailleurs toujours aux prises avec les algues vertes (voir encadré) – confirme : "La pression devient extrêmement forte. La gestion de crise est désormais régulière, ce que l’on ne faisait pas il y a cinq ans."
Passer à l'action
Aussi, pour Martin Gutton, directeur général de l’agence de l’eau Loire-Bretagne, plutôt que de continuer à "passer du temps sur la programmation, en réalité il faut agir !". Surtout que "l’on a désormais suffisamment d’outils réglementaires", estime Stéphane Isoard. Si Olivier Thibault diverge légèrement sur ce point – "Beaucoup de directives européennes ne prennent pas encore en compte le changement climatique", juge-t-il, tout en soulignant que "la Commission se mobilise pleinement" –, il avertit : "Cela ne doit surtout pas être une raison de ne pas faire." Il donne la direction : "passer d’un paradigme où l’eau s’adapte à nos besoins à un système où l’eau doit être prise en compte dès le début des projets d’aménagement". Et de souligner au-delà que "la politique de l’eau ne doit pas être conduite en silo, mais doit irriguer l’ensemble des politiques publiques". Édith Hoedl, experte de la gestion des bassins hydrographiques auprès de la commission internationale pour la protection du Danube, grossit le flux, expliquant qu’il ne faut "pas de programme séparé pour le changement climatique", les mesures visant à atténuer et à s’adapter à ce dernier devant "être intégrées dans tous les plans existants". Elle met en outre en avant "l’importance des mesures au niveau local". Concrètement, "il faut réapprendre à vivre avec la nature", insiste Olivier Thibault. Les "solutions fondées sur la nature" ont d’ailleurs été répétées comme un mantra tout au long de la session. "Il faut s’appuyer sur la nature, comme au judo, plutôt que de lutter contre elle : infiltrer l’eau plutôt que l’évacuer, restaurer et recréer les zones humides plutôt que les assécher…", enseigne Martin Gutton.
Pédagogie, lisibilité…
Comme au judo toujours, il convient de savoir embarquer l’adversaire dans sa course, plutôt que de s’y opposer frontalement. Olivier Thibault met ainsi en avant "la nécessité de la connaissance pour embarquer les gens" et Sonia Sauve, responsable Projets-innovation à l’office international de l’eau, celle d’une "acculturation régulière des élus et des parties prenantes" dans un domaine où l’état des connaissances évolue rapidement. "En s’assurant d’un même niveau de compréhension", précise Édith Hoedl. Un véritable défi, si l’on en croit Thierry Burlot, président du comité de bassin Loire-Bretagne : "Personne ne nous comprend, sur un sujet pourtant très simple", met-il en garde, déplorant un discours techniciste et administratif, tout sauf clair comme de l’eau de roche. Et d’inviter ainsi à la rédaction d’un "Sdage pour les nuls", et plus largement à "rendre lisible cette politique publique essentielle".
… et ouverture
Évoquant le délicat sujet de la conciliation des usages, l’élu invite surtout à conjurer le spectre "du chacun pour soi, de Jean de Florette". Une gageure, alors que "tous les éléments sont là pour opposer les uns aux autres", estime-t-il. "C’est une responsabilité collective. Le forum de Dakar a montré que le problème de l’eau ne peut se régler que dans la paix. Il ne faut pas jeter l’opprobre sur les uns ou sur les autres, mais faire preuve d’ouverture les uns envers les autres. Il faut du consensus", explique-t-il encore. Un pari d’autant plus grand qu’il craint qu’"en France, on écoute plus facilement les extrêmes qu’on ne recherche le consensus".
Dans le cadre du Carrefour de l’eau, Emmanuel Berthier, Martin Gutton et Stéphane Mulliez, directeur général de l’agence régionale de santé (ARS) de Bretagne, ont présenté de nouvelles mesures de lutte contre les algues vertes. Depuis le 22 juin, les projets d’arrêtés "zones soumises à contraintes environnementales", pris pour chaque baie "algues vertes" de la région et qui visent l’amélioration des pratiques agricoles individuelles, sont soumis à consultation. Ils listent un ensemble de mesures volontaires – susceptibles de devenir obligatoires – à mettre en œuvre par les exploitants. De nouvelles aides sont également prévues, parmi lesquelles les "paiements pour services environnementaux", qui seront expérimentés dans six territoires bretons. Ils visent la réduction de l’utilisation d’azote minéral, la protection des chemins d’eau ou encore la remise en herbe des zones humides. 190 agriculteurs supplémentaires devraient bénéficier de ce dispositif. Une nouvelle mesure agro-environnementale et climatique (Maec) spécifique "algues vertes" sera également déployée en 2023. Sur le plan sanitaire, huit capteurs d’hydrogène sulfuré supplémentaires (il en existe quatre aujourd’hui) seront installés à proximité des zones d’échouage d’algues vertes à risque de putréfaction sur les baies concernées des Côtes-d’Armor et du Finistère. En cas de dépassement d’un seuil fixé par le Haut Conseil de santé publique, sont prévus une information des collectivités et de la population, un renforcement du ramassage et des interdictions d’accès au site. Les données collectées seront en outre accessibles au public sur le site de l’association Air Breizh. L’ARS entend de même renforcer les actions de sensibilisation et d’accompagnement de la population et des professionnels de santé des territoires concernés, ainsi que le suivi des signalements. |